Résolution du Parlement européen du 12 juillet 2023 sur l’adhésion à l’espace Schengen (2023/2668(RSP))
Le Parlement européen,
– vu les pétitions nº 0004/2023 et nº 1033/2015 et les délibérations à leur sujet au sein de la commission des pétitions le 22 mars 2023,
– vu le protocole nº 19 du traité sur l’Union européenne (traité UE) et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne (11997D/PRO/02),
– vu l’article 67, paragraphes 1 et 2, du traité FUE, qui dispose que l’Union doit constituer un espace de liberté, de sécurité et de justice qui «assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures»,
– vu l’article 2 du traité UE qui dispose que l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités,
– vu l’article 20 et l’article 21, paragraphe 1, du traité FUE, selon lesquels tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres,
– vu l’article 18 du traité FUE, qui dispose qu’«est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité»,
– vu l’article 4, paragraphe 3, et l’article 13, paragraphes 1 et 2, du traité UE concernant l’obligation pour les institutions de l’Union de pratiquer entre elles une coopération loyale,
– vu l’article 4, paragraphe 2, de l’acte du 21 juin 2005 relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne(1),
– vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la charte »), notamment son article 45, qui dispose que tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres,
– vu sa position du 8 juin 2011 sur le projet de décision du Conseil relative à l’application de la totalité des dispositions de l’acquis de Schengen dans la République de Bulgarie et en Roumanie(2),
– vu les conclusions du Conseil «Justice et affaires intérieures» des 9 et 10 juin 2011, 22 et 23 septembre 2011, 25 et 26 octobre 2012, 7 et 8 mars 2013, 5 et 6 décembre 2013 et 8 et 9 décembre 2022,
– vu la décision (UE) 2017/1908 du Conseil du 12 octobre 2017 concernant la mise en application en République de Bulgarie et en Roumanie de certaines dispositions de l’acquis de Schengen relatives au système d’information sur les visas(3),
– vu la décision (UE) 2018/934 du Conseil du 25 juin 2018 concernant la mise en application en République de Bulgarie et en Roumanie des dispositions restantes de l’acquis de Schengen relatives au système d’information Schengen(4),
– vu la communication de la Commission du 24 mai 2022 intitulée «Rapport 2022 sur la situation dans l’espace Schengen» (COM(2022)0301) et la communication de la Commission du 16 mai 2023 intitulée «Rapport 2023 sur la situation dans l’espace Schengen» (COM(2023)0274), appelant à «l’achèvement de l’espace Schengen au moyen d’une décision du Conseil adoptée avant la fin de 2023 relative à l’application de la totalité de l’acquis de Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie»,
– vu la communication de la Commission du 16 novembre 2022 intitulée «Renforcer Schengen par la participation intégrale de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie à l’espace sans contrôles aux frontières intérieures» (COM(2022)0636), y compris le rapport de la mission d’information volontaire effectuée en Roumanie et en Bulgarie sur l’application de l’acquis de Schengen et son évolution depuis 2011(5), publié conjointement avec la communication,
– vu le règlement (UE) 2022/922 du Conseil du 9 juin 2022 relatif à la création et au fonctionnement d’un mécanisme d’évaluation et de contrôle destiné à vérifier l’application de l’acquis de Schengen, et abrogeant le règlement (UE) nº 1053/2013(6),
– vu sa résolution du 11 décembre 2018 sur l’application de la totalité des dispositions de l’acquis de Schengen en Bulgarie et en Roumanie: suppression des contrôles aux frontières intérieures terrestres, maritimes et aériennes(7),
– vu ses résolutions du 13 octobre 2011 et du 18 octobre 2022 sur l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen(8),
– vu le rapport du 23 novembre 2022 de la mission d’information volontaire effectuée en Roumanie et en Bulgarie sur l’application de l’acquis de Schengen et son évolution depuis 2011, transmis au Parlement européen en décembre 2022,
– vu la note explicative publiée le 9 décembre 2022 par le ministère fédéral des affaires européennes et internationales de la République d’Autriche sur la position de l’Autriche,
– vu l’article 227, paragraphe 2, de son règlement intérieur,
