Résolution du Parlement européen du 15 novembre 2018 sur le Viêt Nam, notamment la situation des prisonniers politiques (2018/2925(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures, notamment celles du 14 décembre 2017 sur la liberté d’expression au Viêt Nam, en particulier le cas de Nguyen Van Hoa(1), et du 9 juin 2016 sur le Viêt Nam, en particulier la liberté d'expression(2),
– vu l’accord de partenariat et de coopération UE-Viêt Nam signé le 27 juin 2012,
– vu le 7e dialogue entre l’Union européenne et le Viêt Nam sur les droits de l’homme, qui a eu lieu le 1er décembre 2017,
– vu les déclarations du porte-parole du SEAE du 9 février 2018 sur la condamnation de défenseurs des droits de l’homme au Viêt Nam et du 5 avril 2018 sur la condamnation de militants des droits de l’homme au Viêt Nam,
– vu la déclaration locale de l'Union européenne du 20 août 2018 sur la récente condamnation de M. Le Dinh Luong,
– vu les orientations de l’Union européenne concernant les défenseurs des droits de l’homme,
– vu les déclarations d’experts des Nations unies du 23 février 2018, qui demandent la libération immédiate des militants emprisonnés pour avoir protesté contre un déversement de produits toxiques, et du 12 avril 2018, qui préconisent des changements après la détention de défenseurs des droits,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Viêt Nam a adhéré en 1982,
– vu la décision du Médiateur européen du 26 février 2016 dans l’affaire 1409/2014/MHZ sur le défaut d’exécution, par la Commission européenne, d’une évaluation des incidences sur les droits de l’homme avant la conclusion de l’accord de libre-échange UE-Viêt Nam,
– vu l’article 135, paragraphe 5, et l’article 123, paragraphe 4, de son règlement intérieur,
A. considérant que selon la base de données sur les prisonniers politiques vietnamiens mise en place par The 88 Project, le nombre de militants qui purgent une peine d’emprisonnement au Viêt Nam est d’environ 116, tandis que quelque 16 militants sont détenus dans l’attente de leur procès;
B. considérant que les autorités vietnamiennes continuent d’emprisonner, d’arrêter, de harceler et d’intimider des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des blogueurs, des avocats spécialisés dans la défense des droits fondamentaux ainsi que des militants de la société civile dans le pays; que des défenseurs des droits de l’homme ont été condamnés à des peines de prison pour leurs activités en faveur des droits de l’homme et pour avoir exercé leur liberté d’expression, en ligne ou hors ligne, en infraction des obligations qui incombent au pays en vertu du droit international;
C. considérant que les militants politiques et les défenseurs des droits de l’homme sont confrontés à des conditions de détention brutales et se voient notamment refuser l’accès à des soins médicaux, à un conseil juridique et à des contacts familiaux;
D. considérant que la liberté de religion ou de conviction est réprimée au Viêt Nam et que l’Église catholique et les religions non reconnues, telles que l’Église bouddhiste unifiée du Viêt Nam, plusieurs Églises protestantes et d’autres, y compris la minorité ethno-religieuse des Montagnards, continuent de subir une grave persécution religieuse;
E. considérant que Hoang Duc Binh a été condamné à 14 ans de prison pour avoir écrit un blog sur les manifestations contre la catastrophe provoquée par Formosa; que Nguyen Nam Phong a été condamné à deux ans de prison pour avoir prétendument refusé d’obéir aux ordres d’agents publics alors qu'il se rendait à une manifestation; que ceux-ci ont largement contribué à sensibiliser l’opinion publique et à veiller à ce que Formosa ait à rendre des comptes pour le déversement de produits toxiques par son aciérie;
F. considérant qu’en avril 2018, des membres de la Confrérie pour la démocratie ont été condamnés à des peines de prison allant de sept à quinze ans dans le cadre d'une application étendue des dispositions du code pénal relative à la sécurité nationale; considérant qu’en septembre 2018, Nguyen Trung Truc, un autre membre de ce groupe, a été accusé de tentative de coup d’État et condamné à 12 ans de prison;
G. considérant que M. Le Dinh Luong, un défenseur des droits de l’homme qui s’est pacifiquement engagé dans l’action en faveur des droits de l’homme et leur protection, a été condamné le 16 août 2018, en vertu des dispositions du code pénal relatives à la sécurité nationale, à 20 ans de prison; que des représentants de la délégation de l’Union et des ambassades d’États membres de l’Union n’ont pas été autorisés à assister au procès; que de nombreux défenseurs des droits de l’homme et autres prisonniers d’opinion subissent un sort similaire;
H. considérant que le 12 avril 2018, un groupe d’experts des Nations unies, le rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, le président et rapporteur du groupe de travail sur la détention arbitraire et le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, ont pressé les autorités vietnamiennes de ne pas réprimer la société civile ni bâillonner l’opposition;
