Résolution du Parlement européen du 8 octobre 2015 sur le déplacement d'un très grand nombre d'enfants au Nigeria à cause des attaques de Boko Haram (2015/2876(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur la situation au Nigeria, notamment celles du 17 juillet 2014(1) et du 30 avril 2015(2),
– vu les déclarations antérieures de la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, notamment celles du 8 janvier, du 19 janvier, du 31 mars, des 14 et 15 avril et du 3 juillet 2015,
– vu la déclaration du président du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 juillet 2015,
– vu le discours du président Muhammadu Buhari devant l'Assemblée générale des Nations unies du 28 septembre 2015 et lors du sommet des Nations unies sur le terrorisme,
– vu l'accord de Cotonou,
– vu la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité, adoptée le 31 octobre 2000,
– vu la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant et la charte des droits et du bien-être de l'enfant de l'Organisation de l'unité africaine (1990),
– vu la loi sur les droits des enfants promulguée en 2003 par le gouvernement fédéral du Nigeria,
– vu la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948,
– vu la convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, ratifiée par le Nigeria le 16 mai 2003, et son protocole additionnel, ratifié par le Nigeria le 22 décembre 2008,
– vu le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et le phénomène des personnes déplacées en Afrique,
– vu le rapport du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme concernant les violations des droits de l'homme et les atrocités commises par Boko Haram et leurs conséquences sur les droits de l'homme dans les pays touchés du 29 septembre 2015; et vu les déclarations du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme évoquant la possibilité d'accuser de crimes de guerre les combattants de Boko Haram,
– vu l'article 135, paragraphe 5, et l'article 123, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique et première économie du continent, caractérisé par une grande diversité ethnique et marqué par des clivages régionaux et religieux ainsi que par une fracture Nord-Sud qui s'accompagne de graves inégalités économiques et sociales, est devenu depuis 2009 le champ de bataille du groupe terroriste islamiste Boko Haram, qui a fait allégeance au groupe "État islamique" (EI); considérant que le groupe terroriste Boko Haram constitue une menace croissante pour la stabilité du Nigeria et de toute la région d'Afrique de l'Ouest; que les forces de sécurité nigérianes ont souvent fait un usage excessif de la force et commis des abus au cours d'opérations militaires destinées à combattre l'insurrection;
B. considérant qu'au moins 1 600 civils ont été tués par Boko Haram au cours des quatre derniers mois, ce qui porte à au moins 3 500 le nombre de victimes civiles pour la seule année 2015;
C. considérant que, depuis le début de l'insurrection de Boko Haram, ses actions dirigées contre les écoliers et les écolières de la région ont privé ces enfants de tout accès à l'éducation, interdisant ainsi à 10 millions d'enfants en âge de fréquenter l'école primaire d'être scolarisés au Nigeria, ce qui représente le chiffre le plus important au niveau mondial selon les données de l'Unesco; que Boko Haram, tout comme les groupes Al-Shabaab en Somalie, AQMI, MUJAO et Ansar Dine dans le Nord du Mali et les talibans en Afghanistan et au Pakistan, s'attaque aux enfants et aux femmes qui reçoivent une éducation;
D. considérant qu'en dépit de la progression des forces armées nigérianes et régionales, la multiplication des attaques et des attentats suicides à la bombe au-delà des frontières nigérianes représente une menace pour la stabilité et pour les moyens de subsistance de millions de personnes dans toute la région; que des enfants se trouvent dans une situation extrêmement dangereuse du fait de la détérioration de la situation humanitaire, notamment à cause de l'aggravation de l'insécurité alimentaire ajoutée à un accès difficile à l'éducation, à une eau potable sûre et aux services de santé;
