Résolution du Parlement européen du 26 novembre 2020 sur l’interdiction de fait du droit à l’avortement en Pologne (2020/2876(RSP))
Le Parlement européen,
– vu le traité sur l’Union européenne (traité UE), et notamment son article 2 et son article 7, paragraphe 1,
– vu la convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en la matière,
– vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne («la charte»),
– vu la Constitution de la République de Pologne,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,
– vu le pacte international des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) du 16 décembre 1966 et le pacte international des Nations unies relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) du 16 décembre 1966,
– vu la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 décembre 1979,
– vu la convention des Nations unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
– vu les observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations unies du 23 novembre 2016 sur le septième rapport périodique de la Pologne,
– vu les principes directeurs internationaux de l’Unesco sur l’éducation à la sexualité du 10 janvier 2018,
– vu la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) qui s’est tenue en 1994 au Caire, son programme d’action, les conclusions de ses conférences d’examen et le sommet de Nairobi de 2019 sur la CIPD 25,
– vu la déclaration et la plate-forme dʼaction de Beijing adoptées lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, le 15 septembre 1995, ainsi que les documents en résultant adoptés lors des sessions spéciales des Nations unies Beijing +10 (2005), Beijing +15 (2010) et Beijing +20 (2015),
– vu la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul), entrée en vigueur le 1er août 2014, ainsi que la résolution du Parlement du 28 novembre 2019 sur l’adhésion de l’Union européenne à la convention d’Istanbul et d’autres mesures de lutte contre la violence à caractère sexiste(1),
– vu les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, approuvés en 2015,
– vu le document thématique du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe intitulé «Santé et droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe», du 4 décembre 2017,
– vu les conclusions du colloque annuel de 2017 sur les droits fondamentaux intitulé «Les droits des femmes en ces temps troublés», organisé par la Commission,
– vu les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé relatives à la santé et aux droits des adolescents en matière de sexualité et de reproduction, de 2018,
– vu le rapport de mission du 10 juillet 2017 de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres rédigé à la suite de sa mission en Pologne du 22 au 24 mai 2017, ainsi que le rapport de mission du 3 décembre 2018 de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures rédigé à la suite de l’envoi d’une délégation ad hoc en Pologne sur la situation de l’état de droit (du 19 au 21 septembre 2018),
– vu ses résolutions antérieures sur la Pologne, notamment sa résolution du 15 novembre 2017 sur la situation de l’état de droit et de la démocratie en Pologne(2) et sa résolution du 17 septembre 2020 sur la proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit(3),
– vu les quatre procédures d’infraction engagées par la Commission contre la Pologne dans le cadre de la réforme du système judiciaire polonais et la proposition de décision du Conseil du 20 décembre 2017 relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit (COM(2017)0835),
– vu sa résolution du 1er mars 2018 sur la décision de la Commission de déclencher l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne en ce qui concerne la situation en Pologne(4),
– vu sa résolution du 14 novembre 2019 sur la criminalisation de l’éducation sexuelle en Pologne(5),
– vu ses résolutions législatives du 4 avril 2019 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’état de droit dans un État membre(6) et du 17 avril 2019 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme «Droits et valeurs»(7),
– vu sa résolution du 13 février 2019 sur le recul des droits des femmes et de l’égalité hommes-femmes dans l’Union(8),
– vu sa résolution du 18 décembre 2019 sur la discrimination publique et le discours de haine à l’égard des personnes LGBTI, notamment les «zones sans LGBTI»(9),