I. considérant que le code pénal du Viêt Nam contient des dispositions répressives qui sont appliquées de manière abusive pour réduire au silence, arrêter, détenir et condamner ou entraver les activités de défenseurs des droits de l’homme, de membres de l’opposition, d’avocats, de syndicalistes, de membres de groupes religieux ou d’organisations non gouvernementales, notamment ceux qui expriment des opinions critiques à l’égard du gouvernement vietnamien;
J. considérant que le gouvernement vietnamien continue d’interdire les médias indépendants ou privés et qu'il exerce un contrôle strict sur les stations de radio, les chaînes de télévision et les publications imprimées; qu’en avril 2016, l’Assemblée nationale a adopté une loi sur les médias qui restreint sensiblement la liberté de la presse au Viêt Nam;
K. considérant que le 12 juin 2018, l’Assemblée nationale du Viêt Nam a adopté une loi sur la cybersécurité qui vise à resserrer les contrôles en ligne et qui contraint les fournisseurs d’accès à supprimer les publications en ligne considérées comme une «menace» pour la sécurité nationale; que cette loi impose de sévères restrictions à la liberté d’expression en ligne et qu’elle vise à mettre sérieusement à mal le droit au respect de la vie privée;
L. considérant que le 1er janvier 2018, la toute première loi vietnamienne sur les croyances et la religion est entrée en vigueur et a contraint tous les groupes religieux du pays à s’enregistrer auprès des autorités et à les informer de leurs activités; que les autorités peuvent rejeter ou bloquer les demandes d’enregistrement et interdire les activités religieuses qu’elles jugent arbitrairement contraires à l’«intérêt national», à l’«ordre public» ou à l’«unité nationale»; qu’avec cette loi, le gouvernement a institutionnalisé l'ingérence dans les affaires religieuses et le contrôle de l’État sur les groupes religieux;
M. considérant que le Viêt Nam occupe la 175e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2018 réalisé par Reporters sans frontières;
N. considérant que la peine de mort continue d’être appliquée au Viêt Nam mais que le nombre d’exécutions est inconnu, les autorités vietnamiennes considérant que les statistiques sur la peine capitale constituent un secret d’État; que le Viêt Nam a réduit le nombre de crimes passibles de la peine de mort de 22 à 18 en janvier 2018;
O. que le Viêt Nam n’a pas encore ratifié les conventions fondamentales de l’OIT, à savoir la convention 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective, la convention 105 sur l’abolition du travail forcé et la Convention 87 sur la liberté syndicale et le droit d'organisation;
P. considérant que le dialogue UE-Viêt Nam sur les droits de l’homme constitue un moyen important pour mener un débat de fond sur les préoccupations de l’Union, notamment le respect des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique; que la relation entre l’Union européenne et le Viêt Nam doit être fondée sur le respect des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que sur le respect des normes internationales y afférentes;
Q. considérant qu’il existe un lien manifeste entre l’accord de partenariat et de coopération (APC) et l’accord de libre-échange (ALE) UE-Viêt Nam, dans le cadre desquels les deux parties se sont engagées à respecter les obligations qui leur incombent en matière de droits de l’homme;
1. condamne les violations persistantes des droits de l’homme au Viêt Nam, notamment les condamnations, l'intimidation politique, la surveillance, le harcèlement, les agressions et les procès inéquitables subis par des militants politiques, des journalistes, des blogueurs, des membres de l’opposition, des dissidents et des défenseurs des droits de l’homme pour avoir exercé leur liberté d’expression, en ligne ou hors ligne, autant d’actes qui enfreignent manifestement les obligations internationales qui incombent au Viêt Nam;
2. demande aux autorités vietnamiennes de libérer immédiatement et sans condition tous les défenseurs des droits de l’homme et prisonniers d’opinion détenus ou condamnés pour avoir simplement exercé leur liberté d’expression, parmi lesquels Hoang Duc Binh, Nguyen Nam Phong, Nguyen Trung Truc et Le Dinh Luong, et d’abandonner toutes les charges retenues contre eux;
3. invite une nouvelle fois les autorités vietnamiennes à lever toutes les restrictions et à mettre un terme au harcèlement à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme et à garantir en toutes circonstances que ceux-ci puissent poursuivre leurs activités légitimes en faveur des droits de l’homme sans craindre de représailles et sans restrictions, et notamment sans harcèlement judiciaire; demande au gouvernement du Viêt Nam de lever toutes les restrictions qui pèsent sur la liberté de religion et de mettre un terme au harcèlement des communautés religieuses;
