Résolution du Parlement européen du 10 mars 2022 sur l’état de droit et les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (2022/2535(RSP))
Le Parlement européen,
– vu l’article 2, l’article 3, paragraphe 1, l’article 4, paragraphe 3, les articles 6, 7 et 13, l’article 14, paragraphe 1, l’article 16, paragraphe 1, l’article 17, paragraphes 1, 3 et 8, l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, et l’article 49 du traité sur l’Union européenne (traité UE), ainsi que les articles 265, 310, 317 et 319 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE),
– vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
– vu le règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union(1) («règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit»),
– vu sa résolution du 25 mars 2021 sur l’application du règlement (UE, Euratom) 2020/2092, le mécanisme de conditionnalité liée à l’état de droit(2),
– vu sa résolution du 10 juin 2021 sur la situation de l’état de droit dans l’Union européenne et l’application du règlement (UE, Euratom) 2020/2092 relatif à la conditionnalité(3),
– vu sa résolution du 8 juillet 2021 sur l’élaboration de lignes directrices relatives à l’application du régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union(4),
– vu son recours en carence introduit le 29 octobre 2021 dans l’affaire C-657/21, Parlement européen/Commission, actuellement pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE),
– vu les rapports de la Commission sur l’état de droit du 30 septembre 2020 (COM(2020)0580) et du 20 juillet 2021 (COM(2021)0700),
– vu les conclusions du Conseil européen adoptées le 11 décembre 2020,
– vu la jurisprudence de la CJUE et de la Cour européenne des droits de l’homme,
– vu les arrêts de la CJUE du 16 février 2022 dans les affaires C-156/21 et C-157/21(5),
– vu l’arrêt de la CJUE du 3 juin 2021 dans l’affaire C-650/18, rejetant le recours de la Hongrie contre la résolution du Parlement du 12 septembre 2018 déclenchant la procédure pour constater l’existence d’un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée(6),
– vu l’ordonnance de la Cour de justice du 14 juillet 2021 et son arrêt du 15 juillet 2021(7), selon lesquels le système disciplinaire des juges en Pologne n’est pas compatible avec le droit de l’Union,
– vu sa résolution du 12 septembre 2018 relative à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée(8),
– vu la proposition motivée de la Commission du 20 décembre 2017 présentée conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité UE relative à l’état de droit en Pologne: «proposition de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’état de droit» (COM(2017)0835),
– vu sa résolution du 1er mars 2018 sur la décision de la Commission de déclencher l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne en ce qui concerne la situation en Pologne(9),
– vu les lettres du 17 novembre 2021 que la Commission a envoyées à la Pologne et à la Hongrie conformément à l’article 6, paragraphe 4, du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit,
– vu l’article 132 et l’annexe VI de son règlement intérieur,
A. considérant que l’Union européenne est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités, consacrées à l’article 2 du traité UE;
B. considérant que, conformément au règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit, l’état de droit doit être compris au regard des valeurs et principes inscrits dans l’article 2 du traité UE, notamment les droits fondamentaux et la non-discrimination; que la Commission devrait utiliser tous les instruments à sa disposition, y compris le règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit, pour lutter contre les violations persistantes de la démocratie et des droits fondamentaux partout dans l’Union, y compris les attaques contre la liberté des médias et les journalistes, les migrants, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTIQ ainsi que les libertés d’association et de réunion; que la Commission doit agir et en tenir compte dans l’application du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit;
C. considérant qu’un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs inscrites à l’article 2 du traité UE ne concerne pas uniquement l’État membre dans lequel le risque se matérialise, mais qu’il a une incidence sur les autres États membres, sur leur confiance mutuelle, sur la nature même de l’Union et sur les droits fondamentaux de ses citoyens au titre du droit de l’Union;
D. considérant que les valeurs énoncées à l’article 2 du traité UE définissent l’identité même de l’Union européenne comme un ordre juridique commun et que, par conséquent, l’Union doit être en mesure de défendre ces valeurs, dans les limites des compétences que lui confèrent les traités;
E. considérant que le règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit est entré en vigueur le 1er janvier 2021 et qu’il est contraignant dans tous ses éléments et directement applicable dans tous les États membres depuis cette date;
F. considérant que l’applicabilité, l’objet et le champ d’application du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit sont clairement définis dans ledit règlement; que, conformément à l’article 17, paragraphe 1, du traité UE, la Commission «veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci»;
G. considérant que l’absence de la présidente de la Commission lors du débat en plénière du 16 février 2022 témoigne d’un manque de respect de l’obligation de la Commission de donner la priorité à sa présence, sur demande, aux séances plénières du Parlement plutôt qu’à d’autres manifestations ou invitations concurrentes, comme le prévoit l’accord-cadre sur les relations entre le Parlement européen et la Commission européenne(10);
