Résolution du Parlement européen du 21 octobre 2021 sur la crise de l’état de droit en Pologne et la primauté du droit de l’Union (2021/2935(RSP))
Le Parlement européen,
– vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après «la charte»),
– vu les articles 1, 2, 4 et 19 du traité sur l’Union européenne (ci-après « traité UE »),
– vu l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « traité FUE »),
– vu la convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière,
– vu la déclaration universelle des droits de l’homme,
– vu la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE),
– vu la proposition motivée de décision du Conseil du 20 décembre 2017 relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit, présentée par la Commission conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité UE (COM(2017)0835),
– vu le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union(1) (ci-après «règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit»),
– vu le règlement (UE) 2021/241 du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience(2),
– vu sa résolution du 7 octobre 2020 sur la création d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux(3),
– vu sa résolution du 24 juin 2021 concernant le rapport 2020 sur l’état de droit de la Commission(4),
– vu sa résolution du 17 septembre 2020 sur la proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit(5),
– vu sa résolution du 8 juillet 2021 sur l’élaboration de lignes directrices relatives à l’application du régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union(6),
– vu sa résolution du 16 septembre 2021 sur la liberté des médias et la nouvelle détérioration de l’état de droit en Pologne(7),
– vu la communication de la Commission du 30 septembre 2020 intitulée «Rapport 2020 sur l’état de droit – La situation de l’état de droit dans l’Union européenne» (COM(2020)0580),
– vu la communication de la Commission du 20 juillet 2021 intitulée «Rapport 2021 sur l’état de droit – La situation de l’état de droit dans l’Union européenne» (COM(2021)0700),
– vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que, comme en dispose l’article 2 du traité UE, l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités;
B. considérant que, le 29 mars 2021, le premier ministre polonais a demandé à la «Cour constitutionnelle», illégitime et largement contestée, d’examiner si les dispositions du traité UE relatives à la primauté du droit de l’Union et à une protection juridictionnelle effective étaient compatibles avec la Constitution polonaise(8);
C. considérant que, par ordonnance du 14 juillet 2021, la CJUE a adopté les mesures provisoires demandées par la Commission en vertu de l’article 279 du traité FUE et portant sur le fonctionnement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise et la suspension de l’application d’autres dispositions du droit polonais affectant l’indépendance des juges(9);
D. considérant que, le 14 juillet 2021, la «Cour constitutionnelle» polonaise illégitime a jugé que les ordonnances provisoires rendues par la CJUE sur la structure des juridictions polonaises étaient incompatibles avec la Constitution polonaise(10);
E. considérant que, le 15 juillet 2021, par son arrêt dans l’affaire C-791/19(11), la CJUE a jugé que le régime disciplinaire applicable aux juges en Pologne n’était pas compatible avec le droit de l’Union;
F. considérant que, le 6 octobre 2021, la CJUE a jugé que les transferts, sans le consentement d’un juge, d’une juridiction à une autre ou entre deux formations d’une même juridiction étaient de nature à porter atteinte aux principes de l’inamovibilité des juges et de l’indépendance de la justice(12);
G. considérant que, le 6 octobre 2021, la vice-présidente de la CJUE a rejeté la demande de la Pologne de rapporter l’ordonnance de la vice-présidente de la CJUE du 14 juillet 2021 exigeant la suspension de l’application des dispositions nationales relatives en particulier aux compétences de la chambre disciplinaire de la Cour suprême(13);
H. considérant que, le 7 octobre 2021, la «Cour constitutionnelle» illégitime a présenté sa décision dans l’affaire K 3/21, adoptée avec deux avis divergents, sur la demande introduite le 29 mars 2021 par le premier ministre polonais, déclarant les dispositions du traité UE incompatibles avec la Constitution polonaise pour de multiples raisons;
I. considérant que, le 10 octobre 2021, plus de 100 000 citoyens polonais ont manifesté pacifiquement dans toute la Pologne afin de soutenir l’appartenance de la Pologne à l’Union européenne;
J. considérant que, le 22 octobre 2020, la «Cour constitutionnelle» illégitime a également été instrumentalisée politiquement pour attaquer les droits des femmes;
K. considérant que, le 12 octobre 2021, la décision rendue dans l’affaire K 3/21 a été publiée au Journal officiel polonais(14), ce qui lui confère force exécutoire dans le système juridique polonais;