– vu sa résolution du 17 avril 2020 sur une action coordonnée de l’Union pour combattre la pandémie de COVID-19 et ses conséquences(10),
– vu le rapport 2020 de la Commission sur l’état de droit du 30 septembre 2020, intitulé «La situation de l’état de droit dans l’Union européenne» (COM(2020)0580) et le chapitre national sur la situation de l’état de droit en Pologne,
– vu la lettre adressée par les présidents des cinq groupes de la majorité du Parlement européen au Premier ministre polonais le 30 octobre 2020(11),
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que l’Union se déclare fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de justice, d’état de droit, de respect des droits de l’homme et de non-discrimination, conformément à l’article 2 du traité UE; que chaque État membre a contracté des obligations et des devoirs en vertu du droit international et des traités de l’Union aux fins de respecter, garantir et mettre en œuvre les droits fondamentaux;
B. considérant qu’un système judiciaire efficace, indépendant et impartial est essentiel pour garantir l’état de droit et la protection des droits fondamentaux et des libertés civiles des personnes dans l’UE;
C. considérant que l’égalité de traitement et la non-discrimination sont des droits fondamentaux inscrits dans les traités et dans la charte, qui doivent être pleinement respectés; que, conformément à la charte, à la convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les droits des femmes en matière de sexualité et de procréation sont liés à de multiples droits de l’homme, tels que le droit à la vie, le droit à la protection contre des traitements inhumains ou dégradants, le droit d’accès aux soins de santé, le droit à la vie privée, le droit à l’information et à l’éducation et l’interdiction de la discrimination; que ces droits de l’homme figurent également dans la Constitution polonaise;
D. considérant que le Parlement a traité la question de la santé sexuelle et génésique et des droits en la matière dans le programme «L’UE pour la santé», adopté récemment, afin de garantir en temps utile l’accès aux produits nécessaires au respect, en toute sécurité, de la santé sexuelle et génésique et des droits en la matière (par exemple les médicaments, les contraceptifs et le matériel médical);
E. considérant que le Tribunal constitutionnel a été établi comme l’un des éléments centraux garantissant l’équilibre des pouvoirs de la démocratie constitutionnelle et l’état de droit en Pologne ;
F. considérant que le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et le comité des droits des personnes handicapées des Nations unies ont publié en août 2018 une déclaration commune dans laquelle ils soulignent que l’accès à l’avortement légal et sans risque, ainsi qu’aux services et aux informations qui s’y rapportent, est essentiel à la santé génésique des femmes, et demandent instamment aux pays de mettre un terme aux restrictions visant la santé et les droits des femmes et des filles en matière de sexualité et de procréation, car ces restrictions menacent leur santé et leur vie; que l’accès à l’avortement est un droit de l’homme et que retarder ou refuser l’exercice de ce droit est une forme de violence sexiste et peut s’apparenter à de la torture ou à un traitement cruel, inhumain et dégradant; que la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation figurent parmi les cibles de l’ODD no 3 des Nations unies, et la lutte contre les violences sexistes et les pratiques préjudiciables parmi celles de l’ODD no 5;
G. considérant que l’accès à des informations complètes et adaptées à l’âge de la personne ciblée, l’éducation à la vie sexuelle et relationnelle, et l’accès à la santé et aux droits en matière de sexualité et de procréation, et notamment aux services de planification familiale, aux méthodes de contraception et à un avortement sûr et légal, ainsi que l’autonomie des filles et des femmes et leur capacité à prendre des décisions de manière libre et indépendante en ce qui concerne leur corps et leur vie constituent des conditions préalables à leur indépendance économique et sont donc essentiels en vue de parvenir à l’égalité entre les hommes et les femmes et d’éliminer les violences sexistes; qu’il s’agit de leur corps et donc de leur choix;
