Résolution du Parlement européen du 25 novembre 2015 sur le projet de décision d'exécution de la Commission XXX accordant une autorisation d'utilisations du bis(2-ethylhexhyl) phthalate (DEHP) en vertu du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil (D041427 – 2015/2962(RSP))
Le Parlement européen,
– vu le projet de décision d'exécution de la Commission accordant une autorisation d'utilisations du bis(2-ethylhexhyl) phthalate (DEHP) en vertu du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil (D041427),
– vu le règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil(1), et notamment son article 64, paragraphe 8,
– vu les avis du comité d'évaluation des risques et du comité d'analyse socio-économique(2), conformément à l'article 64, paragraphe 5, troisième alinéa, du règlement (CE) n° 1907/2006.
– vu l'article 11 du règlement (UE) n° 182/2011 du Parlement européen et du Conseil(3),
– vu la directive 2008/98/CE(4), et notamment son article 4,
– vu la décision nº 1386/2013/UE du Parlement européen et du Conseil(5), et notamment son annexe, paragraphe 43, point viii),
– vu la directive déléguée (UE) 2015/863 de la Commission(6),
– vu sa résolution du 9 juillet 2015 sur l'utilisation efficace des ressources: vers une économie circulaire(7),
– vu la proposition de résolution de sa commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire,
– vu l'article 106, paragraphes 2 et 3, de son règlement,
A. considérant que le DEHP figure à l'annexe XIV du règlement (CE) n° 1907/2006 (règlement REACH) en raison de sa classification en tant que substance de catégorie 1B toxique pour la reproduction; considérant que le DEHP figure sur la liste REACH des substances candidates en raison de ses propriétés reprotoxiques;
B. considérant que la Commission vise, au moyen d'un projet de décision d'exécution sur le recensement du bis(2-ethylhexyl) phthalate (DEHP), du dibutyl phthalate (DBP), du benzyl butyl phthalate (BBP) et du diisobutyl phthalate (DIBP) en tant que substances extrêmement préoccupantes, conformément à l'article 57, point f), du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, à recenser le DEHP en tant que substance extrêmement préoccupante;
C. considérant que dès 2000, sur la base de la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur une stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens (COM(1999)0706), le DEHP a été inscrit à l'annexe 1 contenant la liste de 553 substances candidates au titre de la catégorie I de produits chimiques dont il apparaît qu'ils exercent une action perturbant le système endocrinien chez au moins une espèce, des animaux intacts étant utilisés(8);
D. considérant que le DEHP figurait parmi les six premiers composés devant être retirés de la circulation en vertu du règlement REACH, comme annoncé par la Commission le 17 février 2011(9);
E. considérant que, le 12 décembre 2014, le comité des États membres est convenu, à l'unanimité, de recenser le DEHP en tant que substance suscitant un niveau de préoccupation équivalent du fait de ses propriétés perturbant le système endocrinien dans l'environnement(10); considérant que le comité des États membres a reconnu à l'unanimité que, dans le cas du DEHP, des preuves scientifiques existent d'une action perturbant le système endocrinien et du lien de cause à effet entre cette action et des effets néfastes sur la santé humaine;
F. considérant que la Commission prend acte de l'accord unanime au comité des États membres pour déclarer que les quatre phtalates, y compris le DEHP, ont des propriétés perturbant le système endocrinien et que les effets néfastes de ce mode d'action sont les mêmes que ceux qui ont conduit à leur classification en tant que substances toxiques pour la reproduction et à leur recensement en tant que substances très préoccupantes au titre de l'article 57, point c), du règlement REACH; considérant que la Commission observe également que la majorité des membres du comité des États membres estiment que ces effets suscitent un niveau de préoccupation équivalent;
G. considérant que, le 21 octobre 2015, la Commission a présenté un projet d'acte d'exécution pour recenser le DEHP en tant que substance possédant des propriétés perturbant le système endocrinien dont les effets sur la santé humaine donnent lieu à un niveau de préoccupation équivalent au titre de l'article 57, point f), du règlement REACH;
H. considérant que l'avis du comité d'évaluation des risques constate le mode d'action endocrinien du DEHP mais reconnaît également qu'il a été inscrit à l'annexe XIV en raison de sa classification comme substance toxique pour la reproduction (article 57, point c)) et non sur la base de propriétés perturbant le système endocrinien (article 57, point f)); considérant que, dès lors, l'évaluation actuelle du DEHP se limite à sa toxicité pour la reproduction;
I. considérant que le DEHP devrait être recensé comme une substance extrêmement préoccupante car il satisfait aux critères énoncés à l'article 57, point f), du règlement REACH dans le sens où il s'agit d'une substance possédant des propriétés perturbant le système endocrinien pour laquelle il est scientifiquement prouvé qu'elle peut avoir des effets graves sur la santé humaine, qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l'utilisation d'autres substances énumérées aux points a) à e) de l'article 57 du règlement REACH;