H. considérant que, dans son communiqué de presse du 16 février 2022, la présidente von der Leyen a annoncé que, compte tenu des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission «[adoptera] dans les semaines à venir des lignes directrices qui clarifieront les modalités de l’application de ce mécanisme dans la pratique»;
I. considérant que l’application du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit n’est pas subordonnée à l’adoption de lignes directrices, qui ne font pas partie du règlement, et que les lignes directrices ne doivent pas porter atteinte à l’intention des colégislateurs, ni modifier, étendre ou restreindre le champ d’application du règlement;
J. considérant que le règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit vise à protéger le budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union contre les effets résultant de violations des principes de l’état de droit;
K. considérant qu’il est inacceptable que, depuis décembre 2021, la Commission et le Conseil aient refusé d’entamer des négociations sur un accord interinstitutionnel relatif à un mécanisme unique, fondé sur des données probantes et à l’échelle de l’Union pour la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux, comme l’a demandé le Parlement dans son initiative législative du 7 octobre 2020(11);
L. considérant que les trois conditions de versement des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience à la Pologne, telles que mentionnées par la présidente de la Commission le 19 octobre 2021, ne sont pas encore remplies;
M. considérant que, conformément à l’article 319 du traité FUE, «[l]e Parlement européen, sur recommandation du Conseil, donne décharge à la Commission sur l’exécution du budget»;
N. considérant que la guerre qui a éclaté en Ukraine nous a rappelé notre devoir commun de protéger efficacement la démocratie, l’état de droit et nos valeurs, telles qu’elles sont consacrées à l’article 2 du traité UE, avec tous les moyens dont nous disposons;
O. considérant que, conformément à l’article 234 du traité FUE, le Parlement européen peut se prononcer sur une motion de censure à l’égard de la Commission;
P. considérant que la Commission a malheureusement décidé de se conformer aux conclusions non contraignantes du Conseil européen du 11 décembre 2020, bien qu’elle «exerce ses responsabilités en pleine indépendance» et que ses membres «ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme» (article 17, paragraphe 3, du traité UE, article 245 du traité FUE) et qu’en outre, la Commission, «en tant que collège, est responsable devant le Parlement européen» (article 17, paragraphe 8, du traité UE) et «veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci» (article 17, paragraphe 1, du traité UE);
1. se félicite des arrêts de la Cour de justice du 16 février 2022(12) et de ses conclusions selon lesquelles le mécanisme de conditionnalité liée à l’état de droit est conforme au droit de l’Union, confirmant le caractère approprié de la base juridique, la compatibilité du régime avec l’article 7 du traité UE et le principe de sécurité juridique, ainsi que les compétences de l’Union en matière d’état de droit dans les États membres, ainsi que de la conclusion selon laquelle les recours introduits par la Hongrie et la Pologne contre le règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit devraient être rejetés;
2. invite la Commission à prendre des mesures d’urgence et à appliquer immédiatement le mécanisme de conditionnalité liée à l’état de droit en envoyant une notification écrite au titre de l’article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conditionnalité de l’état de droit et en informant directement le Parlement par la suite; part du principe que tous les événements relevant du champ d’application du règlement dans les 14 mois qui ont suivi son entrée en vigueur en janvier 2021 doivent faire partie de la notification; souligne qu’il est grand temps pour la Commission de remplir ses fonctions de gardienne des traités et de réagir immédiatement aux graves violations persistantes des principes de l’état de droit dans certains États membres, lesquelles représentent un grave danger pour les intérêts financiers de l’Union en ce qui concerne la répartition équitable, légale et impartiale des fonds de l’Union, en particulier de ceux relevant de la gestion partagée; met en garde contre le fait que tout retard supplémentaire peut avoir de graves conséquences;
3. souligne que l’inaction et le laxisme à l’égard des structures oligarchiques et de la violation systémique de l’état de droit affaiblissent l’ensemble de l’Union européenne et sapent la confiance de ses citoyens; insiste sur la nécessité de veiller à ce que l’argent des contribuables ne finisse jamais dans les poches de ceux qui portent atteinte aux valeurs communes de l’Union;