E. considérant que les Nations unies estiment que les violences survenues dans les États de Borno, Yobe et Adamawa auraient récemment provoqué une augmentation spectaculaire du nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays, qui atteindrait désormais 2,1 millions, dont 58 % seraient des enfants selon l'Organisation internationale pour les migrations; que, dans l'ensemble, l'insurrection a frappé plus de 3 millions de personnes et que 5,5 millions de personnes vivant dans le bassin du lac Tchad ont besoin d'une aide humanitaire;
F. considérant que le Nigeria est parvenu à organiser les élections présidentielle et des gouverneurs de manière globalement pacifique, en dépit des menaces de perturbation des scrutins proférées par Boko Haram; que le Nigeria et ses pays voisins ont créé le 11 juin 2015 à Abuja une force spéciale mixte multinationale commune, afin de mettre en œuvre la décision sur la lutte contre Boko Haram prise à Niamey en janvier 2015;
G. considérant que Boko Haram a séquestré plus de 2 000 femmes et jeunes filles au Nigeria depuis 2009, notamment lors de l'enlèvement de 276 écolières à Chibok, dans le Nord-Est du pays, le 14 avril 2014, un acte qui a indigné le monde entier et déclenché une campagne internationale visant à secourir les jeunes filles ("Bring back our girls"); que, près d'un an et demi plus tard, plus de 200 d'entre elles n'ont toujours pas été retrouvées;
H. considérant que, depuis cette date, bon nombre d'autres enfants ont disparu, ont été enlevés ou forcés à devenir soldats ou domestiques, et que les filles ont été victimes de viols et forcées à se marier ou à se convertir à l'islam; que, depuis avril 2015, près de 300 jeunes filles secourues par les forces de sécurité nigérianes dans divers bastions terroristes et une soixantaine d'autres, détenues à un autre endroit et qui ont pu échapper à leurs ravisseurs, ont confié à l'ONG Human Rights Watch que leur vie en captivité était marquée par les violences et la terreur au quotidien ainsi que par des sévices corporels et psychiques; que, selon le représentant spécial des Nations unies pour les enfants et les conflits armés, les affrontements dans le Nord-Est du Nigeria au cours de l'année passée ont été parmi les plus meurtriers dans le monde pour les enfants, du fait des massacres, de l'augmentation du recrutement et de l'utilisation d'enfants-soldats, des innombrables enlèvements et des violences sexuelles infligées aux jeunes filles; que, selon l'Unicef, plus de 23 000 enfants ont été séparés de leurs parents et contraints par les violences à quitter leur foyer pour aller chercher refuge dans d'autres parties du Nigeria ou passer la frontière avec le Cameroun, le Tchad ou le Niger;
I. considérant que la plupart des enfants qui vivent dans des camps de réfugiés ou de déplacés internes ont perdu un de leurs parents, voire les deux (qu'ils aient été tués ou portés disparus), ainsi que leurs frères et sœurs et d'autres membres de leur famille; qu'en dépit du nombre important d'organisations humanitaires internationales et nationales qui œuvrent dans les camps, l'accès de ces enfants aux droits fondamentaux tels que l'alimentation, un abri (qui ne soit ni surpeuplé, ni insalubre), la santé et l'éducation, reste extrêmement faible;
J. considérant qu'au moins 208 000 enfants sont privés d'éducation et qu'au moins 83 000 n'ont pas accès à une eau potable sûre dans la sous-région (Nigeria, Cameroun, Tchad et Niger), et que 23 000 enfants ont été séparés de leur famille dans le Nord-Est du Nigeria,
K. considérant que le nombre des attaques menées par Boko Haram a augmenté au Nigeria comme dans ses pays voisins, le Cameroun, le Tchad et le Niger; que Boko Haram continue à enlever des enfants et des femmes qui sont ensuite équipés d'engins explosifs et transformés, à leur insu, en kamikazes; que, parmi les personnes qui avaient cherché refuge sur la rive tchadienne du lac Tchad, certaines ont à nouveau été la cible des mêmes terroristes, cette fois-ci sur le sol tchadien;
L. considérant qu'en juin 2015, l'Union européenne a octroyé 21 millions d'euros d'aide humanitaire destinée aux personnes déplacées au Nigeria et dans les pays voisins en proie à la violence des organisations terroristes;
M. considérant que l'Unicef, en concertation avec les gouvernements et des organisations partenaires au Nigeria, au Cameroun, au Tchad et au Niger, renforce ses activités afin de venir en aide aux milliers d'enfants présents dans la région et à leurs familles en leur donnant accès à une eau potable sûre, à l'éducation, à un soutien psychologique et sous forme de conseils, ainsi qu'à des vaccins et à des traitements contre la malnutrition aigüe sévère; que l'Unicef n'a reçu que 32 % des 50,3 millions d'euros nécessaires à son action humanitaire dans la région du lac Tchad pour cette année;