J. considérant que le demandeur a sollicité une autorisation en suivant la procédure fondée sur la maîtrise appropriée visée à l'article 60, paragraphe 2, du règlement REACH; considérant, cependant, qu'au titre de l'article 60, paragraphe 3, point a), du règlement REACH, la procédure fondée sur la maîtrise appropriée ne s'applique pas aux substances qui répondent aux critères de la classification CMR ou de l'article 57, point f), dudit règlement, pour lesquelles il n'est pas possible de déterminer un seuil conformément à l'annexe I, point 6.4, du règlement;
K. considérant qu'il a été démontré que le DEHP avait des effets néfastes sur le système endocrinien des mammifères, essentiellement au moyen de l'observation, in vivo, de taux de testostérone fœtale réduits; considérant que ces observations se trouvent confirmées par des observations mécaniques, également in vivo, d'une régulation à la baisse des gènes dans la voie biosynthétique stéroïdogénique; considérant que le spectre des effets néfastes observés chez les rats comprend une rétention accrue des mamelons, une distance ano-génitale réduite, des malformations génitales, un nombre réduit de spermatocytes et des changements testiculaires, y compris des gonocytes multinucléés, une atrophie tubulaire et une hyperplasie des cellules de Leydig;
L. considérant qu'à propos du DEHP, des preuves scientifiques démontrent qu'une exposition pendant une période sensible du développement peut causer des effets irréversibles sur la programmation du développement et avoir sur le développement et la reproduction des conséquences graves, considérées comme particulièrement sérieuses pour la santé humaine et les espèces sauvages, d'autant que ces effets néfastes peuvent se manifester tard dans l'existence, en conséquence d'une exposition au début de la vie;
M. considérant que, selon l'avis du comité d'évaluation des risques, sur la base des informations fournies dans les demandes, les demandeurs n'ont pas démontré que les risques pour la santé des travailleurs découlant des utilisations sollicitées avaient été maîtrisés de manière appropriée conformément à l'article 60, paragraphe 2, du règlement REACH; considérant que, selon le comité d'évaluation des risques, il n'est donc pas approprié d'accorder l'autorisation sur la base de cette disposition;
N. considérant qu'en dépit de l'avis du comité d'évaluation des risques, le comité d'analyse socio-économique a conclu que l'autorisation des utilisations serait proportionnée et que, dès lors, les avantages socio-économiques découlant des utilisations couvertes par la demande l'emportaient sur les risques découlant de ces utilisations pour la santé humaine; considérant que, dans son avis, le comité d'analyse socio-économique confirme que l'analyse socio-économique présentée par le demandeur comporte d'importantes lacunes, y compris l'absence de toute analyse d'impact sanitaire recensant le risque restant pour la santé des travailleurs;
O. considérant que le comité d'analyse socio-économique est un comité scientifique dont la mission, aux termes de l'article 64, paragraphe 4, point b), du règlement REACH, est de procéder à une évaluation des facteurs socio-économiques et de la disponibilité et de la faisabilité technique des solutions de remplacement liés à l'utilisation ou aux utilisations de la substance, telles qu'elles sont décrites dans la demande, et considérant que son rôle n'est pas de donner des conclusions sur le caractère proportionné d'une autorisation lorsque le risque pour la société n'est pas maîtrisé de manière appropriée;
P. considérant que le demandeur est chargé d'évaluer et de gérer les risques posés par les produits chimiques et de fournir à leurs utilisateurs des informations de sécurité appropriées; considérant que le comité d'analyse socio-économique n'a pu tirer de conclusions quantitatives sur le caractère proportionné du maintien de l'utilisation du DEHP, faute de pouvoir quantifier les informations sur les risques résiduels pour la santé des travailleurs;
Q. considérant que le règlement REACH vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l'environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l'évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l'innovation;
R. considérant que les demandes concernent un large éventail d'utilisations, qui incluraient la formulation d'un PVC souple recyclé contenant du DEHP dans des composés et mélanges secs ainsi que l'utilisation industrielle de PVC souple recyclé contenant du DEHP dans le traitement de polymères pour produire des articles en PVC; considérant qu'une autorisation ayant une portée aussi large mettrait fortement à mal le remplacement du DEHP voulu par son inscription à l'annexe XIV du règlement REACH;
S. considérant que le PVC contenant du DEHP est très présent dans les produits de consommation quotidiens tels que les textiles, les meubles et le matériel de construction; considérant que le DEHP n'est pas chimiquement lié au plastique et qu'il se répand donc aisément dans l'environnement;
T. considérant qu'une demande d'autorisation devrait se concentrer sur l'utilisation de la substance et que le fait que la substance soit présente dans des matériaux recyclés n'est pas à prendre en compte pour l'octroi d'une autorisation;
