Décision du Parlement européen du 9 mars 2021 sur la demande de levée de l’immunité de Carles Puigdemont i Casamajó (2020/2024(IMM))
Le Parlement européen,
– vu la demande de levée d’immunité reçue le 13 janvier 2020, transmise par le président de la Cour suprême espagnole et formée par le président de la deuxième chambre de la Cour suprême espagnole dans le cadre de l’affaire spéciale nº 3/20907/2017 le 10 janvier 2020, vu l’annonce de ladite demande de levée d’immunité en séance plénière le 16 janvier 2020,
– ayant entendu Carles Puigdemont i Casamajó, conformément à l’article 9, paragraphe 6, de son règlement intérieur,
– vu les articles 8 et 9 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ainsi que l’article 6, paragraphe 2, de l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,
– vu les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne les 21 octobre 2008, 19 mars 2010, 6 septembre 2011, 17 janvier 2013 et 19 décembre 2019(1),
– vu la décision de la Commission électorale centrale espagnole du 13 juin 2019(2),
– vu la communication faite en plénière le 13 janvier 2020 selon laquelle, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 décembre 2019, le Parlement a pris acte de l’élection de Carles Puigdemont i Casamajó en tant que député au Parlement européen avec effet au 2 juillet 2019,
– vu l’article 71, paragraphes 1 et 2, de la Constitution espagnole,
– vu l’article 5, paragraphe 2, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 9 de son règlement intérieur,
– vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A9-0020/2021),
A. considérant que le président de la deuxième chambre de la Cour suprême espagnole a demandé la levée de l’immunité de Carles Puigdemont i Casamajó, député au Parlement européen, au regard de l’article 9, alinéa 1, point b), du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne dans le cadre de l’affaire spéciale nº 3/20907/2017 – la procédure pénale portant sur une infraction présumée de sédition, visée aux articles 544 et 545 du code pénal espagnol, et sur une infraction de détournement de fonds publics, visée à l’article 432 du code pénal espagnol, en liaison avec son article 252;
B. considérant que les faits faisant l’objet de la mise en accusation auraient été commis en 2017; que l’ordonnance de mise en accusation dans cette affaire a été rendue le 21 mars 2018 et a été confirmée par des ordonnances ultérieures rejetant les recours en appel; que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 9 juillet 2018, clôture qui a été confirmée le 25 octobre 2018; que, par ordonnance du 9 juillet 2018, il a été décidé de déclarer partie défaillante Carles Puigdemont i Casamajó, entre autres, la suspension de l’affaire le concernant et concernant d’autres personnes ayant été ordonnée jusqu’à ce qu’ils soient retrouvés;
C. considérant qu’à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 19 décembre 2019, le Parlement a pris acte de l’élection de Carles Puigdemont i Casamajó en tant que député au Parlement européen avec effet au 2 juillet 2019;
D. considérant que le statut de député au Parlement européen a été acquis avec effet au 13 juin 2019; que la demande de levée d’immunité concerne dès lors des faits et une mise en accusation antérieurs à l’acquisition du statut et par conséquent de l’immunité en tant que député au Parlement européen;
E. considérant que la commission des affaires juridiques a pris acte des documents présentés aux membres de la commission par Carles Puigdemont i Casamajó en vertu de l’article 9, paragraphe 6, du règlement intérieur et qu’il juge pertinents pour la procédure;
F. considérant qu’il appartient aux autorités des États membres de statuer sur la pertinence de l’action devant les tribunaux;
G. considérant qu’il n’appartient pas au Parlement européen de mettre en question les mérites des systèmes juridiques et judiciaires nationaux;
H. considérant que le Parlement européen n’a pas compétence pour évaluer ou mettre en question la compétence des autorités judiciaires nationales chargées de la procédure pénale en question;
I. considérant que, conformément au droit espagnol, tel qu’interprété par les juridictions nationales et communiqué au Parlement par l’État membre en question, le président de la deuxième chambre correctionnelle de la Cour suprême espagnole est l’autorité compétente pour demander la levée de l’immunité d’un député au Parlement européen;
J. considérant que la procédure en question ne concerne pas des opinions ou des votes émis par le député au Parlement européen dans l’exercice de ses fonctions au sens de l’article 8 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne;
K. considérant que l’article 9, alinéa 1, point a), du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne dispose que les membres du Parlement européen bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur État;
L. considérant que l’article 71, paragraphes 1 et 2, de la Constitution espagnole dispose ce qui suit:
«1. Les députés et les sénateurs jouissent de l’inviolabilité pour les opinions exprimées dans l’exercice de leurs fonctions.