N. considérant qu'une grande partie des femmes et des jeunes filles enlevées qui se sont échappées ou qui ont été libérées sont rentrées chez elle enceintes et avec un impérieux besoin de soins de santé reproductive et maternelle, et que, selon Human Rights Watch, d'autres victimes de viols n'ont pas accès au niveau le plus élémentaire d'examens de dépistage, de soins post-traumatiques ou de soutien social et psychologique; que la Commission a déclaré que, dans les cas où la grossesse provoque des souffrances insoutenables, les femmes doivent avoir accès à toute la palette de services de santé sexuelle et reproductive en fonction de leur état de santé et, par conséquent, que le droit humanitaire international devait prévaloir en tout état de cause;
1. condamne fermement les actes criminels commis par Boko Haram, notamment les attaques terroristes et les attentats suicides à la bombe au Tchad, au Cameroun et au Niger; est au côté des victimes et adresses ses condoléances à l'ensemble des familles qui ont perdu des êtres chers; dénonce les violences incessantes qui frappent impitoyablement les États nigérians de Borno, de Yobe et d'Adamawa ainsi que d'autres villes du pays;
2. déplore les actes qui ont entraîné le déplacement d'un très grand nombre d'enfants innocents et demande une action immédiate et concertée d'envergure internationale destinée à soutenir les agences des Nations unies et les ONG qui œuvrent pour protéger les enfants et les jeunes déplacés contre l'esclavage sexuel, d'autres formes de violences sexuelles et d'enlèvements ainsi que l'enrôlement de force, par la secte terroriste Boko Haram, dans un conflit armé visant des cibles civiles, gouvernementales et militaires au Nigeria; insiste sur la nécessité impérative de protéger valablement les droits des enfants au Nigeria, étant donné que 40 % de la population du pays est âgée de 14 ans ou moins;
3. est convaincu de la nécessité d'envisager, pour les enfants précédemment associés à Boko Haram ou à d'autres groupes armés, le remplacement des poursuites et des peines d'emprisonnement par des mesures non judiciaires;
4. salue l'annonce récente par la Commission de fonds supplémentaires destinés à renforcer l'aide humanitaire d'urgence destinée à la région; se déclare toutefois très préoccupé par le déficit de financement entre les engagements et les sommes effectivement allouées aux opérations de l'Unicef dans la région par la communauté internationale dans son ensemble; appelle les donateurs à respecter sans délai leurs engagements afin de satisfaire le besoin chronique d'accès aux ressources fondamentales que sont l'eau potable ou des soins et une éducation élémentaires;
5. demande au président du Nigeria et à son gouvernement fédéral récemment nommé d'adopter des mesures fortes pour protéger la population civile, d'accorder une attention particulière à la protection des femmes et des jeunes filles, de donner la priorité aux droits des femmes et des enfants dans le cadre de la lutte contre l'extrémisme, de venir en aide aux victimes, de poursuivre les criminels et de garantir la participation des femmes aux processus de décision à tous les niveaux;
6. demande au gouvernement nigérian, conformément à la promesse du président, M. Buhari, d'ouvrir une enquête urgente, indépendante et approfondie sur les crimes en droit international et les autres violations graves des droits de l'homme par toutes les parties au conflit;
7. accueille favorablement le changement de commandement militaire et demande l'ouverture d'enquêtes sur tous les cas de violations des droits de l'homme et de crimes, commis tant par les terroristes que par les forces de sécurité nigérianes, afin de remédier au manque de responsabilité constaté lors du mandat du précédent président; salue l'engagement pris par le président, M. Buhari, d'examiner les éléments accusant l'armée nigériane de graves violations des droits de l'homme, de crimes de guerre et d'actes pouvant constituer des crimes contre l'humanité;