U. considérant que le comité d'analyse socio-économique a relevé qu'il était possible d'utiliser les déchets postindustriels ayant une faible teneur en DEHP comme matières premières, ce qui permettrait également d'accroître la qualité des produits recyclés, mais que les entreprises de recyclage ne parviendraient certainement pas à faire accepter une hausse des prix pour des produits recyclés de meilleure qualité aux utilisateurs en aval, dès lors que ces derniers produisent généralement des articles qui se situent au bout de la chaîne des valeurs; que le comité d'analyse socio-économique a indiqué que la possibilité pour les transformateurs de matières plastiques d'utiliser du PVC vierge avec d'autres plastifiants non classés SVHC comme matières premières plutôt que des matériaux recyclés n'était pas envisagée, les demandeurs ayant souligné que les transformateurs ne pourraient plus être compétitifs après absorption des coûts additionnels liés à l'utilisation de PVC vierge;
V. considérant qu'il est inacceptable de tolérer de nombreux cas potentiels d'infertilité masculine au seul motif de permettre aux entreprises de recyclage de PVC souple et aux utilisateurs en aval de réduire leurs coûts de production d'articles de faible valeur de façon à ce qu'ils puissent concurrencer les importateurs de produits de piètre qualité;
W. considérant que, bien qu'il existe un large éventail de substances de remplacement du DEHP, les demandeurs n'ont pas fourni d'analyse complète des solutions de remplacement disponibles sur le marché pour se substituer au DEHP aux fins des utilisations sollicitées;
X. considérant que l'un des arguments avancés par le comité d'analyse socio‑économique en faveur de l'octroi de l'autorisation est qu'il est judicieux sur le plan politique et social de favoriser le recyclage en tant que mode de gestion durable des ressources naturelles; que cet argument simpliste ne tient pas compte de la hiérarchie en matière de gestion des déchets établie à l'article 4 de la directive 2008/98/CE, selon laquelle la prévention prévaut sur le recyclage; qu'en outre, cet argument simpliste ne reconnaît pas les dispositions explicites du septième programme d'action pour l'environnement, lequel préconise la mise au point de cycles de matériaux non toxiques, pour que les déchets recyclés puissent être utilisés comme une source importante et fiable de matières premières dans l'Union;
Y. considérant par ailleurs que, dans sa résolution du 9 juillet 2015 sur l'utilisation efficace des ressources: vers une économie circulaire, le Parlement souligne que le recyclage ne saurait justifier le fait de continuer à utiliser des substances héritées dont les déchets peuvent être dangereux; que le DEHP est une substance héritée reconnue comme telle par le secteur concerné(11);
Z. considérant que, conformément à la directive déléguée (UE) 2015/863 de la Commission, l'utilisation du DEHP est limitée dans les équipements électriques et électroniques; que cette limitation se fonde notamment sur une étude de la disponibilité d'autres solutions plus sûres que le DEHP, ainsi que sur une évaluation socio-économique positive(12);
AA. considérant que le comité d'analyse socio-économique estime qu'il ne peut conclure qu'il y aurait des coûts sociétaux nets, sur la base des informations fournies par le demandeur, en cas de non-octroi de l'autorisation; considérant, dès lors, que les demandeurs n'ont pas démontré les avantages socio-économiques de l'utilisation de la substance et les implications socio-économiques d'un refus d'autorisation ainsi qu'il est prévu à l'article 60, paragraphe 4, point c), du règlement REACH;
AB. considérant que l'octroi d'une autorisation pour une demande qui présente un si grand nombre de lacunes serait un précédent très regrettable pour les futures décisions d'autorisation prises au titre du règlement REACH;
AC. considérant qu'aux termes de son article premier, paragraphe 3, le règlement REACH repose sur le principe de précaution et que, en cas d'incertitude, les considérations de protection de la santé humaine et de l'environnement devraient l'emporter sur des considérations économiques générales;
AD. considérant que la Commission est tenue, vis-à-vis de la population européenne, de protéger les citoyens et l'environnement des produits chimiques dangereux, tout en favorisant l'innovation, y compris les produits chimiques, et autres, plus sûrs, pour favoriser une économie résiliente;
1. considère que le projet de décision d'exécution de la Commission excède les compétences d'exécution prévues dans le règlement (CE) n° 1907/2006;
2. invite la Commission à retirer son projet de décision d'exécution et à présenter un nouveau projet rejetant les demandes d'autorisation pour la formulation d'un PVC souple recyclé contenant du DEHP;
3. prie la Commission de supprimer dans les meilleurs délais toute utilisation du DEHP dans toutes les demandes restantes, d'autant plus que des solutions plus sûres que le PVC souple et le DEHP sont largement disponibles;
4. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission ainsi qu'aux gouvernements et aux parlements des États membres.
Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396 du 30.12.2006, p. 1).
Règlement (UE) n° 182/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission (JO L 55 du 28.2.2011, p. 13).
Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO L 312 du 22.11.2008, p. 3).
Décision nº 1386/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2013 relative à un programme d'action général de l'Union pour l'environnement à l'horizon 2020 "Bien vivre, dans les limites de notre planète" (JO L 354 du 28.12.2013, p. 171).
Directive déléguée (UE) 2015/863 de la Commission du 31 mars 2015 modifiant l'annexe II de la directive 2011/65/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la liste des substances soumises à limitations (JO L 137 du 4.6.2015, p. 10).