H. considérant que la Pologne a ratifié la convention d’Istanbul, la convention de Lanzarote, le PIDCP, le PIDESC et la convention relative aux droits de l’enfant et qu’elle est tenue, en vertu de la législation internationale en matière de droit de l’homme, de donner accès à une éducation et à des informations complètes sur la sexualité, y compris sur les risques d’exploitation et d’abus sexuels, et de remettre en question les stéréotypes de genre dans la société; que la Pologne n’a pas mis en œuvre les arrêts de la CEDH relatifs à l’accès légal à l’avortement; que le comité des ministres du Conseil de l’Europe a critiqué la Pologne pour son manque de progrès à cet égard;
I. considérant que de nombreuses différences existent entre les États membres en ce qui concerne l’accès à l’avortement; que la Pologne affiche l’un des résultats les plus faibles de l’Union européenne dans l’atlas européen de la contraception 2020, car elle applique l’une des politiques les plus restrictives en matière d’accès aux moyens contraceptifs, de planification familiale, d’assistance psychologique et de mise à disposition d’informations en ligne; que la Pologne est l’un des rares pays à exiger une prescription pour la contraception d’urgence, que les médecins refusent souvent d’établir en raison de leurs convictions personnelles;
J. considérant que depuis l’arrêt du Tribunal constitutionnel de 2015 portant sur la loi du 5 décembre 1996 relative aux professions de médecin et de dentiste, ni les professionnels de santé ni les établissements de soins de santé ne sont tenus légalement de fournir aux patients les noms d’autres structures ou d’autres professionnels lorsqu’ils refusent à un patient des services en matière de santé sexuelle ou génésique en raison de leurs convictions personnelles; que la version finale de la loi telle que modifiée en juillet 2020 n’inclut pas l’obligation d’orientation, contrairement à ce qui avait été initialement proposé; qu’une telle omission témoigne d’un mépris total pour la recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la CEDH à l’encontre de la Pologne dans le domaine de la santé sexuelle et génésique et des droits en la matière;
K. considérant que, selon des organisations de la société civile telles que la Fédération pour les femmes et la planification familiale, en 2018, seuls 10 % des hôpitaux sous contrat avec le Fonds national de la santé polonais réalisaient des avortements légaux, ce qui signifie que des régions entières de la Pologne refusent de réaliser des avortements sûrs et légaux et qu’il est dès lors extrêmement difficile, voire impossible, pour les femmes d’accéder à ces services;
L. considérant que les médecins en Pologne préfèrent ne pas être associés aux procédures d’avortement par crainte de leurs collègues et des autorités médicales et en raison des pressions exercées par ceux-ci; qu’outre la clause de conscience, à laquelle ils ont fréquemment recours, les médecins mettent en place des obstacles supplémentaires non réglementaires, tels que des examens médicaux non nécessaires et des consultations auprès de psychologues ou d’autres spécialistes, ou limitent le droit des femmes d’accéder à des informations et des tests prénataux, lesquels devraient être garantis à toutes par le système de santé publique;
M. considérant que l’accès aux soins gynécologiques est fortement limité en Pologne et est presque impossible dans certains régions, ce qui entraîne un nombre élevé de grossesses non désirées, des problèmes de santé génésique, une prévalence élevée du cancer du col de l’utérus et un accès insuffisant à la contraception; que l’accès aux soins de santé sexuelle et génésique et les droits des personnes LGBTI+ sont fortement limités; que les personnes transgenres et non-binaires qui ont besoin de soins gynécologiques sont discriminées au sein des structures médicales et se voient souvent refuser l’accès aux soins;
N. considérant que, depuis le début de l’année 2019, en Pologne, plus de 80 régions, districts ou municipalités ont adopté des résolutions anti-LGBTI+ dans lesquelles ils déclarent ne pas adhérer à ce qu’ils qualifient d’«idéologie LGBT» ou ont adopté tout ou partie des «chartes régionales des droits de la famille», ce qui constitue une discrimination, en particulier à l’encontre des parents célibataires ainsi que des parents et des personnes LGBTI+, et, de facto, une restriction de la liberté de circulation de ces citoyens de l’Union;
