Résolution du Parlement européen du 9 juin 2022 sur les violations de la liberté des médias et la sécurité des journalistes en Géorgie (2022/2702(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions antérieures sur la Géorgie, notamment celle du 16 septembre 2020 sur la mise en œuvre de l’accord d’association de l’Union européenne avec la Géorgie(1),
– vu la récente visite de la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias en Géorgie les 28 et 29 avril 2022,
– vu l’accord conclu entre les forces politiques géorgiennes le 19 avril 2021, sous la médiation du président du Conseil européen,
– vu l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part, qui est pleinement entré en vigueur le 1er juillet 2016(2),
– vu le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières pour 2021 et 2022,
– vu l’article 144, paragraphe 5, et l’article 132, paragraphe 4, de son règlement intérieur,
A. considérant que, dans leur accord d’association, en vigueur depuis le 1er juillet 2016, la Géorgie et l’Union européenne se sont engagées à instaurer un dialogue politique en vue de renforcer le respect des principes démocratiques, l’état de droit et la bonne gouvernance, les droits de l’homme et les libertés fondamentales, y compris la liberté des médias;
B. considérant que la Géorgie a présenté sa demande d’adhésion à l’Union européenne le 3 mars 2022, ce qui témoigne des aspirations européennes du peuple géorgien, qui bénéficient d’un large soutien au sein de la population et de l’ensemble du spectre politique, y compris l’opposition;
C. considérant que la liberté d’expression, la liberté des médias et la sécurité des journalistes sont des éléments essentiels d’une démocratie dynamique et que leur protection par les autorités est un indicateur important de la consolidation de la démocratie; que des médias pluralistes, libres et indépendants constituent l’une des pierres angulaires de la démocratie et l’un des principaux piliers de la lutte contre la désinformation;
D. considérant que l’accord du 19 avril 2021, sous la médiation du président du Conseil européen, Charles Michel, souligne la nécessité de remédier aux perceptions d’un système judiciaire politisé, notamment par l’adoption et la mise en œuvre d’une réforme ambitieuse du système judiciaire afin d’accroître son indépendance, sa transparence et sa responsabilité;
E. considérant que, le 5 juillet 2021, plus de 50 journalistes, représentants des médias et manifestants pacifiques qui couvraient la marche des fiertés «Tbilisi Pride» ont été violemment attaqués par des militants principalement d’extrême droite, ce qui a entraîné l’annulation de la manifestation; qu’Alexander Lashkarava, cameraman de la chaîne TV Pirveli, est décédé peu de temps après cette agression des suites de ses blessures;
F. considérant que l’environnement médiatique de la Géorgie, après plusieurs années d’amélioration, s’est rapidement détérioré au cours des dernières années et qu’un nombre sans précédent d’agressions physiques violentes contre des journalistes se sont produites en Géorgie depuis les violences massives contre la marche des fiertés de Tbilissi le 5 juillet 2021, ce qui a suscité des réactions de plusieurs organisations internationales de défense de la liberté des médias faisant part de leur inquiétude et a entraîné un net recul de la Géorgie dans le classement mondial de la liberté de la presse (passant d’un score de 71,36 et d’un rang de 60e sur 180 en 2021 à un score de 59,9 et un rang de 89e sur 180 en 2022);
G. considérant que le nombre d’agressions verbales à l’encontre de journalistes et le nombre de poursuites en diffamation, notamment par des fonctionnaires du gouvernement et des personnes associées au parti au pouvoir, contre les voix critiques des représentants des médias et des entreprises, ne font qu’augmenter; que, comme l’a observé Transparency International Géorgie, le changement de pratique judiciaire fait peser la charge de la preuve sur les journalistes, en dépit d’une disposition explicite du droit géorgien qui prévoit le contraire; que les journalistes, en particulier ceux des médias critiques à l’égard du gouvernement, éprouvent des difficultés à accéder à des informations qui devraient être publiquement accessibles;
H. considérant que certaines enquêtes ont été entachées d’un manque de transparence et d’efficacité, ce qui a conduit à une impression généralisée d’impunité pour les personnes coupables de crimes contre les journalistes;
I. considérant que, le 4 avril 2022, le tribunal de la ville de Tbilissi a condamné six personnes à cinq ans d’emprisonnement pour l’attaque de deux cameramen et d’un journaliste lors des violentes attaques contre la marche de la «Tbilisi Pride» le 5 juillet 2021;
J. considérant que, le 16 mai 2022, Nika Gvaramia, directeur de la chaîne de télévision Mtavari, a été condamnée à trois ans et demi de prison en vertu de l’article 220 du code pénal pour des accusations douteuses de blanchiment d’argent, de corruption et de falsification de documents liées à ses activités passées de directeur de la chaîne Rustavi 2 TV, une peine largement perçue en Géorgie comme une tentative de réduire au silence une voix critique à l’égard du gouvernement actuel; que cette affaire a déjà fait l’objet d’une évaluation négative de la part du Défenseur public de Géorgie en 2019;
