Résolution du Parlement européen du 10 juin 2021 sur la situation au Sri Lanka, en particulier les arrestations au titre de la loi sur la prévention du terrorisme (2021/2748(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur le Sri Lanka,
– vu le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme du 9 février 2021 sur les moyens de favoriser la réconciliation et l’établissement des responsabilités et de promouvoir les droits de l’homme à Sri Lanka,
– vu la résolution adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 23 mars 2021 intitulée «Favoriser la réconciliation et l’établissement des responsabilités et promouvoir les droits de l’homme à Sri Lanka»,
– vu le règlement nº 01 de 2021 publié le 12 mars 2021 en vertu de la loi de Sri Lanka sur la prévention du terrorisme,
– vu le rapport du rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste du 14 décembre 2018, intitulé «Visite au Sri Lanka»,
– vu la déclaration du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, du 24 février 2021 sur le Sri Lanka,
– vu le rapport final de janvier 2020 de la mission d’observation électorale de l’Union européenne à l’élection présidentielle au Sri Lanka du 16 novembre 2019,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,
– vu le système de préférences généralisées (SPG+) de l’Union européenne, programme spécial d’encouragement dont bénéficie le Sri Lanka,
– vu l’article 144, paragraphe 5, et l’article 132, paragraphe 4, de son règlement,
A. considérant que le Sri Lanka a été marqué par plusieurs décennies de guerre civile qui a pris fin en 2009 et au cours de laquelle les deux parties ont commis de graves violations des droits de l’homme;
B. considérant que la situation des droits de l’homme au Sri Lanka ne cesse de se détériorer, le nouveau gouvernement revenant rapidement sur les progrès limités réalisés par les administrations précédentes; que l’espace dans lequel la société civile et les médias indépendants peuvent opérer dans le pays se rétrécit rapidement;
C. considérant que la loi controversée sur la prévention du terrorisme (LPT) est en vigueur au Sri Lanka depuis 1979 et qu’elle accorde à la police de larges pouvoirs pour fouiller, arrêter et placer en détention des suspects civils; que les pouvoirs étendus prévus par la LPT ont donné lieu à des allégations cohérentes et fondées de torture et d’abus sexuels, d’aveux forcés et de déni systématique de respect du droit;
D. considérant que, dans son dernier rapport sur le Sri Lanka, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a réitéré ses appels en faveur d’un moratoire sur l’utilisation de la LPT afin de procéder à de nouvelles arrestations jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une législation conforme aux bonnes pratiques internationales;
E. considérant que le gouvernement sri-lankais a adopté, le 9 mars 2021, le règlement nº 01 de 2021, qui étend la LPT et autorise, entre autres, la détention sans procès pendant deux ans pour «troubles religieux, raciaux ou communautaires»;
F. considérant que la LPT a été systématiquement utilisée pour procéder à des arrestations arbitraires et à la détention de musulmans et de groupes minoritaires à Sri Lanka, notamment Ahnaf Jazeem, enseignant et poète musulman de 26 ans, et Hejaaz Hizbullah, avocat réputé pour les droits des minorités et l’état de droit;
G. considérant que, le 19 mai 2017, le Sri Lanka a retrouvé l’accès à des préférences tarifaires généreuses dans le cadre du SPG+, à condition de remplacer sa LPT et de mettre effectivement en œuvre 27 conventions internationales, y compris les conventions relatives aux droits de l’homme; que l’Union européenne s’est déclarée à plusieurs reprises préoccupée par la LPT et a constaté que le Sri Lanka ne l’avait pas abrogée alors que le pays s’était pourtant engagé à le faire;
H. considérant que, le 20 octobre 2020, le Parlement sri-lankais a adopté sa vingtième modification la Constitution, qui renforce la présidence exécutive;
I. considérant que, près de douze ans après la fin de la guerre, les initiatives nationales en faveur de l’établissement des responsabilités et de la réconciliation ont échoué, à plusieurs reprises, à produire des résultats, ce qui a renforcé l’impunité et exacerbé la méfiance des victimes à l’égard du système;
J. considérant qu’il y a des signes évidents de militarisation accélérée des fonctions gouvernementales civiles à Sri Lanka; que, depuis 2020, au moins 28 militaires et agents des services de renseignement, encore en activité ou non, ont été nommés à des postes administratifs clés; que parmi ces nominations figurent au moins deux hauts responsables militaires qui ont été mis en cause dans des rapports des Nations unies pour allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au cours des dernières années du conflit; que de nombreux suspects placés en garde à vue ont été tués, de même que des personnes placées en détention dans des complexes pénitentiaires sri-lankais; que les cas les plus récents incluent des décès en garde à vue en mai 2021; que onze détenus de la prison de Mahara ont été tués et que 117 autres ont été blessés lorsque des gardiens ont ouvert le feu pour maîtriser, en novembre 2020, une émeute contre les conditions de détention dues à la pandémie de COVID-19;