L. considérant que l’Association des juges administratifs européens a également estimé que l’arrêt de la «Cour constitutionnelle» illégitime allait clairement à l’encontre du principe fondamental de la primauté du droit de l’Union(15);
M. considérant que, dans une enquête Eurobaromètre Flash d’août 2021, la grande majorité des personnes interrogées se disaient d’accord pour que l’Union européenne n’accorde des fonds aux États membres qu’à condition que leur gouvernement respecte et mette en œuvre le principe de l’état de droit et les principes démocratiques; que le chiffre est également très élevé en Pologne (72 %)(16);
N. considérant que, selon différents sondages réalisés en Pologne en septembre et en octobre 2021, seuls 5 % des répondants ont déclaré souhaiter que la Pologne quitte l’Union européenne(17), 90 % ont évalué positivement l’appartenance de la Pologne à l’Union(18), et 95 % pensaient également que le soutien de l’Union avait une incidence positive sur le développement de leur ville ou de leur région, ce qui est supérieur à la moyenne de l’Union(19);
1. déplore profondément la décision de la «Cour constitutionnelle» illégitime du 7 octobre 2021(20), qui constitue une attaque contre la communauté européenne de valeurs et de lois dans son ensemble, portant atteinte à la primauté du droit de l’Union, l’un de ses principes fondamentaux conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne; se dit vivement préoccupé par le fait que cette décision pourrait constituer un précédent dangereux; souligne que non seulement la «Cour constitutionnelle» illégitime manque de validité juridique et d’indépendance(21), mais n’est pas non plus compétente pour interpréter la Constitution en Pologne;
2. souligne qu’en vertu de l’article 47 de la charte, le droit fondamental à un recours effectif nécessite l’accès à un tribunal indépendant; prend acte des défis croissants que posent les cours constitutionnelles nationales et certains responsables politiques à cet égard et invite les États membres à respecter le rôle crucial de la CJUE et à se conformer à ses arrêts;
3. déplore que l’actuel premier ministre polonais ait pris l’initiative de remettre en cause la primauté du droit de l’Union sur la législation nationale, se servant, une fois de plus, abusivement du système judiciaire pour réaliser son programme politique; déplore cette initiative, qui constitue une décision unilatérale de remettre en question le cadre juridique de l’Union et l’obligation de la Pologne de s’y conformer; rappelle que l’adhésion de la République de Pologne à l’Union a eu lieu par la ratification du traité d’adhésion, avec l’approbation de la nation polonaise, exprimée par référendum; rappelle en outre que la République de Pologne s’est volontairement engagée à être liée par les dispositions des traités fondateurs et par la jurisprudence de la CJUE; condamne l’utilisation du système judiciaire à des fins politiques et invite les autorités polonaises à cesser de faire arbitrairement usage de leurs pouvoirs exécutif et législatif pour porter atteinte à la séparation des pouvoirs et à l’état de droit;
4. affirme qu’un système judiciaire doit être examiné dans son intégralité pour déterminer s’il répond à l’objectif d’un contrôle judiciaire efficace et indépendant, et rejette fermement les tentatives répétées du gouvernement actuel du PiS de justifier les modifications législatives du système judiciaire en Pologne, en particulier sur la base d’exemples isolés issus de différents États membres;
5. déplore que l’arrêt K 3/21 ait une incidence négative sur les citoyens et les entreprises polonais et européens, étant donné que leur droit fondamental à un système judiciaire indépendant qui applique pleinement l’acquis et la législation de l’Union ne peut plus être garanti; s’inquiète de l’efficacité de la protection des droits fondamentaux des citoyens polonais et européens dans ce contexte;
6. félicite les dizaines de milliers de citoyens polonais qui sont descendus dans la rue pour manifester pacifiquement pour leurs droits et leurs libertés en tant que citoyens européens; partage leur souhait d’une Pologne démocratique forte au cœur du projet européen;
7. souligne l’illégitimité de l’arrêt du 22 octobre 2020 (K 1/20) et reconnaît que ces graves restrictions à la santé et aux droits reproductifs des femmes sont illégales;
8. craint que l’arrêt K 3/21 ait un effet dissuasif important sur les juges polonais pour ce qui est de faire usage de leurs prérogatives en matière d’application du droit de l’Union; réaffirme son soutien plein et entier aux juges polonais qui continuent d’appliquer la primauté du droit de l’Union et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de demandes de décision préjudicielle, y compris après l’arrêt K 3/21, malgré les risques que cela suppose pour leur carrière, notamment le relèvement de leurs fonctions à titre disciplinaire, le licenciement ou la démission forcée;