O. considérant que, selon les estimations, jusqu’à 200 000 femmes interrompent leur grossesse chaque année en Pologne et sont contraintes de subir des avortements clandestins, pour lesquels elles ont principalement recours à des pilules abortives médicales et ne bénéficient pas du suivi et des conseils médicaux professionnels nécessaires; que, selon les estimations, jusqu’à 30 000 femmes chaque année sont contraintes de se rendre à l’étranger depuis la Pologne pour recevoir les soins dont elles ont besoin et solliciter un avortement(12); que l’accès à ces soins est subordonné au paiement des services, ce qui signifie qu’ils ne sont pas accessibles de la même manière à toutes les femmes, en particulier aux femmes défavorisées sur le plan socio-économique et aux migrantes en situation irrégulière; que seul un groupe restreint de femmes en Pologne a accès à un avortement sans risques;
P. considérant que, le 22 octobre 2020, le Tribunal constitutionnel polonais, saisi par 119 députés au Parlement polonais soutenus par des mouvements qui se disent «pro-vie», a jugé inconstitutionnelle la disposition de la loi de 1993 sur le planning familial, la protection du fœtus et les conditions d’interruption de grossesse qui permet d’avorter lorsqu’un examen prénatal ou d’autres considérations médicales mettent en évidence une forte probabilité de malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui met en danger la vie de ce dernier;
Q. considérant qu’une forte probabilité d’anomalie grave et irréversible ou de maladie incurable du fœtus constituait la base juridique de 1 074 interruptions de grossesse sur les 1 110 pratiquées en 2019, tandis que dans les autres cas la grossesse mettait en danger la vie ou la santé de la femme ou résultait d’un acte prohibé, c’est-à-dire un viol, qui sont les seuls autres cas autorisés en vertu de la loi de 1993 sur le planning familial;
R. considérant que la décision entrera en application dès sa publication, qui est obligatoire en vertu de la législation polonaise, et qu’une fois publiée elle entraînera une interdiction presque totale du droit à l’avortement en Pologne, criminalisant l’avortement et entraînant l’essor des avortements clandestins et dangereux et des voyages à l’étranger pour avorter, qui ne sont accessibles qu’à certaines personnes, compromettant ainsi la santé et les droits des femmes et mettant leur vie en danger; que, bien que cette décision n’ait pas encore été publiée, de nombreuses femmes enceintes qui ont été informées qu’il existait une forte probabilité que leur fœtus présente une anomalie grave et irréversible ou une maladie incurable ont vu leur accès à l’avortement légal limité;
S. considérant que cette décision constitue une nouvelle attaque contre l’état de droit et les droits fondamentaux et une tentative supplémentaire de limiter l’accès à la santé et aux droits en matière de sexualité et de procréation en Pologne, parmi bien d’autres ces dernières années; que ces tentatives ont initialement été interrompues en 2016, 2018 et 2020 en raison de l’opposition massive des citoyens polonais qui s’est manifestée lors des marches dites «du vendredi noir», lesquelles ont reçu un large soutien de la part de députés au Parlement européen issus de différents groupes politiques;
T. considérant que l’arrêt a été rendu à un moment où, en raison de la deuxième vague de la pandémie de COVID-19, tous les États membres de l’Union, Pologne comprise, avaient adopté des restrictions liées à la santé publique qui constituaient une sérieuse entrave à tout débat démocratique digne de ce nom et à toute procédure régulière, ce qui est crucial pour les questions relatives aux droits fondamentaux;
U. considérant qu’en dépit des restrictions et des risques sanitaires, des manifestations sans précédent ont eu lieu en Pologne et dans le monde pour protester contre cette décision; que des milliers de manifestants continuent de protester contre de graves restrictions qui compromettent leurs droits fondamentaux en matière de droits sexuels et génésiques; que la police antiémeute et la gendarmerie ont été déployées pour contrôler les manifestations et que les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force et de la violence physique contre des manifestants pacifiques, parmi lesquels des députés polonais nationaux et au Parlement européen; que ces actions sont contraires aux obligations qui incombent au gouvernement polonais en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, y compris la charte, qui garantit le droit de réunion pacifique, et aux lignes directrices du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, qui disposent qu’en règle générale, l’armée ne devrait pas être utilisée pour assurer l’ordre lors de rassemblements;