K. considérant que les autorités sri-lankaises ont prononcé en 2019 des condamnations à la peine capitale pour des infractions liées à la drogue, en dépit du moratoire sur le recours à la peine capitale valant dans le pays depuis 1976;
1. se déclare profondément préoccupé par la trajectoire alarmante du Sri Lanka à voir les graves violations des droits de l’homme se multiplier, comme l’indique le dernier rapport des Nations unies sur le pays, qui en énumère parmi les signes avant-coureurs la militarisation accélérée des fonctions gouvernementales civiles, l’inversion d’importantes garanties constitutionnelles, l’obstruction politique à l’établissement des responsabilités, la rhétorique de l’exclusion, l’intimidation de la société civile et le recours à des lois antiterroristes;
2. réaffirme sa ferme opposition à la poursuite de l’application de la LPT actuelle; demande aux autorités sri-lankaises de respecter leur engagement, à savoir de réviser et d’abroger cette loi et de la remplacer par une législation antiterroriste conforme aux bonnes pratiques internationales; demande en outre la suspension immédiate des règlements relatifs à la déradicalisation;
3. souligne que le règlement nº 01 de 2021 ne prévoit pas de garanties procédurales pour les personnes privées de liberté, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qu’il viole les garanties constitutionnelles propres au Sri Lanka en vertu de l’article 13 de la constitution du pays; rappelle que les centres de déradicalisation, de réhabilitation et de réintégration, régis par une législation similaire, ont été, par le passé, le théâtre de graves violations des droits de l’homme, torture et autres mauvais traitements, y compris des violences sexuelles et sexistes;
4. se déclare gravement préoccupé par les arrestations et détentions arbitraires auxquelles il a été procédé en vertu de la LPT, sans procédure régulière ni accès à la justice, y compris pour les militants de la société civile, les avocats, les écrivains et les poètes tels que Hejaaz Hizbullah et Ahnaf Jazeem; prend note avec inquiétude de la détention de Shani Abeysekara, ancien directeur du département d’enquête criminelle; demande instamment au gouvernement sri-lankais d’accorder immédiatement aux personnes détenues un procès équitable pour des chefs d’accusation valables et, en l’absence de poursuites, de les libérer sans condition;
5. déplore les discriminations et les violences répétées à l’encontre des minorités et communautés religieuses et ethniques au Sri Lanka, y compris les musulmans, les hindous, les tamouls et les chrétiens; demande au gouvernement sri-lankais de condamner sans équivoque les discours de haine, l’incitation à la violence et la discrimination à l’encontre des groupes religieux et ethniques dans le pays, et de demander des comptes à ceux qui encouragent de telles divisions, y compris au sein du gouvernement et de l’armée;
6. prend acte de l’adoption de la vingtième modification de la constitution et exprime sa vive préoccupation face au recul de l’indépendance du pouvoir judiciaire qui en résulte, à la réduction du contrôle parlementaire et à l’accumulation excessive de pouvoir dans les mains de la présidence;
7. prend acte avec inquiétude de la récente proposition du gouvernement sri-lankais de promulguer une nouvelle loi sur la désinformation, en dépit des préoccupations soulevées par les organisations de la société civile quant aux menaces qu’une telle loi pourrait faire peser sur la liberté d’expression; exhorte les plateformes en ligne à prendre des mesures volontaristes pour limiter la circulation des discours de haine et de désinformation en ligne dans les langues cinghalaise et tamoule;
8. s’inquiète du fait que les dispositions du code pénal sri-lankais, notamment ses sections 365, 365A et 399, aient été interprétées de manière à criminaliser les personnes ayant des orientations sexuelles et des identités de genre diverses;
9. demande à la Commission d’évaluer d’urgence son financement du projet de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime et d’INTERPOL intitulé «Soutien au Sri Lanka en matière de lutte contre le terrorisme», alors que la lutte contre le terrorisme au Sri Lanka sert dans certains cas de prétexte pour persécuter des membres de groupes ethniques et religieux et de la société civile, y compris des défenseurs des droits de l’homme; demande à la délégation de l’Union européenne au Sri Lanka et aux représentations des États membres d’accroître leur soutien à la société civile, en particulier aux défenseurs des droits de l’homme, aux défenseurs de l’environnement et aux journalistes;
10. souligne qu’il est essentiel de veiller à ce que le processus de réconciliation nationale bénéficie de l’attention nécessaire et débouche sur l’adoption de mesures concrètes, y compris l’établissement des responsabilités pour les disparitions forcées et les crimes passés; déplore le retrait du Sri Lanka des engagements qu’il avait pris envers le Conseil des droits de l’homme des Nations unies dans le cadre de son parrainage de la résolution du 14 octobre 2015 intitulée «Favoriser la réconciliation et l’établissement des responsabilités et promouvoir les droits de l’homme à Sri Lanka», et l’encourage à renouer le dialogue avec le Conseil, ce qui contribuera grandement à rétablir les relations avec la communauté internationale et à donner lieu à un processus de réconciliation nationale entre les diverses communautés, cinghalaise, tamoule, musulmane, hindoue et chrétienne;
