Décision du Parlement européen du 25 mars 2021 sur la demande de levée de l’immunité de Jean-François Jalkh (2020/2110(IMM))
Le Parlement européen,
– vu la demande de levée de l’immunité de Jean-François Jalkh transmise en date du 16 juin 2020 par le procureur de la cour d’appel de Paris dans le cadre d’une affaire pendante devant les magistrats instructeurs relative à une information judiciaire pour les chefs présumés d’abus de confiance, d’escroquerie en bande organisée, de faux et usage de faux, de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, de détournement de fonds publics et de recel de détournement de fonds publics, et communiquée en séance plénière le 8 juillet 2020,
– ayant entendu Thierry Mariani, remplaçant Jean-François Jalkh, conformément à l’article 9, paragraphe 6, de son règlement intérieur,
– vu les articles 8 et 9 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ainsi que l’article 6, paragraphe 2, de l’acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct, du 20 septembre 1976,
– vu les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne les 21 octobre 2008, 19 mars 2010, 6 septembre 2011, 17 janvier 2013 et 19 décembre 2019(1),
– vu l’article 26 de la Constitution de la République française,
– vu l’article 5, paragraphe 2, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 9 de son règlement intérieur,
– vu le rapport de la commission des affaires juridiques (A9-0051/2021),
Α. considérant que les magistrats instructeurs ont demandé la levée de l’immunité parlementaire de Jean-François Jalkh afin de l’entendre au sujet de délits présumés;
Β. considérant que la demande de levée de l’immunité de Jean-François Jalkh a trait aux délits présumés d’abus de confiance, de faux et usage de faux, d’escroquerie en bande organisée, de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, de détournement de fonds publics et de recel de détournement de fonds publics, faits prévus et réprimés par les articles 314-1 et 314-10, 321-2, 321-3, 321-4, 321-9 et 321-10, 441-1, 441-10 et 441-11, 313-1, 313-2, 313-3, 313-7, 313-8 et 313-9, 432-15 et 432-17 du Code pénal français, L8221-1, L8221-5, L8224-1, L8224-3, L8224-4 et L8224-5 du Code du travail français;
C. considérant qu’une information judiciaire a été ouverte le 5 décembre 2016 à la suite d’une enquête préliminaire ouverte le 9 mars 2015 sur dénonciation du Président du Parlement européen de l’époque quant à plusieurs assistants parlementaires de députés au Parlement européen membres du Front national;
D. considérant que l’organigramme du Front national, publié en février 2015, mentionnait seulement quinze députés au Parlement européen (sur un total de vingt-trois), vingt et un assistants parlementaires locaux et cinq assistants parlementaires accrédités (sur un total de cinquante-quatre assistants); que plusieurs assistants parlementaires ont déclaré le siège du Front national à Nanterre comme lieu de travail, certains ajoutant qu’ils y étaient employés à temps plein, alors qu’ils résident à des distances comprises entre 120 et 945 kilomètres de leur lieu de travail déclaré; qu’au stade actuel de l’enquête, il ressort que huit assistants parlementaires n’ont réalisé quasiment aucun travail d’assistance parlementaire, ou très marginalement par rapport à l’ensemble de leurs tâches;
E. considérant que les investigations menées ont également mis en évidence des circonstances qui permettent de douter de la réalité des tâches exercées par les assistants concernés qui seraient en lien avec le Parlement européen, en particulier:
–
des contrats d’emploi d’assistants parlementaires européens intercalés entre deux contrats d’emploi pour le Front national;
–
le cumul de contrats d’emploi d’assistants parlementaires européens, pour le Parlement européen et pour le Front national;
–
des contrats d’emploi pour le Front national conclus pour des périodes succédant immédiatement aux périodes couvertes par des contrats d’emploi d’assistants parlementaires européens;
F. considérant que l’enquête a révélé que Jean-François Jalkh était employé en tant qu’assistant parlementaire local de Jean-Marie Le Pen de juillet 2009 à avril 2014, à temps plein, pour un salaire mensuel brut de 3 011,14 EUR; qu’il occupait au même moment plusieurs postes de direction au sein du Front national, successivement ou cumulativement, et percevait une rémunération de deux sociétés différentes d’audit des comptes de campagne; que, le 29 janvier 2016, le secrétaire général du Parlement européen a décidé de recouvrer auprès de Jean-Marie Le Pen le montant de 320 026,23 EUR payé par le Parlement européen au titre du contrat de Jean-François Jalkh; que les différents recours introduits contre cette décision ont été rejetés, notamment par l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 mars 2018(2) et par ordonnance de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 novembre 2018(3);