4. presse le gouvernement vietnamien de garantir que le traitement de tous les prisonniers est conforme aux normes internationales; souligne que le droit d’accès à des avocats, à des professionnels de la santé et aux membres de la famille est un garde-fou important contre la torture et les mauvais traitements, et qu'il est indispensable au regard du droit à un procès équitable;
5. condamne le recours abusif aux dispositions répressives restreignant les libertés et les droits fondamentaux; demande aux autorités du Viêt Nam d’abroger, de réviser ou de modifier toutes les lois répressives, notamment son code pénal, la loi sur la cybersécurité et la loi sur les croyances et la religion, et de veiller à ce que l'intégralité de sa législation soit conforme aux normes et obligations en matière de droits de l’homme, y compris le pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Viêt Nam est partie; prie le gouvernement de mettre la législation régissant les rassemblements et les manifestations en conformité avec les droits de réunion et d’association;
6. demande au Viêt Nam de signer et de ratifier tous les traités pertinents des Nations unies relatifs aux droits de l’homme et le statut de Rome de la Cour pénale internationale, ainsi que les conventions nº 87, 98 et 105 de l’OIT;
7. presse le Viêt Nam d’adresser une invitation permanente aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, notamment au rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression et au rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme;
8. demande aux autorités du Viêt Nam de reconnaître les syndicats indépendants;
9. invite l’Union à collaborer avec les autorités et toutes les parties prenantes afin d’améliorer la situation en matière de droits de l’homme, ainsi qu’à assurer un suivi à cet égard;
10. réitère son opposition inconditionnelle à la peine de mort; demande aux autorités vietnamiennes d'introduire immédiatement un moratoire sur les exécutions capitales sur la voie d'une abolition totale; préconise le réexamen de toutes les condamnations à mort prononcées par les autorités afin de garantir que les procès ont été menés conformément aux normes internationales;
11. invite le SEAE et la Commission à soutenir les groupes de la société civile et les citoyens qui défendent activement les droits de l’homme au Viêt Nam, y compris en exigeant la libération des défenseurs des droits de l’homme incarcérés et des prisonniers d'opinion dans le cadre de tous les contacts qu'ils entretiennent avec les autorités vietnamiennes; presse la délégation de l’Union à Hanoï d’apporter tout le soutien nécessaire aux défenseurs des droits de l’homme incarcérés et aux prisonniers d’opinion, notamment en organisant des visites en prison, en surveillant les procès et en apportant une assistance juridique;
12. demande aux États membres de l’Union européenne de redoubler d’efforts pour intervenir en faveur d’améliorations en matière de droits de l’homme au Viêt Nam, y compris dans le contexte du prochain examen périodique universel qui y sera réalisé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies;
13. réitère son appel en faveur d’une interdiction, à l’échelle de l’Union, de l’exportation, de la vente, de la mise à jour et de la maintenance de quelque dispositif de surveillance que ce soit qui puisse être utilisé à des fins de répression, y compris les technologies de surveillance de l’internet, au profit de pays affichant un bilan préoccupant en matière de droits de l’homme;
14. salue le partenariat renforcé et le dialogue entre l’Union et le Viêt Nam dans le domaine des droits de l’homme et rappelle l’importance du dialogue comme outil essentiel qu’il faut manier avec efficacité pour accompagner et encourager le Viêt Nam dans l’application des réformes qui s’imposent; encourage vivement la Commission à surveiller les progrès accomplis au titre du dialogue en introduisant des critères de référence et en mettant en place des mécanismes de suivi;
15. demande au gouvernement vietnamien et à l’Union, en tant que partenaires importants l’un pour l’autre, de s’engager à améliorer la situation en matière de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le pays, car celui-ci constitue une pierre angulaire des relations bilatérales entre le Viêt Nam et l’Union, notamment dans l'optique de la ratification de l’accord de libre-échange UE-Viêt Nam et de la conclusion de l’accord de partenariat et de coopération (APC) UE-Viêt Nam;
16. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au secrétaire général de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), ainsi qu'au gouvernement et à l’Assemblée nationale du Viêt Nam, au Haut-Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies et au Secrétaire général des Nations unies.