2. Pendant la durée de leur mandat, les députés et les sénateurs jouissent également de l’immunité et ne peuvent être arrêtés qu’en cas de flagrant délit. Ils ne peuvent être mis en examen ni en accusation sans l’autorisation préalable de leur Chambre.»;
M. considérant que la demande de levée d’immunité indique, en ce qui concerne l’application de l’article 71 de la Constitution espagnole et, spécifiquement, l’étape des poursuites judiciaires à laquelle il n’est plus obligatoire d’obtenir une autorisation parlementaire pour continuer les poursuites au pénal contre une personne mise en accusation qui obtiendrait la qualité de parlementaire, que la demande de levée d’immunité n’est pas nécessaire dans les cas où l’obtention de la qualité de parlementaire intervient dans l’attente de la tenue concrète du procès, postérieurement à l’ouverture de la phase de jugement, ou dans le cas d’un parlementaire qui obtiendrait cette qualité après sa mise en accusation; qu’il n’est dès lors pas nécessaire de demander une levée d’immunité en vertu de l’article 9, alinéa 1, point a), du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne pour que des mesures soient prises sur le territoire espagnol;
N. considérant qu’il n’appartient pas au Parlement européen d’interpréter les règles nationales applicables aux privilèges et immunités des députés;
O. considérant que l’article 9, alinéa 1, point b), du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne dispose que les membres du Parlement européen bénéficient, sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire;
P. considérant que, le 14 octobre 2019, la deuxième chambre de la Cour suprême espagnole a ordonné d’émettre «en temps utile [...] [un mandat] d’arrêt [national], [un mandat] d’arrêt [européen] et [un mandat] d’arrêt [international] à des fins d’extradition, en vue de l’exercice des actions pénales correspondantes» à l’encontre de Carles Puigdemont i Casamajó, dont la défaillance est confirmée; que, comme le précise la demande de levée d’immunité, le 10 janvier 2020, le recours contre cette décision a été rejeté en ce qui concerne l’annulation «des mandats nationaux de recherche, d’arrêt et de dépôt respectifs ainsi que des mandats d’arrêt internationaux et européens» et accueilli «contre l’ordonnance du 14 octobre 2019 et l’ordonnance du 18 octobre 2018 [...], conformément à l’interprétation donnée par la CJUE dans son arrêt du 19 décembre 2019, en accordant [à l’appelant], en [sa] qualité de [député] au Parlement européen, les immunités et privilèges prévus à l’article 9 du protocole nº 7 du traité FUE» et il a également été décidé de demander au Parlement européen la levée de l’immunité de Carles Puigdemont i Casamajó «afin que l’exécution [du mandat] d’arrêt [européen] émis puisse se poursuivre» et d’en informer l’autorité d’exécution belge;
Q. considérant qu’en vertu de l’article 9, paragraphe 8, du règlement intérieur, la commission des affaires juridiques ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité ou la non-culpabilité du député ni sur l’opportunité ou non de le poursuivre au pénal pour les opinions ou actes qui lui sont imputés, même dans le cas où l’examen de la demande permet à la commission d’acquérir une connaissance approfondie de l’affaire;
R. considérant que, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de son règlement intérieur, l’immunité parlementaire n’est pas un privilège personnel du député, mais une garantie d’indépendance du Parlement dans son ensemble et de ses députés;
S. considérant que l’immunité parlementaire a pour objet de protéger le Parlement et ses députés contre des procédures judiciaires visant des activités menées dans l’exercice des fonctions parlementaires et indissociables de celles-ci;
T. considérant que l’accusation n’est manifestement pas liée à la fonction de député au Parlement européen de Carles Puigdemont i Casamajó mais à sa fonction antérieure de président de la Generalitat de Catalogne;
U. considérant que Carles Puigdemont i Casamajó fait partie des personnes qui se trouvent dans une situation similaire de mise en accusation et en examen pour les infractions en question, la seule différence étant qu’il jouit actuellement de l’immunité en tant que député au Parlement européen; qu’il convient dès lors de garder à l’esprit que Carles Puigdemont i Casamajó n’est pas la seule personne mise en accusation dans l’affaire en question;
V. considérant que les faits incriminés ont été commis en 2017 et que la procédure pénale en question a été engagée contre Carles Puigdemont i Casamajó en 2018; que, par conséquent, il ne saurait être affirmé que la procédure judiciaire a été engagée dans l’intention de nuire à l’activité politique future de Carles Puigdemont i Casamajó en tant que député au Parlement européen, puisque son statut de député au Parlement européen était alors encore hypothétique et futur;
W. considérant qu’en l’espèce, le Parlement n’a donc pas pu établir qu’il y avait fumus persecutionis, c’est-à-dire des éléments de fait indiquant que les poursuites judiciaires en question ont été engagées dans l’intention de nuire à l’activité politique du député et, partant, du Parlement européen;
1. décide de lever l’immunité de Carles Puigdemont i Casamajó en vertu de l’article 9, alinéa 1, point b), du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne;
2. charge son Président de transmettre immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission compétente aux autorités espagnoles et à Carles Puigdemont i Casamajó.
Arrêt de la Cour de justice du 21 octobre 2008, Marra/De Gregorio et Clemente, C-200/07 et C-201/07, ECLI:EU:C:2008:579; arrêt du Tribunal du 19 mars 2010, Gollnisch/Parlement, T-42/06, ECLI:EU:T:2010:102; arrêt de la Cour de justice du 6 septembre 2011, Patriciello, C-163/10, ECLI: EU:C:2011:543; arrêt du Tribunal du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T-346/11 et T-347/11, ECLI:EU:T:2013:23; arrêt de la Cour de justice du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C-502/19, ECLI:EU:C:2019:1115.