V. considérant que les autorités publiques ont eu recours à des menaces pour empêcher les citoyens polonais et les personnes vivant en Pologne de participer à des manifestations, y compris d’importantes amendes financières, tandis que le procureur national et le ministre de la Justice, Zbigniew Ziobro, ont annoncé que des poursuites pénales susceptibles d’aboutir à une peine de prison pouvant aller jusqu’à huit ans seraient engagées à l’encontre des organisateurs des manifestations; que de nombreux manifestants ont été détenus illégalement, parmi lesquels des mineurs;
W. considérant que le 28 octobre 2020, le vice-premier ministre Jarosław Kaczyński a lancé un encouragement à défendre les valeurs traditionnelles polonaises et à protéger les églises «à tout prix», ce qui a conduit à des actes d’agression contre les manifestants par des hooligans nationalistes; considérant qu’en Pologne, les valeurs culturelles et religieuses sont donc utilisées abusivement pour empêcher la pleine réalisation des droits des femmes, de l’égalité des femmes et de leur droit de disposer de leurs corps; que l’organisation fondamentaliste Ordo Iuris, étroitement liée à la coalition au pouvoir, joue un rôle moteur dans les campagnes visant à porter atteinte aux droits de l’homme et à l’égalité entre les hommes et les femmes en Pologne, notamment par des tentatives d’interdire l’avortement, des demandes de retrait de la Pologne de la convention d’Istanbul et de création de «zones sans LGBTI»;
X. considérant que, selon des sondages récents, la majorité des citoyens polonais soutiennent le droit d’accès à l’avortement sur demande jusqu’à la 12e semaine; que les manifestants demandent également la démission du gouvernement en raison de ses attaques répétées contre l’état de droit; que les manifestations ont été principalement organisées et coordonnées par des organisations dirigées par des femmes, des militants et des organisations de la société civile, avec le soutien de l’opposition politique polonaise; considérant que la proposition du président polonais de légiférer sur l’avortement à la suite des manifestations ne donne pas satisfaction;
Y. considérant que les lois du Parlement polonais concernant le Tribunal constitutionnel adoptées le 22 décembre 2015 et le 22 juillet 2016, ainsi que le paquet de trois actes adoptés à la fin de 2016, ont gravement porté atteinte à l’indépendance et à la légitimité du Tribunal constitutionnel; que les lois du 22 décembre 2015 et du 22 juillet 2016 ont été déclarées inconstitutionnelles par ce dernier, respectivement le 9 mars 2016 et le 11 août 2016; que ces arrêts n’avaient alors pas été publiés ni mis en œuvre par les autorités polonaises; que le caractère constitutionnel des lois polonaises ne peut plus être efficacement garanti en Pologne depuis l’entrée en vigueur des modifications législatives susmentionnées(13);
Z. considérant que l’arrêt susmentionné a été rendu par des juges élus par des responsables politiques de la coalition dirigée par le PiS (Droit et justice) et totalement dépendants de ces derniers; que le maréchal du Sénat polonais a estimé que la décision était inexistante et a invité le gouvernement à ne pas la publier, notamment parce qu’elle va à l’encontre des obligations de la Pologne en matière de droits de l’homme et qu’elle n’est pas conforme à la législation précédente sur la constitution polonaise, ainsi qu’en raison des nominations illégales de trois juges et du président du Tribunal constitutionnel(14);
AA. considérant que la Commission et le Parlement ont exprimé de vives préoccupations concernant l’état de droit, y compris la légitimité, l’indépendance et l’efficacité du Tribunal constitutionnel; que la Commission a déclenché une procédure au titre de l’article 7, paragraphe 1, à la suite des réformes du système judiciaire de 2015 en Pologne;