A. considérant que l’espace Schengen est l’un des piliers du projet européen, qu’il est essentiel dans le cadre de la citoyenneté européenne et qu’il est conçu pour être le socle de l’Union européenne et du marché unique dans son ensemble; que l’espace Schengen est la réalisation la plus emblématique de l’intégration européenne et une manifestation concrète du mode de vie européen, moteur de l’économie et trait d’union entre les Européens par-delà les frontières intérieures;
B. considérant que, depuis plus de dix ans, la Roumanie et la Bulgarie ne bénéficient pas pleinement des avantages de l’espace Schengen en raison du fait qu’elles ne sont toujours pas membres à part entière, bien qu’elles aient rempli toutes les obligations établies au titre de l’acquis de Schengen;
C. considérant que, chaque jour, environ 3,5 millions de personnes franchissent des frontières intérieures pour travailler, étudier ou rendre visite à leurs familles et à leurs amis, et que près de 1,7 million de personnes résident dans un pays de l’espace Schengen tout en travaillant dans un autre; que, selon les estimations, les Européens effectuent chaque année 1,25 milliard de voyages au sein de l’espace Schengen, ce qui profite largement aux secteurs du tourisme et de la culture(9);
D. considérant que la non-adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen représente un préjudice sociétal et économique important pour les entreprises et la population des deux pays; que la Roumanie compte plus de 19 millions d’habitants et que la Bulgarie est peuplée de près de 7 millions d’habitants, auxquels il convient d’ajouter les membres de leurs diasporas respectives, qui sont des citoyens de l’Union qui vivent dans d’autres États membres et qui subissent régulièrement le même préjudice;
E. considérant que, par rapport à leurs homologues des pays de l’espace Schengen, tous les citoyens bulgares et roumains sont victimes de discrimination en raison des retards qu’ils rencontrent, de la charge bureaucratique excessive à laquelle ils sont exposés et des coûts supplémentaires qu’ils doivent supporter lorsqu’ils voyagent ou font affaire à l’étranger; que le veto à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen peut susciter un sentiment antieuropéen dans ces pays et entraîner ainsi une perte de confiance dans le projet de l’Union et dans ses institutions; que les contrôles d’identité augmentent les coûts des échanges de biens d’environ 0,4 % à 0,9 % de la valeur des échanges à chaque frontière de l’espace Schengen, tandis que des coûts encore plus élevés s’appliquent aux échanges de services; que les coûts des échanges commerciaux pour l’ensemble de l’espace Schengen représentent de 6,5 à 13 milliards d’euros par an;
F. considérant que, lors de sa réunion du 8 décembre 2022, le Conseil n’a pas soutenu la décision relative à l’application intégrale des dispositions de l’acquis de Schengen en Roumanie et en Bulgarie, malgré l’évaluation positive de la Commission, qui a souligné que la Roumanie et la Bulgarie continuent de remplir tous les critères pour adhérer pleinement à l’espace Schengen;
G. considérant que les arguments invoqués dans la motivation officielle de l’Autriche concernant le vote publiée le 9 décembre 2022(10) ne sont pas liés aux conditions fixées pour l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen, comme indiqué à l’article 4, paragraphe 2, de l’acte de 2005 relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne;
H. considérant que la Roumanie et la Bulgarie ont achevé avec succès le processus d’évaluation de Schengen conformément à l’article 4, paragraphe 2, de l’acte de 2005 relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union; que l’état de préparation de ces deux pays en vue de la mise en œuvre de l’ensemble des dispositions de l’acquis de Schengen a été confirmé par les experts du groupe de travail «Évaluation de Schengen» (SCH-EVAL) et par le Conseil dans ses conclusions des 9 et 10 juin 2011; que le Conseil a constaté, le 8 juillet 2011, que les deux pays remplissaient les conditions nécessaires à l’application de l’acquis de Schengen dans tous les domaines; que la pleine participation à l’espace Schengen, dès lors que toutes les conditions convenues sont vérifiées et remplies, n’est pas une question de privilège, mais bien un droit fondé sur le droit de l’Union, conformément aux traités de l’Union;