K. considérant que les enquêtes et les poursuites sélectives visant les opposants au gouvernement actuel sapent la confiance du public non seulement dans les institutions judiciaires, mais aussi dans le gouvernement lui-même, tandis que le caractère répétitif d’affaires similaires contre des propriétaires de médias liés à l’opposition sape les efforts visant à accroître l’indépendance du pouvoir judiciaire;
L. considérant que l’ancien président Mikheïl Saakachvili, dont la santé ne cesse de se détériorer, a finalement été transféré dans un hôpital civil à la suite de l’avis de médecins indépendants selon lequel son état ne s’améliorerait pas autrement;
M. considérant que la réforme de la loi sur les communications électroniques confère à la commission nationale géorgienne de communication (GNCC) le droit de nommer des administrateurs spéciaux dans les entreprises de télécommunications qui exécutent les décisions de la GNCC;
N. considérant que des procédures judiciaires ont été engagées contre des propriétaires d’autres grands médias critiques, ou des membres de leur famille proche, à savoir David Kezerachvili de la chaîne Formula TV et Vakhtang Tsereteli, le fondateur de la chaîne indépendante TV Pirveli; qu’en janvier 2022, le tribunal municipal de Tbilissi a jugé les fondateurs de la banque TBC et du parti politique Lelo pour la Géorgie, Mamuka Khazaradze et Badri Japaridze, ainsi qu’Avtandil Tsereteli, père de Vakhtang Tsereteli, coupables de fraude et les a condamnés à sept ans de prison; que leur condamnation a toutefois été commuée, le délai de prescription pour fraude ayant expiré;
O. considérant que, ces dernières années, et en particulier depuis l’invasion russe de l’Ukraine, la Géorgie a connu une augmentation de la désinformation russe et de la propagande dirigée contre l’Union, en particulier contre les femmes, la communauté LGBTQI+, les défenseurs des droits de l’homme et les minorités ethniques;
P. considérant qu’il a été confirmé que de nombreux journalistes figurent parmi les membres de la société géorgienne dont les conversations étaient enregistrées, comme l’ont montré les révélations sur les écoutes illégales généralisées en septembre 2021;
Q. considérant que les enquêtes sur le cas du journaliste azerbaïdjanais Afgan Mukhtarli, enlevé en Géorgie en mai 2017 et transporté illégalement au-delà de la frontière avec l’Azerbaïdjan pour faire l’objet d’un procès à Bakou, avec la complicité présumée de responsables géorgiens de la sécurité, n’ont pas encore abouti à des résultats tangibles;
1. se déclare préoccupé par la détérioration significative de la situation des médias et de la sécurité des journalistes en Géorgie ces dernières années, malgré le cadre juridique solide de la Géorgie en matière de liberté d’expression et de liberté des médias;
2. condamne le nombre croissant de cas d’intimidation, de menaces et de violences à l’encontre de journalistes et de persécutions à l’encontre de journalistes, y compris un nombre croissant d’enquêtes pénales sur des professionnels et des propriétaires de médias; invite les autorités géorgiennes à enquêter de manière approfondie sur tous les cas de violence et à poursuivre les responsables d’attaques violentes à l’encontre de journalistes et d’autres professionnels des médias, ce qui permettrait de remédier à l’impression que ces crimes restent impunis; invite la Géorgie à limiter le recours aux poursuites stratégiques altérant le débat public qui ciblent les défenseurs des droits de l’homme et les représentants des médias, ce qui entrave leur travail critique et indépendant;
3. invite la Géorgie à garantir la liberté des médias, qui devrait englober l’indépendance éditoriale, la transparence de la propriété des médias et la couverture pluraliste, impartiale et non discriminatoire des opinions politiques dans les programmes des diffuseurs privés et, en particulier, publics, notamment pendant les campagnes électorales; invite la Géorgie à garantir un accès sans entrave aux informations censées être accessibles au public et à garantir la sécurité, la protection et l’autonomisation des journalistes et des autres professionnels des médias;
4. dénonce la condamnation de Nika Gvaramia, directeur de la principale chaîne de télévision pro-opposition Mtavari, le 16 mai 2022, qui a mis en évidence la méfiance persistante à l’égard du système judiciaire géorgien; souscrit à l’appel lancé par Reporters sans frontières en faveur d’une révision de la condamnation de Nika Gvaramia; souligne une fois de plus qu’il est urgent que le gouvernement fasse véritablement avancer la réforme du système judiciaire au moyen d’un processus interpartis large et inclusif, dans le but de renforcer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire, conformément aux engagements pris en tant que partenaire associé de l’Union;
5. invite tous les représentants du gouvernement géorgien à s’abstenir de recourir à des discours agressifs et discriminatoires à l’égard des représentants des médias en Géorgie et à plaider en faveur d’une approche tolérante respectueuse des droits de l’homme dans leurs déclarations publiques;
6. dénonce fermement l’absence persistante d’enquêtes diligentes ou de poursuites à l’encontre des responsables de la violence à l’encontre de journalistes et de manifestants pacifiques lors de la marche de la «Tbilisi Pride» le 5 juillet 2021; insiste sur le fait que l’impunité des auteurs de tels actes ne peut en aucun cas être tolérée, étant donné qu’ils sont contraires à la législation nationale de la Géorgie et aux engagements internationaux et européens du pays, et demande que des enquêtes efficaces soient menées sur les incidents du 5 juillet 2021; condamne la discrimination persistante à l’encontre des personnes LGBTQI+; prie instamment les autorités géorgiennes de mettre pleinement en œuvre la législation en matière de droits de l’homme et de lutte contre la discrimination;