1. condamne vivement l’arrêt du Tribunal constitutionnel et le recul de la santé et des droits des femmes en matière de sexualité et de procréation en Pologne; affirme que l’arrêt met en péril la santé et la vie des femmes; rappelle qu’il a vivement critiqué toute proposition législative ou restriction visant à interdire et à limiter davantage l’accès à l’avortement légal et sûr en Pologne, ce qui se rapproche de l’interdiction de l’accès aux soins en cas d’avortement en Pologne, étant donné que la plupart des avortements légaux sont effectués en raison d’un défaut fœtal grave et irréversible ou d’une maladie incurable qui menace la vie du fœtus; rappelle que l’accès universel aux soins de santé et aux droits sexuels et génésiques sont des droits humains fondamentaux;
2. note que la restriction ou l’interdiction du droit à l’avortement n’élimine nullement l’avortement, mais se borne à le pousser dans la clandestinité et à entraîner une augmentation des avortements illégaux, dangereux, dissimulés et présentant un risque mortel; insiste sur le fait que l’avortement ne devrait pas être inclus dans le code pénal, car cela a un effet dissuasif sur les médecins, qui s’abstiennent par la suite de fournir des services de santé génésique et sexuelle et génésique par crainte de sanctions pénales;
3. déplore que l’arrêt ait été rendu à une époque où les restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19 portaient gravement atteinte aux processus démocratiques légitimes; critique vivement l’interdiction restrictive des assemblées publiques, entrée en vigueur sans l’introduction d’un état de catastrophe naturelle, comme le prévoit pourtant l’article 232 de la constitution polonaise;
4. rappelle que les droits des femmes sont des droits fondamentaux et que les institutions européennes et les États membres sont donc légalement tenus de les respecter et de les protéger conformément aux traités et à la charte, ainsi qu’au droit international;
5. relève que l’excès injustifié de restrictions à l’accès à l’avortement résultant de l’arrêt susmentionné du Tribunal constitutionnel ne protège pas la dignité inhérente et inaliénable des femmes, puisqu’il enfreint la charte, la CEDH, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, de nombreuses conventions internationales dont la Pologne est signataire ainsi que la constitution de la République de Pologne;
6. prie instamment le Parlement et les autorités polonaises de s’abstenir de toute nouvelle tentative de restriction des droits sexuels et génésiques, étant donné que de telles mesures sont contraires au principe de non-régression prévu par le droit international; affirme résolument que le déni de la santé et des droits génésiques et sexuels est une forme de violence à caractère sexiste; invite les autorités polonaises à prendre des mesures pour mettre pleinement en œuvre les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires contre la Pologne, qui a jugé à plusieurs reprises que les lois restrictives en matière d’avortement constituent une violation des droits fondamentaux des femmes; souligne que l’accès sans entrave et en temps utile aux services de santé génésique ainsi que le respect de l’autonomie des femmes en matière de procréation et de prise de décision à ce sujet sont essentiels pour protéger les droits fondamentaux des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes;
7. insiste sur la nécessité de dispenser à chacun une éducation sexuelle et relationnelle complète, fondée sur des données factuelles, non discriminatoire et adaptée à l’âge de la personne ciblée, étant donné que le manque d’information et d’éducation sur le sexe et la sexualité peuvent entraîner une hausse du taux de grossesse non désirée;
8. condamne fermement la décision récente du ministre polonais de la Justice d’entamer officiellement la procédure de retrait de la Pologne de la convention d’Istanbul, ce qui constituerait une grave régression en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, de droits des femmes et de lutte contre les violences à caractère sexiste; prie instamment les autorités polonaises de garantir l’application effective et concrète de cette convention, y compris la mise à disposition d’un nombre suffisant d’abris de qualité pour les femmes victimes de violences et leurs enfants, compte tenu de l’escalade de la violence à caractère sexiste depuis le début de la pandémie de COVID-19, ainsi que l’accès aux services de soutien et de santé essentiels, dont les services de soins de santé sexuelle et génésique;
