Résolution du Parlement européen du 14 novembre 2019 sur la criminalisation de l’éducation sexuelle en Pologne (2019/2891(RSP))
Le Parlement européen,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,
– vu les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies,
– vu la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul), qui a été ouverte à la signature le 11 mai 2011,
– vu la convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (convention de Lanzarote) du 25 octobre 2007,
– vu la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979,
– vu la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989,
– vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après «la charte»),
– vu la déclaration et le programme d’action de Pékin adoptés lors de la quatrième Conférence mondiale des Nations unies sur les femmes, le 15 septembre 1995, ainsi que les documents finaux adoptés lors des sessions spéciales des Nations unies Pékin + 5 (2005), Pékin + 15 (2010) et Pékin + 20 (2015),
– vu la Conférence internationale sur la population et le développement qui s’est tenue en 1994 au Caire, et son programme d’action,
– vu les principes directeurs internationaux de l’Unesco sur l’éducation à la sexualité, de 2018,
– vu les orientations opérationnelles de l’UNFPA (Fonds des Nations unies pour la population) pour l’éducation complète à la sexualité, de 2014,
– vu les normes en matière d’éducation sexuelle en Europe développées par l’Office régional pour l’Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre fédéral allemand d’éducation pour la santé,
– vu le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe du 4 décembre 2017 sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe,
– vu l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 20 juin 2017 dans l’affaire Bayev et autres contre Russie,
– vu la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie(1) et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie(2),
– vu l’enquête sur les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres dans l’Union européenne, publiée en 2019 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA),
– vu ses résolutions précédentes sur la Pologne et, en particulier, sa résolution adoptée le 15 novembre 2017 sur la situation de l’état de droit et de la démocratie en Pologne(3),
– vu le rapport de mission du 10 juillet 2017 de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres rédigé à la suite de sa mission en Pologne du 22 au 24 mai 2017,
– vu le rapport de mission du 3 décembre 2018 de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures rédigé à la suite de l’envoi d’une délégation ad hoc en Pologne sur la situation de l’état de droit (du 19 au 21 septembre 2018),
– vu sa résolution du 13 février 2019 sur le recul des droits des femmes et de l’égalité hommes-femmes dans l’Union(4),
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant qu’une initiative citoyenne en vue d’un acte législatif modifiant l’article 200b du code pénal polonais a été présentée le 17 juillet 2019 à la Diète polonaise par l’initiative Stop Pedofilii («stop à la pédophilie»);
B. considérant que, le 15 octobre 2019, à la suite des élections législatives et de la reprise d’une séance parlementaire suspendue, la Diète a débattu du projet d’acte législatif en première lecture et a refusé, par un vote du 16 octobre 2019, une proposition de rejet du projet d’acte législatif; que l’examen législatif du projet d’acte législatif devrait reprendre à la suite de la séance inaugurale de la Diète nouvellement élue, le 12 novembre 2019;
C. considérant que l’objectif supposé du projet d’acte législatif consiste à modifier la législation existante sur la prévention et la lutte contre la pédophilie; que le raccourci mental selon lequel le fait de fournir aux jeunes une éducation complète à la sexualité revient à promouvoir la pédophilie est alarmant, trompeur et néfaste;
D. considérant que les nouvelles dispositions du projet d’acte législatif prévoient que quiconque promeut ou approuve publiquement le fait que des mineurs aient des rapports sexuels s’expose à une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement;
E. considérant que les dispositions susvisées s’appliquent également aux cas d’utilisation des moyens de communication de masse pour promouvoir ou approuver le fait que des mineurs aient des rapports sexuels ou autre activité sexuelle, ainsi que dans le contexte des professions liées à l’éducation, aux soins ou à la garde ou tutelle de mineurs, avec des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement; que des propositions ont été formulées pour porter ces peines à cinq ans;
F. considérant que de telles dispositions criminaliseraient de fait la fourniture d’une éducation complète à la sexualité aux mineurs sous couvert de prévenir la pédophilie, ce qui aurait un impact, entre autres, sur les éducateurs, les militants, les prestataires de soins de santé, les psychologues, les éditeurs et les journalistes, et même sur les parents ou les tuteurs;
G. considérant que le principe constitutionnel de proportionnalité requiert que le législateur ne jouisse pas d’un pouvoir discrétionnaire illimité dans l’élaboration de règles de droit pénal et qu’il ne doit être recouru au droit pénal qu’en dernier ressort (principe d’ultima ratio); que ce projet d’acte législatif violerait ledit principe;
H. considérant que la Pologne a ratifié la convention d’Istanbul, la convention de Lanzarote, la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la convention internationale des droits de l’enfant, et qu’elle est tenue, en vertu de la législation internationale en matière de droits de l’homme, de fournir accès à une éducation et des informations complètes sur la sexualité, y compris sur les risques d’exploitation et d’abus sexuels, et de remettre en question les stéréotypes de genre dans la société;