7. invite les autorités géorgiennes à mener des enquêtes efficaces sur le scandale des écoutes téléphoniques et à mettre en place des mécanismes adéquats de contrôle démocratique des activités de surveillance et de collecte de données par les institutions publiques;
8. souligne la nécessité de garantir un environnement de travail sûr et propice aux journalistes, aux professionnels des médias et aux organes de presse, tant dans la législation que dans la pratique, y compris pour les journalistes qui cherchent à fuir la Russie, la Biélorussie et d’autres régimes autoritaires; encourage par conséquent la Géorgie à tirer parti de la coopération internationale pour améliorer l’environnement médiatique et la législation pertinente, conformément aux meilleures pratiques internationales;
9. félicite Nino Lomjaria, le Défenseur public de Géorgie, pour ses actions visant à préserver la liberté des médias, malgré les attaques régulières du gouvernement;
10. constate que le paysage médiatique géorgien est diversifié et pluraliste, mais regrette les relations extrêmement tendues entre le parti au pouvoir et les médias critiques, ainsi qu’entre les partis d’opposition et les médias pro-gouvernementaux; déplore vivement la polarisation du paysage médiatique, qui traduit la polarisation croissante et délétère du paysage politique;
11. demande à nouveau aux autorités géorgiennes de s’abstenir d’interférer dans la liberté des médias ou d’attaquer devant la justice pour des motifs politiques des propriétaires ou des représentants de médias;
12. demande aux autorités géorgiennes de libérer l’ancien président Mikheïl Saakachvili de prison pour des raisons humanitaires afin de lui permettre de subir un traitement médical adapté à l’étranger;
13. se déclare préoccupé par l’augmentation constante de la désinformation et de la manipulation de l’information russes en Géorgie, dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine, et invite instamment le gouvernement géorgien à élaborer des programmes d’éducation aux médias pour ses citoyens, à soutenir la société civile dans la création de mécanismes de vérification des faits et à prendre des mesures actives pour empêcher les campagnes de désinformation menées par des acteurs étrangers ou nationaux contre le pays, les groupes ou les personnes vulnérables, tels que ceux qui vivent dans des communautés ethniques minoritaires ou dans des zones de conflit, et contre les partis politiques;
14. prie instamment tous les acteurs politiques géorgiens de s’abstenir d’exploiter les tentatives de désinformation russe pour cibler leurs opposants politiques, car cela ne fait que contribuer à la propagation de la désinformation et mettre en péril la cohésion sociale et la démocratie;
15. encourage la Géorgie à faire le meilleur usage possible de tous les instruments et initiatives consacrés au renforcement de la résilience dans le cadre du partenariat oriental et invite la Commission et les États membres de l’Union à apporter un soutien politique, technique et financier aux médias indépendants et à la société civile de la Géorgie;
16. se déclare préoccupé par le rôle destructeur joué par Bidzina Ivanichvili, le seul oligarque du pays, dans la politique et l’économie de la Géorgie et par le niveau de contrôle qu’il exerce sur le gouvernement et ses décisions, y compris en ce qui concerne la persécution, pour des motifs politiques, des journalistes et des opposants politiques; est profondément préoccupé par les liens personnels et les liens d’affaires avérés entre Ivanichivili et le Kremlin, qui déterminent la position de l’actuel gouvernement géorgien à l’égard des sanctions contre la Russie; invite le Conseil et les partenaires démocratiques à envisager d’imposer des sanctions personnelles à Ivanichvili pour son rôle dans la détérioration du processus politique en Géorgie;
17. se félicite de la participation de la Géorgie au programme «Europe créative» 2021-2027; invite la Commission et les États membres à soutenir les actions visant à surveiller et à évaluer les risques pour le pluralisme et la liberté des médias, à défendre les journalistes menacés et à faciliter la transformation et la compétitivité du secteur des médias d’information en Géorgie;
18. invite les autorités géorgiennes à respecter résolument les normes les plus élevées en matière de démocratie, d’état de droit, d’indépendance de la justice, de procès équitable et de libertés fondamentales, y compris dans le domaine de la liberté des médias, et à démontrer ainsi sans ambiguïté leur détermination politique à concrétiser les aspirations européennes ambitieuses du peuple géorgien, comme en témoigne la demande d’adhésion du pays à l’Union européenne du 3 mars 2022; se dit convaincu que les aspirations légitimes du peuple géorgien méritent d’être satisfaites et invite dès lors les institutions de l’Union à œuvrer à l’octroi du statut de candidat à l’Union à la Géorgie, conformément à l’article 49 du traité sur l’Union européenne, sur la base du mérite et à condition que les autorités géorgiennes remplissent tous les critères;
19. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au Conseil de l’Europe et à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ainsi qu’au président, au gouvernement et au Parlement de la Géorgie.