G. considérant que l’enquête a également révélé que Jean-François Jalkh avait, en sa qualité de député au Parlement européen, employé une assistante parlementaire locale à plein temps du 1er juillet 2014 au 4 janvier 2016, à l’exception de la période allant du 24 août 2015 au 14 décembre 2015, pour un salaire mensuel brut de 2 950 EUR; qu’aucun courriel ni autre élément probant attestant de son travail d’assistante parlementaire n’ont été retrouvés; que l’assistante parlementaire en question figurait sur l’organigramme du Front national publié en février 2015 en tant qu’assistante du vice-président en charge des affaires juridiques, Jean-François Jalkh; que, pendant la campagne pour les élections françaises de 2015, et les élections municipales de 2014, des courriels de cette assistante ont été retrouvés, portant en signature la mention «Assistante de Jean-François Jalkh – Service élections»; que, de juin 2015 au 21 décembre 2015, des courriels ont également été retrouvés, révélant de sa part un travail au profit de la campagne électorale de Wallerand de Saint-Just, candidat tête de liste Front national aux élections régionales en Île-de-France, alors que son contrat d’assistante parlementaire n’était suspendu à cette fin que du 24 août au 14 décembre 2015; que, le 11 décembre 2019, elle a été mise en examen pour le chef de recel de détournement de fonds publics;
H. considérant que les magistrats instructeurs estiment nécessaire d’entendre Jean-François Jalkh;
I. considérant qu’après avoir été convoqué pour le 18 décembre 2018 par les enquêteurs, et après avoir indiqué sa disponibilité, Jean-François Jalkh n’a pas comparu, après que son avocat a sollicité, quatre jours avant la date convenue pour sa comparution, un renvoi, en déclarant que Jean-François Jalkh souhaitait faire usage de son droit de garder le silence; que malgré un courrier du 19 février 2019 de son avocat nous assurant que son client était disposé à être entendu volontairement, Jean-François Jalkh faisait à nouveau faux bond lors d’une convocation des enquêteurs du 25 juin 2019, sans justifier son absence; qu’il a ensuite refusé de comparaître le 15 novembre 2019 devant les magistrats instructeurs qui l’avaient convoqué, en invoquant son immunité parlementaire;
J. considérant que, pour pouvoir procéder à l’interrogatoire de Jean-François Jalkh sur les chefs d’accusation qui lui sont reprochés, l’autorité compétente a demandé la levée de son immunité;
K. considérant, d’une part, que le Parlement ne saurait être assimilé à un tribunal et, d’autre part, que le député ne saurait, dans le contexte d’une procédure de levée d’immunité, être considéré comme un «accusé»(4);
L. considérant qu’en vertu de l’article 9 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, les membres du Parlement européen bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays;
M. considérant que l’article 26, deuxième alinéa, de la Constitution de la République française prévoit qu’«[a]ucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive»;
N. considérant que l’immunité parlementaire a pour objet de protéger le Parlement et ses députés contre des procédures judiciaires visant des activités menées dans l’exercice des fonctions parlementaires et indissociables de celles-ci;
O. considérant qu’en l’espèce, le Parlement n’a pas pu établir qu’il y avait fumus persecutionis, c’est-à-dire des éléments de fait indiquant que les poursuites judiciaires en question ont été engagées dans l’intention de porter atteinte aux activités politiques du député en sa qualité de membre du Parlement européen;
1. décide de lever l’immunité de Jean-François Jalkh;
2. charge son Président de transmettre immédiatement la présente décision et le rapport de sa commission compétente aux autorités françaises et à Jean-François Jalkh.
Arrêt de la Cour de justice du 21 octobre 2008, Marra/De Gregorio et Clemente, C-200/07 et C-201/07, ECLI:EU:C:2008:579; arrêt du Tribunal du 19 mars 2010, Gollnisch/Parlement, T-42/06, ECLI:EU:T:2010:102; arrêt de la Cour de justice du 6 septembre 2011, Patriciello, C-163/10, ECLI: EU:C:2011:543; arrêt du Tribunal du 17 janvier 2013, Gollnisch/Parlement, T-346/11 et T-347/11, ECLI:EU:T:2013:23; arrêt de la Cour de justice du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C-502/19, ECLI:EU:C:2019:1115.
Ordonnance de la Cour (quatrième chambre) du 28 novembre 2018 dans l’affaire Jean-Marie Le Pen/Parlement européen, affaire C-303/18 P, ECLI:EU:C:2018:962.