I. considérant que la fourniture d’une certaine forme d’éducation à la sexualité et à la santé est déjà obligatoire dans 20 États membres; que certains États membres, y compris la Pologne, n’ont pas respecté les normes en matière d’éducation sexuelle en Europe développées par l’OMS;
J. considérant qu’une éducation complète à la sexualité constitue un processus fondé sur un programme consistant à enseigner et à apprendre les aspects cognitifs, émotionnels, physiques et sociaux de la sexualité, dans le but de fournir aux enfants et aux jeunes des connaissances, des compétences, des modes de comportement et des valeurs qui leur permettront de préserver leur santé, leur bien-être et leur dignité; qu’une éducation complète à la sexualité permettrait aux enfants et aux jeunes de développer des relations sociales et sexuelles fondées sur le respect tout en leur permettant de réfléchir à la manière dont leurs choix affectent leur propre bien-être mais aussi celui d’autrui; qu’elle permettrait également aux enfants et aux jeunes de comprendre leurs droits et de veiller au respect de ces droits tout au long de leur vie;
K. considérant que la fourniture d’une éducation complète à la sexualité constitue l’un des principaux instruments permettant d’honorer les engagements pris à l’occasion du 25e anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD25), à savoir répondre à tous les besoins en matière de planification familiale, éradiquer la mortalité maternelle évitable, faire disparaître la violence sexiste et les pratiques nuisibles à l’égard des femmes, des filles et des jeunes;
L. considérant que, conformément à la charte des droits fondamentaux, la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la santé sexuelle et génésique des femmes est liée à de multiples droits de l’homme, y compris le droit à la vie et à la dignité, le droit à la protection contre des traitements inhumains ou dégradants, le droit d’accès aux soins de santé, le droit à la vie privée, le droit à l’éducation et l’interdiction de la discrimination, ainsi que le reflète également la Constitution polonaise;
M. considérant que le projet d’acte législatif peut être vu comme une tentative de limiter les droits sexuels et reproductifs en Pologne ces dernières années; qu’il a été mis un terme à la tentative visant à limiter encore plus le droit à l’avortement en 2018, à la suite de l’opposition massive des citoyens polonais qui s’est exprimée lors des marches dites du «vendredi noir»;
N. considérant que la Cour européenne des droits de l’homme a statué que, dans des domaines aussi sensibles que le débat public sur l’éducation sexuelle, dans lesquels il convient de mettre en balance les opinions des parents, la politique éducative ainsi que le droit des tiers à la liberté d’expression, les autorités se voient contraintes de recourir aux critères de l’objectivité, du pluralisme, de l’exactitude scientifique et, in fine, de l’utilité d’un type donné d’informations pour le jeune public;
O. considérant que de nombreux enfants et adolescents tirent leurs premiers enseignements sur les relations intimes de la pornographie, en particulier en ligne, et de messages contradictoires émanant de leurs pairs; que, dans ce contexte, l’éducation à la sexualité est d’autant plus essentielle pour fournir aux jeunes les outils dont ils ont besoin afin de surfer en toute sécurité sur internet et les réseaux sociaux, et ne pas être victimes de sollicitation en ligne à des fins sexuelles, pour les aider à comprendre les contenus qu’ils voient et à identifier les informations fondées sur des faits ainsi qu’à repérer la présence de stéréotypes de genre mais aussi le sexisme;
P. considérant que les mineurs peuvent être confrontés à des obstacles à l’accès à la contraception, comme des lois et politiques restrictives en ce qui concerne la fourniture de contraceptifs, qui s’ajoutent à un manque de connaissances; que, même lorsque les adolescents sont en mesure d’obtenir des contraceptifs, ils peuvent en être empêchés en raison de la stigmatisation qui entoure l’activité sexuelle hors mariage et/ou l’utilisation d’une contraception, la peur des effets secondaires ou le manque de connaissances sur la manière d’utiliser correctement les contraceptifs; qu’en vertu de la législation polonaise relative à l’âge du consentement, les adolescents de plus de 15 ans sont légalement à même de consentir à des actes sexuels; qu’ils ont toutefois encore besoin de l’accord de leur parent ou tuteur pour recevoir une ordonnance de contraceptifs;
Q. considérant que la violence sexuelle est répandue, qu’elle affecte tout particulièrement les mineurs, et qu’elle doit être éliminée; que les grossesses adolescentes demeurent un problème social majeur et qu’elles peuvent contribuer à la mortalité maternelle et infantile; qu’une éducation complète à la sexualité contribue à déconstruire les stéréotypes de genre et à prévenir la violence sexiste;
1. rappelle que la santé sexuelle est fondamentale pour la santé et le bien-être généraux des individus, des couples et des familles, en sus du développement social et économique des populations et des pays, et que l’accès à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive, fait partie des droits de l’homme;
