Résolution du Parlement européen du 15 janvier 2015 sur le Kirghizstan et sa loi sur la propagande homosexuelle (2015/2505(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions précédentes sur les républiques du Kirghizstan et de l'Asie centrale, notamment celle du 15 décembre 2011 sur l'état de la mise en œuvre de la stratégie européenne en Asie centrale(1),
– vu la constitution du Kirghizstan, et notamment ses articles 16, 31, 33 et 34,
– vu les obligations et les instruments internationaux en matière de droits de l'homme, notamment ceux prévus par les conventions des Nations unies sur les droits de l'homme et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantissent les droits humains et les libertés fondamentales et prohibent les discriminations,
– vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit la liberté d'expression et de réunion, le droit au respect de la vie personnelle, privée et familiale des individus et le droit à l'égalité, et interdit toute discrimination en ce qui concerne la jouissance de ces droits;
– vu la résolution A/HRC/17/19 du Conseil des droits de l'homme des Nations unies du 17 juin 2011 et la résolution A/HRC/27/32 du Conseil des droits de l'homme des Nations unies du 24 septembre 2014 sur les droits de l'homme, l'orientation sexuelle et l'identité de genre,
– vu la déclaration du porte-parole du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme sur le Kirghizstan du 24 octobre 2014,
– vu le statut de "partenaire pour la démocratie" du parlement du Kirghizstan auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE);
– vu la résolution 1984 (2014) adoptée par l'APCE le 8 avril 2014 sur la demande de statut de "partenaire pour la démocratie" auprès de l'assemblée parlementaire introduite par le parlement de la République kirghize, en particulier ses articles 15.24, 15.25 et 15.26,
– vu l'accord de partenariat et de coopération établissant un partenariat entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République kirghize, d'autre part, et notamment ses articles 2 et 92,
– vu les orientations de l'Union européenne sur les défenseurs des droits de l'homme, adoptées en juin 2004 et révisées en 2008, et les lignes directrices visant à promouvoir et à garantir le respect de tous les droits fondamentaux des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), adoptées par le Conseil le 24 juin 2013,
– vu la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), adoptée en 1979,
– vu les objectifs du Millénaire pour le développement et le programme de développement pour l'après-2015,
– vu l'article 135, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que le Kirghizstan a réalisé de grands progrès au cours des dernières années par rapport aux autres pays de la région, notamment en devenant une démocratie parlementaire, en intensifiant ses efforts de lutte contre la corruption et en s'engageant à respecter les droits de l'homme universels;
B. considérant qu'il est clairement dans l'intérêt de l'Union européenne que le Kirghizstan soit pacifique, démocratique et économiquement prospère; considérant que l'Union européenne s'est engagée, notamment dans le cadre de sa stratégie pour l'Asie centrale, à être un partenaire pour les pays de la région;
C. considérant que les pays d'Asie centrale ont en commun plusieurs défis à relever, comme la pauvreté et des menaces graves contre la sécurité des personnes, la nécessité de renforcer la démocratie, le respect des droits de l'homme, la bonne gouvernance et l'état de droit;
D. considérant que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits; que tous les États ont l'obligation de prévenir la violence et la discrimination, notamment fondées sur l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression du genre;
E. considérant que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) doivent jouir des mêmes droits de l'homme que toutes les autres personnes;
F. considérant que la République kirghize a dépénalisé l'homosexualité masculine en 1998;
G. considérant que le 15 octobre 2014, le parlement kirghize a adopté en première lecture le projet de loi n° 6-11804/14, qui apporte des amendements au code pénal, au code relatif à la responsabilité administrative, à la loi sur la réunion pacifique et à la loi sur les médias de masse, visant à interdire la "promotion manifeste ou indirecte des relations sexuelles non traditionnelles" et prévoyant des peines de prison pouvant aller jusqu'à un an;
H. considérant que certains médias et dirigeants politiques et religieux du pays visent de plus en plus à intimider les personnes LGBTI, à limiter leurs droits et à légitimer la violence à leur encontre;
I. considérant que bon nombre de chefs d'État ou de gouvernement, de dirigeants des Nations unies et de représentants de gouvernements et de parlements, mais aussi l'Union européenne, notamment le Conseil, le Parlement, la Commission et l'ancienne haute représentante, Mme Ashton, ont fermement condamné des lois "anti-propagande" similaires;
J. considérant que les discriminations fondées sur le sexe, l'orientation sexuelle et l'identité de genre sont liées, et que plusieurs ONG tout comme les Nations unies ont souligné que les inégalités de genre demeurent importantes, et qu'au Kirghizstan les jeunes filles et les femmes continuent de subir des abus tels que l'enlèvement et le mariage forcé, en dépit du renforcement en janvier 2013 de la loi de 1994 interdisant ces pratiques;