I. considérant que les missions d’information volontaires d’octobre et de novembre 2022 ont montré que la Bulgarie et la Roumanie n’ont cessé de mettre en œuvre l’acquis et les outils de Schengen de manière exhaustive depuis 2011 et qu’elles apportent donc une contribution précieuse au bon fonctionnement de l’espace Schengen;
J. considérant que l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) a clairement indiqué, sur la base de données statistiques, que la Roumanie et la Bulgarie ne constituent pas une route migratoire vers le reste de l’espace Schengen; que tous les États membres qui font partie de l’espace Schengen sont tenus de se conformer à l’acquis de Schengen, notamment en ce qui concerne les droits fondamentaux, conformément à l’article 4 du code frontières Schengen(11);
K. considérant que, selon la Commission, la Roumanie a géré efficacement, conformément aux normes de Schengen, les plus de 4,5 millions de réfugiés ukrainiens(12) qui sont entrés dans le pays depuis le début de la guerre d’agression illégale menée par la Russie contre l’Ukraine;
L. considérant que la Commission et le Parlement européen ont invité le Conseil à prendre sans plus tarder toutes les décisions nécessaires pour que la Bulgarie et la Roumanie deviennent membres à part entière de l’espace Schengen;
M. considérant que l’environnement, ainsi que la santé des conducteurs, des travailleurs des douanes et des personnes vivant dans les zones de passage frontalières, sont également menacés en raison de la pollution accrue causée par les milliers de véhicules qui font la queue chaque jour et attendent des heures, voire des jours, pour franchir la frontière entre la Hongrie et la Roumanie, la Roumanie et la Bulgarie et la Bulgarie et la Grèce; que des informations fondées sur des données probantes(13) ont mis en évidence que 46 000 tonnes de CO2 sont émises chaque année en raison du maintien des contrôles aux frontières intérieures pour la Roumanie et la Bulgarie;
N. considérant que le temps d’attente pour les camions franchissant les frontières entre les pays de l’espace Schengen était compris entre 10 et 30 minutes en 2021, beaucoup d’entre eux n’enregistrant aucun retard, tandis que pour les pays n’appartenant pas à l’espace Schengen, les retards aux points de passage frontaliers peuvent aller de quelques heures à quelques jours(14); qu’en 2022, les files d’attente des camions s’étendaient sur plus de 25 km aux frontières occidentales de la Roumanie(15); que ces longues files d’attente aux douanes, qui peuvent durer des jours, ont un effet extrêmement négatif sur les conditions de travail des chauffeurs routiers et sur l’environnement;
O. considérant que la Roumanie et la Bulgarie ont subi d’importantes pertes financières au cours des onze dernières années, bien qu’elles aient rempli tous les critères nécessaires pour accéder à l’espace Schengen sans pour autant bénéficier des droits connexes;
1. réaffirme, conformément à sa position de longue date exprimée dans ses résolutions antérieures sur l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen, qu’il soutient fermement l’élargissement de l’espace Schengen à la Roumanie et à la Bulgarie, étant donné que ces pays ont déjà démontré qu’ils respectent les critères nécessaires, qu’ils remplissent effectivement les obligations de Schengen et qu’ils apportent déjà une contribution positive à l’espace Schengen;
2. déplore vivement le résultat des délibérations du Conseil du 8 décembre 2022, à la suite desquelles la Roumanie et la Bulgarie se sont vu refuser l’adhésion à l’espace Schengen, sans qu’aucune justification juridique liée aux critères d’adhésion n’ait été présentée; estime que ce résultat a été motivé par des campagnes politiques nationales plutôt que par les critères d’adhésion en eux-mêmes;
3. constate avec une vive inquiétude que ce résultat a suscité chez les citoyens roumains et bulgares le sentiment qu’ils sont victimes de discrimination et invite la Commission à envisager d’analyser les éventuelles violations du traité sur l’Union européenne; relève également que, si l’adhésion de la Croatie à l’espace Schengen a été approuvée, l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie ne l’a pas été; constate avec inquiétude que le refus d’étendre l’espace Schengen à la Roumanie et à la Bulgarie a eu un effet dévastateur sur le soutien public à l’Union;
