Résolution du Parlement européen du 11 juin 2015 sur le Paraguay: aspects juridiques des grossesses précoces (2015/2733(RSP))
Le Parlement européen,
– vu l'accord-cadre interrégional de coopération conclu en 1999 entre l'Union européenne et le Mercosur,
– vu sa résolution du 12 mars 2015 sur le rapport annuel sur les droits de l'homme et la démocratie dans le monde en 2013 et la politique de l'Union européenne en la matière(1),
– vu le règlement (CE) n° 1567/2003 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2003 concernant les aides destinées aux politiques et aux actions relatives à la santé génésique et sexuelle et aux droits connexes dans les pays en développement(2),
– vu le code pénal paraguayen (loi n° 1160/97) du 26 novembre 1997, notamment son article 109, paragraphe 4,
– vu le cinquième objectif du Millénaire pour le développement (l'amélioration de la santé maternelle),
– vu la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, notamment son article 3,
– vu la convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), adoptée en 1979,
– vu la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (convention d'Istanbul),
– vu la déclaration du 11 mai 2015 du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes dans la législation et dans la pratique,
– vu la convention des Nations unies contre la torture, entrée en vigueur le 26 juin 1987,
– vu la demande faite en mars 2015 par le comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies au Paraguay de réviser et de modifier sa législation en matière d'avortement, afin de garantir sa compatibilité avec d'autres droits tels que le droit à la santé et à la vie,
– vu l'article 135, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que, d'après des données récentes des Nations unies, 19 % des femmes enceintes au Paraguay sont des mineures, que deux filles de moins de 14 ans donnent chaque jour naissance à un enfant, et que les filles de 10 à 14 ans comptent pour 2,13 % dans la mortalité maternelle; considérant que quelque 600 filles âgées de 14 ans ou moins tombent enceintes chaque année au Paraguay, un pays qui compte 6,8 millions de personnes; que le taux de grossesses chez les enfants est dix fois plus élevé que dans les autres pays de la région;
B. considérant qu'en Amérique latine, le risque de mortalité maternelle est quatre fois plus élevé chez les adolescentes de moins de 16 ans; que 65 % des cas de fistule obstétricale surviennent durant la grossesse d'adolescentes et comportent de graves conséquences pour leur vie entière, notamment de graves problèmes de santé et l'exclusion sociale; considérant que les grossesses précoces sont également dangereuses pour l'enfant, et comportent un taux de mortalité 50 % plus élevé que la moyenne; considérant que jusqu'à 40 % des femmes de la région ont été victimes de violences sexuelles, et qu'en Amérique latine, 95 % des avortements sont pratiqués dans des conditions dangereuses;
C. considérant qu'une fillette de dix ans s'est présentée le 21 avril 2015 à l'Hospital Materno Infantil de Trinidad (maternité et hôpital pour enfants) à Asunción, où les médecins ont diagnostiqué une grossesse de 21 semaines; considérant qu'après avoir examiné la fillette, le directeur de l'hôpital a annoncé publiquement que cette grossesse présentait un risque élevé; considérant que le beau-père de la fillette, qui était en fuite, a été arrêté le 9 mai 2015 et est accusé de l'avoir violée; considérant que la fillette s'était rendue dans plusieurs centres médicaux depuis janvier 2015 en se plaignant de maux de ventre, mais que la grossesse n'a pas été confirmée avant le 21 avril;
D. considérant que le 28 avril 2015, la mère de la fillette a demandé l'interruption volontaire de la grossesse de sa fille, arguant de son jeune âge et du risque élevé pour sa santé et pour sa vie; considérant que la mère de la fillette est actuellement détenue pour ne pas avoir protégé sa fille des violences sexuelles qui ont entraîné la grossesse; considérant que selon les dernières informations en date, la fillette a été envoyée dans un centre pour jeunes mères et séparée de sa propre mère;
E. considérant qu'en janvier 2014, la mère de la fillette avait déposé plainte contre le beau-père de la fillette pour les violences sexuelles infligées à sa filles, mais que les autorités chargées des poursuites n'y ont pas donné suite, ni mené d'enquête ou adopté de mesures de protection, car elles estimaient que la fillette n'était pas en danger;
F. considérant qu'il ne s'agit que d'un exemple parmi les nombreux cas au Paraguay et dans d'autres pays d'Amérique latine; considérant que le Paraguay continue, pour des motifs religieux, d'interdire à la fillette l'accès à un avortement légal et sûr, violant ainsi ses droits à la santé, à la vie et à l'intégrité physique et psychologique; considérant que cette fillette encourt des risques psychologiques et de santé si son enfant naît, du fait de son jeune âge et des circonstances qui ont conduit à sa grossesse; considérant que le 7 mai 2015, un panel interdisciplinaire de spécialistes composé de trois professionnels nommés par des organisations locales, trois membres du ministère de la santé et trois membres de la cour suprême a été créé pour surveiller l'évolution de son état;