1. regrette profondément la présentation de ce projet de loi, ainsi que toutes les mesures susceptibles d'aboutir à des traitements cruels, inhumains et dégradants, et invite tous les pays à mettre immédiatement fin à la pénalisation de l'homosexualité;
2. fait une nouvelle fois observer que l'orientation sexuelle et l'identité de genre sont des questions qui relèvent du droit de l'individu à la vie privée, droit garanti par le droit international relatif aux droits de l'homme, en vertu duquel le principe d'égalité et de non-discrimination doit être protégé et la liberté d'expression garantie;
3. rappelle au parlement kirghize ses obligations internationales et son accord de partenariat et de coopération avec l'Union européenne, dont le plein respect des droits de l'homme constitue un élément essentiel, et demande le retrait du projet de loi sur la "diffusion d'informations relatives aux relations sexuelles non traditionnelles" en cours d'examen au parlement;
4. fait remarquer que le projet de loi a été adopté en première lecture et doit encore faire l'objet de deux votes, avant d'être soumis à la signature du président, et souligne que l'adoption de toute loi sur les "relations non traditionnelles" ne doit pas aller à l'encontre des obligations et engagements du Kirghizstan en matière de droits de l'homme;
5. invite les autorités kirghizes à réaffirmer publiquement que toutes les personnes au Kirghizstan ont droit à une vie exempte de discrimination ou de violence fondée sur leur orientation sexuelle ou identité de genre et que tout comportement contraire à ce droit est illégal et fera l'objet de poursuites;
6. invite le parlement kirghize à suivre les recommandations formulées par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dans sa résolution 1984 (2014) sur la demande de statut de "partenaire pour la démocratie", en particulier les recommandations 15.24, 15.25 et 15.26;
7. invite le parlement kirghize à respecter sa constitution, en particulier l'article 16, qui stipule que toute "loi qui s'oppose ou déroge aux libertés et droits humains et civils ne doit pas être adoptée dans la République kirghize", ainsi que les articles 31, 33 et 34, qui établissent la liberté d'expression, d'information et de réunion, et à rejeter le projet de loi n° 6-11804/14;
8. se déclare profondément préoccupé par les conséquences négatives de l'examen et de l'éventuelle adoption de ce projet de loi, qui renforce la stigmatisation, la discrimination et la violence à l'encontre des personnes LGBTI; appelle les politiciens et les chefs religieux à s'abstenir de toute rhétorique anti-LGBTI, notamment des discours de haine et de l'incitation à celle-ci;
9. s'inquiète des conséquences possibles d'une telle législation sur les donateurs internationaux, les ONG et les organisations humanitaires chargés des questions relatives aux personnes LGBTI et à la prévention du VIH;
10. demande au Conseil des droits de l'homme des Nations unies de bien vouloir tenir compte, lors du prochain examen périodique universel du Kirghizstan, du mépris des principes d'égalité et de non-discrimination manifesté dans ce projet de loi;
11. demande aux autorités kirghizes de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir aux défenseurs des droits de l'homme de pouvoir mener à bien leur travail de promotion et de protection des droits de l'homme sans aucune entrave;
12. prie instamment le Kirghizstan, dans la période conduisant à la quatorzième réunion du Conseil de coopération entre l'Union européenne et la République kirghize, de poursuivre les réformes visant la transparence, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la réconciliation inter-ethnique et le respect des droits de l'homme, étant donné qu'elles constituent des éléments clés pour le développement durable à long terme du pays;
13. se félicite des progrès accomplis par les autorités kirghizes dans le domaine des droits de l'homme dans la période comprise entre les quatrième et cinquième sessions du dialogue UE-Kirghizstan sur les droits de l'homme; encourage vivement les autorités kirghizes à poursuivre sur cette voie;
14. demande à la Commission, au Conseil et au Service européen pour l'action extérieure de faire clairement comprendre aux autorités kirghizes que l'adoption dudit projet de loi pourrait avoir des répercussions sur les relations avec l'Union européenne, conformément à l'article 92, paragraphe 2, de l'accord de partenariat et de coopération; invite en outre le Conseil et le Service européen pour l'action extérieure à soulever cette question au sein des instances internationales compétentes, telles que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou les Nations unies;
15. invite les autorités kirghizes à s'assurer que les allégations de torture ou de traitements inhumains et dégradants font l'objet d'une enquête prompte et efficace et que les auteurs de ces actes sont traduits en justice; appelle en outre à la libération de tous les prisonniers d'opinion, notamment à celle d'Azimjon Askarov, dans l'attente d'une enquête complète, impartiale et équitable, portant notamment sur la torture et les mauvais traitements qu'il dit avoir subis;
16. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission européenne et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, au parlement du Kirghizstan ainsi qu'au président du Kirghizstan.