4. déplore la réponse inadéquate de la Commission aux arrêts de la CJUE du 16 février 2022, en dépit de son engagement à finaliser les lignes directrices sur l’application du mécanisme de protection de l’état de droit; réaffirme toutefois que le texte du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit est clair et que son application ne requiert aucune interprétation supplémentaire, et que les colégislateurs n’ont pas délégué de pouvoirs à cet effet à la Commission; souligne que la CJUE a reconnu, en particulier, que les États membres ne peuvent soutenir qu’ils ne sont pas en mesure de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel et les exigences découlant du règlement; fait valoir, dans ce contexte, que le processus d’élaboration de lignes directrices, qui ne sont pas juridiquement contraignantes et ne font pas partie du règlement, ne doit en aucun cas retarder davantage encore l’application du règlement, et souligne en particulier que la Commission a l’obligation de mettre en œuvre la législation de l’Union indépendamment des calendriers électoraux dans les États membres;
5. relève qu’en octobre 2021, le Parlement a introduit, en vertu de l’article 265 du traité FUE, un recours contre la Commission devant la CJUE pour manquement à son obligation d’agir et à appliquer le règlement, demandes formulées dans deux résolutions en 2021 et faisant suite aux réponses insatisfaisantes de la Commission et à sa tentative de jouer la montre; rappelle que cette affaire(13) est actuellement au stade de la procédure écrite, stade lors duquel les parties concernées – Commission et Parlement – présentent leurs arguments par écrit; déplore que la Commission n’ait pas encore répondu à la demande du Parlement de déclencher l’article 6, paragraphe 1, du règlement et qu’elle n’ait pas envoyé de notifications écrites aux États membres concernés, alors qu’elle n’a envoyé de demandes d’informations à la Hongrie et à la Pologne qu’en novembre 2021;
6. regrette que le Conseil ne soit pas à même d’obtenir de véritables avancées pour faire appliquer les valeurs de l’Union dans le cadre des procédures en cours engagées au titre de l’article 7 en réponse aux menaces qui pèsent sur les valeurs européennes communes en Pologne et en Hongrie; souligne que le fait que le Conseil n’ait pas utilisé efficacement l’article 7 du traité UE continue de porter atteinte à l’intégrité des valeurs européennes communes, à la confiance mutuelle et à la crédibilité de l’Union dans son ensemble; demande instamment à la présidence française et aux présidences qui suivront d’organiser régulièrement des auditions; se félicite, à cet égard, de la première audition convoquée par la présidence française le 22 février 2022 et de la deuxième, prévue pour le 30 mai 2022; recommande que le Conseil adresse des recommandations concrètes aux États membres en question, comme le prévoit l’article 7, paragraphe 1, du traité UE, dans le prolongement des auditions, et qu’il fixe des échéances pour la mise en œuvre de ces recommandations;
7. invite dès lors la présidence française à respecter son engagement en faveur d’une «Europe humaine» et à contribuer résolument au renforcement de l’état de droit et à la protection des droits fondamentaux, tels qu’ils sont consacrés dans le programme de la présidence de l’Union, dans lequel l’état de droit est décrit comme une «condition essentielle au bon fonctionnement de l’Union»; prie instamment la présidence française de soutenir l’application et la mise en œuvre rapides et correctes du règlement sur la conditionnalité liée à l’état de droit;
8. souligne que la détérioration de la situation de l’état de droit dans certains États membres nécessite un dialogue constructif sur la poursuite de l’évolution de la boîte à outils de l’Union en matière d’état de droit;
9. souligne que, lorsqu’elle prend des mesures au titre du règlement, la Commission devrait garantir une transparence pleine et entière et en informer le Parlement en temps utile, contrairement à l’approche que la Commission a adoptée lors de l’envoi de lettres de demande d’informations au titre du règlement en novembre 2021;
10. demande à la Commission de veiller à ce que les bénéficiaires ou bénéficiaires finaux des fonds de l’Union ne soient pas privés du bénéfice des fonds de l’Union en cas d’application de sanctions au titre du mécanisme de conditionnalité liée à l’état de droit, tel que prévu à l’article 5, paragraphes 4 et 5, du règlement;
11. souligne que le mécanisme de conditionnalité liée à l’état de droit devrait s’appliquer tant au budget de l’Union qu’à l’instrument de l’Union européenne pour la relance; souligne en outre que l’approbation des plans nationaux au titre de la facilité pour la reprise et la résilience devrait être subordonnée au respect de l’ensemble des 11 critères énoncés à l’article 19 et à l’annexe V du règlement établissant une facilité pour la reprise et la résilience; attend de la Commission qu’elle écarte tous les risques de voir des programmes relevant de la politique de cohésion contribuer à l’utilisation abusive des fonds de l’Union ou à des violations de l’état de droit avant d’approuver les accords de partenariat et les programmes de la politique de cohésion; invite la Commission à appliquer le règlement portant dispositions communes et le règlement financier de manière plus rigoureuse afin de lutter contre l’utilisation discriminatoire de fonds de l’Union, notamment toute utilisation à caractère politique;
12. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution à la Commission, au Conseil et aux États membres.
Arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, C-156/21, ECLI:EU:C:2022:97, et arrêt du 16 février 2022, République de Pologne/Parlement européen et Conseil de l’Union européenne, C-157/21, ECLI:EU:C:2022:98.
Ordonnance du vice-président de la Cour du 14 juillet 2021, Commission européenne/République de Pologne, C-204/21 R, ECLI:EU:C:2021:593, et arrêt du 15 juillet 2021, Commission européenne/République de Pologne, C-791/19, ECLI:EU:C:2021:596.