9. rappelle que les traités de l’Union ne peuvent être modifiés par une décision d’une juridiction nationale et que l’article 91 de la Constitution polonaise rappelle qu’un accord international ratifié fait partie de l’ordre juridique interne, qu’il doit être appliqué directement et que ses dispositions prévalent en cas de conflit de lois; est vivement préoccupé par le fait que la «Cour constitutionnelle» polonaise, autrefois gardienne efficace de la Constitution, soit devenue un outil de légalisation des activités illégales des autorités; rappelle que les arrêts de la CJUE ne portent pas atteinte au droit des États membres d’opérer des changements organisationnels au sein du système judiciaire;
10. salue les initiatives de certains parlements nationaux visant à délibérer et à prendre des positions claires sur les récentes mesures prises par le gouvernement polonais du PiS et ses attaques contre la primauté du droit de l’Union;
11. réaffirme son point de vue selon lequel l’argent des contribuables de l’Union ne devrait pas être versé à des gouvernements qui portent gravement, délibérément et systématiquement atteinte aux valeurs inscrites à l’article 2 du traité UE;
12. invite la Commission et le Conseil à prendre d’urgence des mesures coordonnées:
—
en engageant des procédures d’infraction en ce qui concerne la législation sur la «Cour constitutionnelle» illégitime, sa composition illégale et son rôle pour ce qui est d’empêcher l’exécution des arrêts de la CJUE, et en demandant à la CJUE d’imposer des mesures provisoires et en engageant des procédures d’infraction en ce qui concerne la chambre de contrôle extraordinaire et d’affaires publiques de la Cour suprême, le Conseil national de la magistrature et les organes de l’État chargés des poursuites en Pologne;
—
en procédant au déclenchement, par la Commission, de la procédure prévue à l’article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit pour la Pologne, tout en rappelant que l’article 5 du règlement protège l’accès au financement pour les destinataires et les bénéficiaires finaux et en exhortant la Commission à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir le versement des paiements;
—
en s’abstenant d’approuver le projet de plan pour la reprise et la résilience de la Pologne tant que le gouvernement polonais n’appliquera pas pleinement et correctement les arrêts de la CJUE et des tribunaux internationaux, et en veillant à ce que l’évaluation du plan garantisse le respect des recommandations par pays pertinentes, en particulier en ce qui concerne la préservation de l’indépendance de la justice;
—
en adoptant des recommandations sans équivoque assorties d’un calendrier précis, qui ne nécessitent pas l’unanimité, en vue de remédier aux violations de l’état de droit par la Pologne et en déclarant, de la part du Conseil, qu’il existe un risque clair de violation grave de l’état de droit par la Pologne, conformément à la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, du traité UE, et en élargissant le champ d’application de cette procédure de manière à couvrir les droits fondamentaux et la démocratie;
—
en faisant usage de leurs pouvoirs, notamment en interrompant ou en suspendant les paiements ou en procédant, le cas échéant, à des corrections financières, conformément au règlement portant dispositions communes applicable, compte tenu du risque de graves défaillances dans le fonctionnement efficace des systèmes de contrôle en Pologne en raison du manque d’indépendance de la justice, qui met en péril la légalité et la régularité des dépenses;
—
en examinant la crise de l’état de droit en Pologne en présence du Président du Parlement européen et en adoptant une position claire, en publiant une déclaration commune, très ferme, sur la question, signée par les chefs d’État ou de gouvernement de l’Union lors de leur prochain sommet, les 21 et 22 octobre 2021, et en effectuant un suivi urgent lors du prochain Conseil des affaires générales;
13. souligne que ces demandes ne visent pas à imposer des mesures punitives au peuple polonais, mais à rétablir l’état de droit en Pologne compte tenu de sa détérioration constante; demande à la Commission d’utiliser tous les instruments dont elle dispose pour trouver des moyens de veiller à ce que les citoyens polonais et les résidents de Pologne ne soient pas privés du bénéfice des fonds de l’Union en raison des actions du gouvernement actuel, et de mettre en place la possibilité d’un versement direct de ces fonds par la Commission à leurs bénéficiaires finaux;
14. prend acte du vote de sa commission des affaires juridiques du 14 octobre 2021 en faveur de l’introduction d’un recours devant la CJUE contre la Commission pour non‑déclenchement du mécanisme de l’Union de conditionnalité liée à l’état de droit;
15. charge son Président de transmettre la présente résolution aux gouvernements et aux parlements des États membres, au Conseil, à la Commission, au Comité des régions et au Conseil de l’Europe.