G. considérant que selon l'article 109, paragraphe 4, du code de santé paraguayen, l'avortement est strictement interdit, sauf si la grossesse risque d'entraîner des complications mettant en danger la vie de la femme ou de la fille enceinte et, sans autre exception, dans les cas de viol ou d'inceste ou si le fœtus n'est pas viable; considérant que les autorités ont argué que la santé de la fillette n'était pas en danger; considérant que cette fillette de dix ans se voit donc contrainte de poursuivre sa grossesse non désirée et de donner naissance à l'enfant;
H. considérant que les experts des Nations unies ont alerté sur le fait que la décision des autorités paraguayennes entraînerait de graves violations du droit de la petite fille à la vie, à la santé, à l'intégrité physique et psychologique ainsi qu'à l'éducation, et compromettrait ainsi son avenir sur le plan économique et social;
I. considérant qu'en vertu de l'article 3 de la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs; que les États ont l'obligation de garantir l'accès à un avortement sûr et légal lorsque la vie d'une femme enceinte est en danger;
J. considérant qu'en mars 2015, le comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a demandé au Paraguay de réviser et de modifier sa législation en matière d'avortement, afin de garantir sa compatibilité avec d'autres droits tels que le droit à la santé et à la vie; considérant que la violence physique, sexuelle ou psychologique à l'égard des femmes constitue une violation grave des droits de l'homme;
K. considérant que le Paraguay a activement participé à la 59e session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies et que toutes les parties devraient continuer de promouvoir le programme d'action de Pékin des Nations unies concernant, entre autres, l'accès à l'éducation et à la santé en tant que droit de l'homme fondamental ainsi que les droits sexuels et génésiques;
L. considérant que les organes de surveillance des traités des Nations unies, notamment la commission des droits de l'homme et le comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, ont prié plusieurs États d'Amérique latine de ménager des exceptions à leurs législations très restrictives sur l'avortement, lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé d'un femme, en cas de grave malformation fœtale ou si la grossesse est le résultat d'un viol ou d'un inceste;
M. considérant que cet acte inhumain a mis en grave danger le corps de la fillette de dix ans, qui pesait seulement 34 kg avant la grossesse; considérant que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en évidence les dangers d'une grossesse pour les jeunes filles dont le corps n'est pas entièrement développé; considérant que l'OMS définit la santé comme un état de bien-être physique, mental et social global, et non comme une simple absence de maladie ou d'infirmité;
N. considérant que le comité des Nations unies contre la torture a indiqué que l'imposition de restrictions à l'accès aux services de santé reproductive, ainsi que les abus dont sont victimes les femmes lorsqu'elles cherchent à accéder à ces derniers, peuvent constituer des violations de la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – qui a été ratifiée par le Paraguay et par tous les États membres de l'Union – car ils mettent en danger la santé et la vie des femmes, ou sont pour le moins susceptibles de provoquer de graves souffrances physiques ou psychologiques chez elles;
O. considérant que la violence à l'égard des femmes et des filles, qu'elle soit physique, sexuelle ou psychologique, reste la violation des droits de l'homme la plus répandue et touche tous les niveaux de la société, mais qu'elle constitue l'un des crimes les moins signalés;
1. réaffirme sa condamnation de toutes formes de violence et de mauvais traitements envers les femmes et les filles, notamment la violence sexuelle utilisée comme arme de guerre et la violence domestique; invite le Paraguay à s'assurer que les femmes et les filles ont accès un avortement légal et sûr, au moins lorsque leur santé ou leur vie est en danger, en cas de grave malformation fœtale ou si la grossesse est le résultat d'un viol ou d'un inceste;
2. exprime sa profonde inquiétude quant au nombre élevé de grossesses chez des fillettes au Paraguay; prie instamment les autorités paraguayennes de respecter leurs obligations internationales et de protéger les droits de l'homme en garantissant l'accès de toutes les filles à l'ensemble des informations et à tous les services médicaux disponibles pour la gestion de grossesses à haut risque résultant d'un viol;
3. presse les autorités paraguayennes de mener une enquête indépendante et impartiale sur le viol susmentionné et de traduire son auteur en justice; enjoint aux autorités paraguayennes de libérer immédiatement la mère de la fillette; salue la proposition formulée par des membres du Congrès paraguayen de porter de 10 ans à 30 ans la peine de prison prévue pour viol sur mineur;
4. prend acte de la mise en place d'un panel interdisciplinaire de spécialistes et attend de lui qu'il évalue de manière complète l'état de la fillette et garantisse le respect de tous ses droits fondamentaux, en particulier son droit à la vie, à la santé et à l'intégrité physique et psychologique;