9. regrette que l’accès aux services de soins de santé reste limité dans certaines régions de Pologne et qu’en 2018, selon la Cour des comptes, seuls 2 % des femmes enceintes vivant dans les zones rurales de Pologne aient procédé à tous les examens habituellement menés durant une grossesse, comme une échographie, une cardiotocographie («monitoring fœtal») et un bilan sanguin de la mère;
10. déplore le recours accru à la clause de conscience, qui se traduit par l’absence de mécanismes d’orientation fiables pour les demandeuses de services d’avortement et des procédures de recours ralenties pour celles qui se voient refuser de tels services; et regrette également le fait que les gynécologues invoquent fréquemment la clause de conscience lorsqu’ils sont invités à prescrire des contraceptifs, ce qui a pour conséquence de restreindre l’accès à la contraception en Pologne; observe que cette clause de conscience entrave également l’accès au dépistage prénatal, ce qui viole non seulement le droit des femmes à l’information sur l’état de santé de leur fœtus, mais compromet en outre la réussite du traitement de l’enfant au cours de la grossesse ou immédiatement après l’accouchement; invite vivement les autorités polonaises à abroger la loi restreignant l’accès des femmes et des filles à la pilule contraceptive d’urgence;
11. est profondément préoccupé par le fait que des milliers de femmes doivent voyager pour accéder à un service de santé aussi essentiel que l’avortement; souligne que les services d’avortement transfrontaliers ne constituent pas une option viable pour les personnes les plus vulnérables et marginalisées; est préoccupé par le fait que les voyages à l’étranger mettent en péril la santé et le bien-être des femmes, étant donné qu’elles sont souvent seules; insiste sur l’importance des soins postérieurs à l’avortement, en particulier pour les femmes confrontées à des complications dues à un avortement incomplet ou dangereux;
12. témoigne son soutien et sa solidarité à l’égard de milliers de citoyens polonais, en particulier les femmes et les personnes LGBTI+ polonaises, qui, malgré les risques sanitaires, sont descendues dans la rue pour protester contre de graves atteintes à leurs libertés et à leurs droits fondamentaux; relève que les revendications des manifestants comprennent non seulement l’annulation de la décision du Tribunal constitutionnel, mais aussi la dénonciation du «compromis sur l’avortement», la libéralisation du droit à l’avortement et le respect de l’autonomie physique; rappelle que la liberté de réunion et la liberté d’association définissent l’Union européenne, même en cas de pandémie;
13. condamne fermement le recours excessif et disproportionné à la force et à la violence contre les manifestants, dont des militants et des organisations de défense des droits des femmes, par les autorités répressives et les acteurs non étatiques tels que les groupes nationalistes d’extrême droite; invite les autorités polonaises à veiller à ce que ceux qui attaquent des manifestants répondent de leurs actes;
14. prie instamment les autorités polonaises de renforcer la législation nationale en faveur de la promotion des droits des femmes et de l’égalité entre les hommes et les femmes en fournissant toutes les ressources financières et humaines nécessaires aux institutions chargées de lutter contre la discrimination fondée sur le sexe et le genre;
15. demande à la Commission de procéder à une évaluation approfondie de la composition du Tribunal constitutionnel, dont la nature illégale constitue un motif de contestation de ses décisions et, dès lors, sa capacité à respecter la constitution polonaise; souligne que l’arrêt susmentionné est un autre exemple de la subordination politique du pouvoir judiciaire et de l’effondrement systémique de l’état de droit en Pologne;
16. demande au Conseil d’agir dans ce domaine et de prendre des mesures concernant d’autres allégations de violation des droits fondamentaux en Pologne en élargissant la portée de ses auditions actuelles sur la situation en Pologne, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne (traité UE); prie instamment le Conseil de procéder à l’audition formelle sur l’état des lieux en Pologne prévue les 10 et 11 décembre 2020