4. prie instamment le Conseil de remplir ses obligations de coopération loyale au titre de l’article 13 du traité UE dans ses relations avec la Commission et le Parlement européen et déclare agir de bonne foi en ce qui concerne l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen; estime que le refus d’accepter la Roumanie et la Bulgarie dans l’espace Schengen entraîne une violation de la charte en ce qui concerne le droit à la dignité humaine (article 1), le droit à la liberté et à la sûreté (article 6), l’égalité en droit (article 20), la protection de l’environnement (article 37) et la liberté de circulation (article 45);
5. demande au Conseil de respecter l’article 4, paragraphe 2, de l’acte de 2005 relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union et de voter, sans plus tarder et au plus tard à la fin de 2023, en faveur de l’adhésion de ces deux pays et de la pleine application de l’acquis de Schengen sur la seule base du respect des critères de Schengen par ces pays;
6. demande au Conseil de prendre acte du fait que les dommages collatéraux et irréparables, tels que ceux résultant de l’augmentation des émissions de CO2 générées par les millions de véhicules qui attendent chaque année des heures aux postes-frontières, vont nettement à l’encontre des objectifs de neutralité climatique de l’Union;
7. déplore et souligne avec une vive inquiétude l’instrumentalisation par la propagande antieuropéenne, y compris la propagande russe, de la décision négative relative à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen, au détriment des objectifs de politique étrangère de l’Union; souligne que cette décision, bien qu’elle ne repose pas sur des critères juridiquement solides et applicables, compromet la capacité de l’Union à promouvoir ses valeurs et la bonne gouvernance dans les pays tiers, y compris dans les pays en voie d’adhésion;
8. invite la Commission à estimer les pertes financières, les gains manqués et les dommages environnementaux subis par la Roumanie et la Bulgarie, ainsi que par l’Union dans son ensemble, depuis 2011, en raison du fait que la Roumanie et la Bulgarie ne sont pas membres de l’espace Schengen; estime que la Commission devrait analyser les mécanismes possibles de compensation des pertes financières essuyées par la Bulgarie et la Roumanie en raison du refus négatif et injustifié de leur accorder le statut de membre de l’espace Schengen, en tenant compte des pertes financières subies depuis juin 2011;
9. souligne que l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’espace Schengen est essentielle, étant donné qu’un espace Schengen élargi sans contrôles aux frontières intérieures rendra l’Union européenne plus forte;
10. demande à tous les États membres de remplir leur obligation de coopération loyale avec la Roumanie et la Bulgarie en ce qui concerne l’adhésion de ces deux États membres à l’espace Schengen, conformément à l’article 4, paragraphe 3, du traité UE; relève qu’aucun État membre ne devrait violer arbitrairement les droits des autres États membres, y compris leur adhésion légitime à l’espace Schengen une fois les critères remplis;
11. prie instamment la Commission d’analyser toutes les procédures possibles pour défendre le droit à la libre circulation des citoyens roumains et bulgares;
12. souligne la nécessité d’analyser les recours actuels et les éventuels recours futurs devant la Cour de justice de l’Union européenne;
13. invite la présidence espagnole du Conseil à accorder une priorité élevée à ce sujet et à programmer un vote sur cette question en 2023; invite le Conseil à prendre des mesures pour éviter les abus du droit de veto;
14. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution à la Commission et au Conseil, ainsi qu’aux gouvernements et aux parlements des États membres.
Document officiel publié par le ministère fédéral autrichien des affaires européennes et internationales le 9 décembre 2022 et joint en annexe (annexe 2) à la pétition nº 0004/2023 sur l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen.
Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 77 du 23.3.2016, p. 1).
Communiqué de presse de l’Union nationale des transporteurs routiers roumains, disponible à l’adresse suivante: https://www.untrr.ro/en/press-release-untrr-requests-priority-for-romania-s-entry-into-the-schengen-area-and-the-right-of-free-movement-in-the-eu-for-romanian-road-carriers-and-passengers-without-blockages-for-trucks-and-coaches-at-the-eu-borders.html.