2. est très préoccupé par les dispositions extrêmement vagues, vastes et disproportionnées figurant dans le projet d’acte législatif, qui cherche de facto à criminaliser la diffusion d’un enseignement sur la sexualité aux mineurs et dont la teneur menace potentiellement tout un chacun, et en particulier les personnes fournissant une éducation sur la sexualité, y compris les enseignants, les soignants, les auteurs, les éditeurs, les organisations de la société civile, les journalistes et les parents ou tuteurs, d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans pour avoir fourni un enseignement sur la sexualité humaine, la santé et les relations intimes; demeure préoccupé par le fait que ce projet d’acte législatif risque de dissuader les éducateurs, et que l’un des principaux obstacles à l’éducation à la sexualité est le manque de soutien aux éducateurs;
3. réaffirme avec vigueur que l’accès à des informations complètes, et adaptées à l’âge de la personne ciblée, sur le sexe et la sexualité ainsi que l’accès à des soins de santé sexuelle et reproductive, y compris l’éducation à la sexualité, les services de planification familiale, les méthodes de contraception et un avortement sûr et légal, sont essentiels pour faire en sorte que l’approche de la sexualité et des relations sexuelles soit positive et respectueuse, en sus de la possibilité d’avoir des expériences sexuelles sûres, exemptes de coercition, de discrimination et de violence; encourage tous les États membres à mettre en place une éducation sexuelle et relationnelle qui soit complète et adaptée à l’âge des élèves dans les écoles;
4. rappelle que cette éducation représente une partie nécessaire du programme scolaire pour satisfaire aux normes de l’OMS pour que l’Europe éduque et protège les jeunes; affirme que cette éducation devrait comprendre des thèmes tels que l’orientation sexuelle et l’identité de genre, l’expression sexuelle, la vie relationnelle et le consentement, ainsi que des informations sur les risques ou les maladies telles que les infections sexuellement transmissibles (IST) et le VIH, les grossesses non désirées, la violence sexuelle et les pratiques néfastes telles que la sollicitation en ligne à des fins sexuelles et les mutilations génitales féminines;
5. rappelle que l’éducation, en sus d’être un droit fondamental en soi, constitue une condition sine qua non pour jouir d’autres droits et libertés fondamentaux tels que les garantissent l’article 2 du traité sur l’Union européenne, la Constitution polonaise et la charte; souligne que, plutôt que de protéger les jeunes, le manque d’informations et d’éducation sur le sexe et la sexualité nuit à la sécurité et au bien-être des jeunes en les rendant plus vulnérables et moins bien armés pour repérer l’exploitation sexuelle, les abus et la violence, y compris la violence domestique et les formes d’abus en ligne telles que la cyberviolence, le harcèlement en ligne et la «vengeance pornographique» (revenge porn); est convaincu qu’une éducation complète à la sexualité a également une incidence positive sur l’égalité entre hommes et femmes, notamment en faisant évoluer les normes de genre néfastes et les attitudes à l’égard de la violence sexiste, en contribuant à prévenir la violence exercée par un partenaire et la contrainte sexuelle, en brisant le silence qui entoure la violence sexuelle, l’exploitation sexuelle ou les abus sexuels, et en mettant les jeunes en position de demander de l’aide;
6. souligne l’importance de l’éducation à la santé et à la sexualité, en particulier pour les jeunes filles et les jeunes LGBTI, qui sont tout particulièrement victimes des normes inéquitables de genre; souligne que, dans le cadre de cette éducation, il convient notamment d’apprendre aux jeunes des modes de relations fondées sur l’égalité des genres, le consentement et le respect mutuel pour prévenir et combattre les stéréotypes de genre, l’homophobie, la transphobie et la violence sexiste; fait observer que l’éducation à la sexualité n’entraîne pas d’abaissement de l’âge des premières activités sexuelles;
7. rappelle que l’article 23 de la directive 2011/93/UE invite les États membres, y compris la Pologne, à prendre des mesures appropriées en coopération avec des organisations pertinentes de la société civile afin de sensibiliser l’opinion et de réduire le risque que des enfants ne deviennent victimes d’abus sexuels ou d’exploitation sexuelle;
8. reconnaît l’importance du rôle de la société civile dans la fourniture d’une éducation à la sexualité; demande que des financements adéquats soient mis à la disposition des organisations concernées via différents instruments de financement au niveau de l’Union européenne, comme le cadre financier pluriannuel, le programme «Droits et valeurs» 2021-2027 et d’autres projets pilotes de l’Union qui pourraient avoir une incidence dans ce domaine;
9. condamne les récentes tendances en Pologne consistant à désinformer sur l’éducation à la sexualité, à la stigmatiser et à l’interdire, et en particulier le contenu virulent, inapproprié et fallacieux de la justification avancée par le projet d’acte législatif; invite le parlement polonais à ne pas adopter le projet d’acte législatif en question et à veiller à ce que les jeunes aient accès à une éducation complète à la sexualité, et à ce que les personnes fournissant ce type d’éducation et d’informations soient soutenues dans ces activités de manière concrète et objective;
10. demande au Conseil d’agir dans ce domaine et de prendre des mesures concernant d’autres allégations de violation des droits fondamentaux en Pologne dans le contexte de ses auditions actuelles sur la situation en Pologne, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne;
11. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission et au Conseil, au président, au gouvernement et au parlement de la Pologne ainsi qu’aux gouvernements et aux parlements des États membres.