5. déplore que le corps des femmes et des filles, notamment en ce qui concerne leurs droits en matière de santé sexuelle et génésique, demeure le terrain d'affrontements idéologiques, et prie le Paraguay de reconnaître les droits inaliénables des femmes et des filles à l'intégrité physique et à la prise de décision autonome, en particulier quant à l'accès à la planification familiale volontaire et à l'avortement légal et sûr; estime que l'interdiction générale de l'avortement thérapeutique et de l'interruption de grossesses résultant d'un viol ou d'un inceste, ainsi que le refus de fournir une couverture de santé gratuite en cas de viol, équivaut à de la torture;
6. reconnaît que la violence obstétricale se trouve à la croisée de la violence institutionnelle et de la violence faite aux femmes et constitue une violation grave des droits de l'homme, notamment des droits à l'égalité, à la non-discrimination, à l'information, à l'intégrité, à la santé et à l'autonomie reproductive, qui entraîne un accouchement dans des conditions inhumaines et dégradantes, des complications de santé, une grande détresse psychologique et des traumatismes, sinon la mort;
7. exprime sa profonde inquiétude face aux gouvernements qui ferment les yeux devant des cas inhumains de grossesses précoces et d'abus sexuels visant les femmes, alors qu'une femme sur trois dans le monde entier est confrontée à la violence au cours de sa vie;
8. insiste sur le fait qu'aucune enfant de dix ans n'est prête à devenir mère, et souligne que les fillettes concernées sont constamment placées face au souvenir des sévices qu'elles ont subi, ce qui engendre un grave stress post-traumatique et risque de causer des problèmes psychologiques durables à long terme;
9. prie instamment la Commission d'accélérer ses travaux sur une proposition au Parlement et au Conseil qui permettrait à l'Union de ratifier et d'appliquer la convention d'Istanbul, afin d'assurer la cohérence entre l'action interne et externe de l'Union dans le domaine de la violence contre les enfants, les femmes et les filles;
10. demande au Conseil d'inclure la question de l'avortement légal et sûr dans les lignes directrices de l'Union sur les violences contre les femmes et les filles; invite la Commission à s'assurer qu'une démarche tenant compte des droits de l'homme, en particulier l'égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre toutes les formes de violence sexuelle contre les femmes et les filles, est suivie dans le cadre de la coopération européenne au développement; insiste fermement sur le fait que l'accès universel à la santé, en particulier la santé sexuelle et génésique, et aux droits y afférents constitue un droit fondamental et met l'accent sur le droit d'accéder volontairement à des services de planification familiale, y compris à des soins sûrs et légaux en matière d'avortement, et souligne que l'information et l'éducation sont indispensables pour réduire le taux de mortalité maternelle et infantile et éliminer toute forme de violence fondée sur le genre, y compris les mutilations génitales féminines, les mariages d'enfants, les mariages précoces et les mariages forcés, le généricide, la stérilisation forcée et le viol conjugal;
11. incite la Commission et le Conseil à élaborer des méthodes de collecte de données et des indicateurs concernant ce phénomène, et encourage le service européen pour l'action extérieure (SEAE) à prendre en compte cette question dans la mise au point et l'application de ses stratégies par pays en matière de droits de l'homme; par ailleurs, prie instamment le SEAE de mettre en place des bonnes pratiques de lutte contre le viol et les violences sexuelles commis à l'encontre des femmes et des filles dans les pays tiers, afin de s'attaquer aux causes profondes de ce problème; souligne que la fourniture de l'aide humanitaire de l'Union et de ses États membres ne doit pas être soumise à des restrictions imposées par d'autres donateurs partenaires en ce qui concerne les traitements médicaux nécessaires, y compris l'accès à l'avortement sans risque pour les femmes et les jeunes filles victimes de viols ou d'incestes;
12. demande aux chefs d'État et de gouvernement de l'UE-CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes) d'alimenter, lors de leur deuxième réunion au sommet, le chapitre relatif à la violence fondée sur le genre du plan d'action UE-CELAC 2013-2015, qui avait été adopté à l'occasion de leur premier sommet, organisé à Santiago du Chili en janvier 2013, afin de fixer des échéances pour la mise en œuvre de mesures concrètes visant à garantir la diligence nécessaire en ce qui concerne la prévention de tous les actes de violence contre les femmes, l'enquête à leur sujet et leur répression, et les compensations offertes aux victimes;
13. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au gouvernement et au Congrès de la République du Paraguay, au bureau du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, au Parlasur, à l'Assemblée parlementaire euro-latino-américaine, ainsi qu'au secrétaire général de l'Organisation des États américains.