17. se réjouit de l’accord provisoire du 5 novembre 2020 relatif à la législation visant à établir un mécanisme de suspension des paiements du budget versés à un État membre qui enfreint l’état de droit; invite instamment la Commission à agir avec détermination sur la conditionnalité récemment convenue pour le futur cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027;
18. invite le Conseil et la Commission à fournir un financement adéquat aux organisations nationales et locales de la société civile afin de promouvoir le soutien de terrain en faveur de la démocratie, de l’état de droit et des droits fondamentaux dans les États membres, y compris en Pologne; prie instamment la Commission de soutenir sans délai ni intermédiaire les programmes et les organisations de la société civile polonaise qui œuvrent à la protection des droits sexuels et génésiques féminins; invite la Commission et les États membres à soutenir la sensibilisation et la formation par l’intermédiaire de programmes de financement;
19. demande à la Commission de se fixer comme priorité de garantir que chacun jouisse d’une protection juridique égale et forte par rapport à tous les motifs figurant à l’article 19 du traité FUE; invite le Conseil à débloquer immédiatement et à conclure les négociations sur la directive horizontale en matière de non-discrimination et se félicite des nouveaux engagements de la Commission dans ce domaine;
20. invite la Commission à aider les États membres à garantir l’accès universel aux services de santé sexuelle et génésique, y compris l’avortement; prie instamment la Commission de garantir la santé sexuelle et génésique et les droits en la matière en incluant les droits à l’avortement dans la prochaine stratégie de l’Union en matière de santé;
21. souligne les manifestations de soutien et d’intérêt pour la cause des femmes polonaises issues de nombreux États membres; demande à l’Union de financer les organisations qui facilitent la coopération transfrontalière entre les organisations qui pratiquent l’avortement légal et sûr;
22. invite la Commission à confirmer l’application de la directive 2004/113/CE(15) aux biens et services en matière de santé et de droits génésiques et sexuels et à reconnaître que les restrictions et les obstacles à l’accès à ces biens et services constituent une discrimination à caractère sexiste, étant donné qu’ils affectent de manière disproportionnée les personnes appartenant à un sexe (féminin) ou à des groupes vulnérables (par exemple les personnes trans et non binaires); condamne l’utilisation abusive par le gouvernement polonais de ses pouvoirs judiciaire et législatif afin d’instrumentaliser et de politiser la vie et la santé des femmes et des personnes LGBTI+, ce qui a entraîné leur discrimination à cet égard;
23. invite la Commission à adopter des lignes directrices à l’intention des États membres afin de garantir l’égalité d’accès aux biens et services en matière de santé et de droits sexuels et génésiques, conformément au droit de l’Union et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
24. invite le Conseil à finaliser d’urgence la ratification de la convention d’Istanbul par l’Union; condamne fermement les tentatives de certains États membres de révoquer les mesures déjà prises dans le cadre de l’application de la convention d’Istanbul et de la lutte contre la violence à l’égard des femmes; invite la Commission à présenter une proposition visant à ajouter la violence à caractère sexiste à la liste des crimes de l’Union conformément à l’article 83 du traité FUE;
25. charge son Président de transmettre la présente résolution à la Commission et au Conseil, au président, au gouvernement et au parlement de la Pologne ainsi qu’aux gouvernements et aux parlements des États membres.
Manfred Weber, président du groupe PPE, Iratxe García Pérez, présidente du groupe S&D, Dacian Cioloș, président du groupe Renew, Philippe Lamberts, coprésident du groupe Verts/ALE, et Manon Aubry et Martin Schirdewan, coprésidents du groupe GUE/NGL.
Avis de la Commission de Venise des 14 et 15 octobre 2016 à propos de la loi sur le Tribunal constitutionnel, paragraphe 128; ONU, Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le septième rapport périodique de la Pologne, 23 novembre 2016, paragraphes 7 et 8; Recommandation (UE) 2017/1520 de la Commission du 26 juillet 2017 concernant l’État de droit en Pologne (JO L 228 du 2.9.2017, p. 19).
Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services (JO L 373 du 21.12.2004, p. 37).