11. demande au gouvernement sri-lankais d’empêcher toute entrave à l’enquête et aux poursuites éventuelles des membres des forces de sécurité accusés de graves violations des droits de l’homme; insiste pour qu’une enquête soit menée sur les allégations de graves violations des droits de l’homme et de crimes de guerre commis pendant la guerre civile par des personnalités de haut rang de tous bords; demande au gouvernement sri-lankais de mettre fin à la pratique consistant à nommer à des postes de haut rang au sein du gouvernement des commandants militaires, encore en activité ou non, impliqués dans de graves violations;
12. demande une enquête rigoureuse, impartiale et complète sur les attentats à la bombe du dimanche de Pâques 2019, qui soit conforme aux normes juridiques internationales; demande en outre que les personnes contre lesquelles il existe des preuves de culpabilité soient rapidement traduites en justice et que celles pour lesquelles les preuves sont insuffisantes soient libérées;
13. rappelle que le régime SPG+ permet aux exportateurs du pays de bénéficier d’un meilleur accès au marché de l’Union européenne, en échange de progrès supplémentaires dans la mise en œuvre intégrale de ces conventions; rappelle que l’un des principaux engagements du Sri Lanka était de mettre pleinement sa législation antiterroriste en conformité avec les conventions internationales relatives aux droits de l’homme afin de garantir une relation commerciale favorable dans le cadre du SPG+; rappelle qu’en vertu du règlement SPG(1), tout manquement persistant à adopter et à mettre en œuvre les réformes nécessaires en matière de droits de l’homme, à abroger la législation abusive et à inverser la trajectoire actuelle à la multiplication des violations aura des conséquences;
14. souligne que le régime SPG+ offert au Sri Lanka a contribué de manière significative à l’économie du pays, dont les exportations vers l’Union ont augmenté pour atteindre 2,3 milliards d’euros, ce qui fait de l’Union européenne le deuxième marché d’exportation du Sri Lanka; insiste sur le contrôle continu de l’éligibilité du Sri Lanka au statut SPG+ et souligne que le maintien des préférences commerciales du SPG+ n’est pas automatique; invite la Commission et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) à tenir dûment compte des événements actuels lorsqu’ils évaluent l’éligibilité du Sri Lanka au statut SPG+; demande en outre à la Commission et au SEAE de recourir au SPG+ comme levier pour promouvoir les obligations du Sri Lanka en matière de droits de l’homme et exiger l’abrogation ou le remplacement de la LPT, d’évaluer soigneusement s’il existe des raisons suffisantes d’engager, en dernier ressort, une procédure de retrait temporaire du statut SPG+ au Sri Lanka ainsi que des avantages qui en découlent, et de faire rapport au Parlement sur cette question dans les meilleurs délais;
15. constate avec inquiétude que la pandémie de COVID-19 a eu une incidence sur la détérioration de la situation des droits du travail dans le pays; prie instamment le Sri Lanka de coopérer pleinement avec l’Organisation internationale du travail (OIT) afin de renforcer les droits du travail des travailleurs des usines, y compris les conditions de santé et de sécurité des travailleurs du secteur de la confection dans les zones commerciales spéciales; demande au gouvernement sri-lankais de mettre en œuvre de manière effective la politique nationale d’élimination du travail des enfants et de la renforcer; demande aux autorités sri-lankaises d’adapter le manuel des normes de travail et des relations professionnelles du conseil d’investissement du Sri Lanka (Board of Investment of Sri Lanka) afin de le mettre en conformité avec les normes internationales, notamment avec les conventions nos 87 et 98 de l’OIT;
16. rappelle la ferme opposition de l’Union européenne à la peine de mort, dans tous les cas et sans exception; se félicite du maintien par le Sri Lanka du moratoire sur l’application de la peine de mort; prie instamment le gouvernement d’abolir le recours à la peine capitale dans le pays;
17. se félicite du soutien que l’Union a apporté dans le passé aux efforts de réconciliation et souligne qu’elle est disposée à soutenir le Sri Lanka dans ce domaine;
18. se déclare préoccupé par le rôle et l’ingérence grandissants de la Chine au Sri Lanka;
19. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, au Secrétaire général des Nations unies, au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, ainsi qu’au gouvernement et au Parlement de la République socialiste démocratique de Sri Lanka.
Règlement (UE) nº 978/2012 du Conseil du 25 octobre 2012 portant application d’un schéma de préférences tarifaires généralisées (JO L 303 du 31.10.2012, p. 1).