8. prie instamment le président de la République fédérale de relever les défis qui se posent en respectant toutes ses promesses de campagne et ses déclarations les plus récentes, dont les principales consistent à éliminer la menace terroriste, à faire du respect des droits de l'homme et du droit humanitaire un pilier central des opérations militaires, à ramener les écolières de Chibok et l'ensemble des autres femmes et enfants victimes d'enlèvements vivants et en bonne santé, à remédier au problème toujours plus important de la malnutrition et enfin à lutter contre la corruption et l'impunité, afin de dissuader tout abus à l'avenir et de travailler en vue de rendre justice à chaque victime;
9. exhorte les autorités nigérianes et la communauté internationale à travailler en étroite collaboration et à redoubler d'efforts pour inverser la tendance actuelle et stopper la hausse constante du nombre de personnes déplacées; se félicite de la détermination montrée par les 13 pays qui ont participé au sommet régional de Niamey des 20 et 21 janvier 2015, et notamment de la volonté du Tchad, appuyé par le Cameroun et le Niger, d'apporter une réponse militaire aux menaces terroristes de Boko Haram; demande à la force spéciale mixte multinationale commune de respecter scrupuleusement le droit international humanitaire et les droits de l'homme dans le cadre de ses opérations contre Boko Haram; réaffirme qu'une approche purement militaire ne suffira pas en soi pour faire obstacle à l'insurrection de Boko Haram;
10. rappelle que Boko Haram a vu le jour en réponse à la mauvaise gouvernance, à la corruption généralisée et aux profondes inégalités de la société nigériane; exhorte les autorités nigérianes à mettre un terme à la corruption, à l'incurie et au manque d'efficacité des institutions publiques et de l'armée, ainsi qu'à encourager une fiscalité équitable; demande l'adoption de mesures visant à priver Boko Haram de ses sources de revenus illégaux, notamment la contrebande et le trafic, en coopérant à cet effet avec les pays voisins;
11. demande instamment à la communauté internationale d'aider le Nigeria et ses pays voisins qui accueillent des réfugiés (Cameroun, Tchad et Niger) à fournir toute l'aide médicale et psychologique nécessaire à ces populations dans le besoin; demande aux autorités de la sous-région de garantir aux femmes et aux filles victimes de viols un accès facile à l'ensemble des services de santé sexuelle et reproductive, conformément à l'article 3 commun aux conventions de Genève; insiste sur la nécessité d'instaurer une norme universelle pour le traitement des victimes de viols commis en temps de guerre et de garantir la primauté du droit humanitaire international dans les contextes de conflit armé; exprime son entière solidarité à l'égard des femmes et des enfants qui ont survécu aux actes de terrorisme aveugle perpétrés par Boko Haram; demande la création de programmes d'éducation spécialisés, destinés tant aux femmes et aux enfants victimes de guerre qu'à la société dans son ensemble, afin d'aider les victimes à surmonter cette expérience traumatisante, à fournir des informations appropriées et exhaustives, à lutter contre la stigmatisation et l'exclusion sociale des rescapés et à les aider à devenir des membres estimés de la société;
12. exhorte la Commission à aider en priorité les enfants et les jeunes déracinés au Nigeria, au Cameroun, au Tchad et au Niger en accordant une attention particulière à leur protection contre toutes les formes de cruauté et de violence à caractère sexiste et à leur accès à l'éducation, aux soins et à une eau potable sûre, dans le cadre du Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et le phénomène des personnes déplacées en Afrique;
13. demande au gouvernement nigérian de prendre des mesures afin de faciliter le retour des personnes déplacées, notamment les enfants, d'assurer leur sécurité et de soutenir les ONG dans leur effort d'amélioration des conditions dans les camps pour les personnes déplacées par le conflit, en améliorant entre autres le niveau d'hygiène et l'assainissement afin d'éviter la propagation éventuelle de maladies;
14. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission / haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au gouvernement et au parlement de la République fédérale du Nigeria et aux représentants de la Cedeao et de l'Union africaine.