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Procédure : 2023/3021(RSP)
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Mercredi 17 janvier 2024 - Strasbourg
Dissolution prévue des principales structures anti-corruption en Slovaquie, et répercussions sur l’état de droit
P9_TA(2024)0021B9-0062/2024

Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2024 sur la dissolution prévue des principales structures anti-corruption en Slovaquie, et les répercussions sur l’état de droit (2023/3021(RSP))

Le Parlement européen,

–  vu les articles 2, 4, 6, 7 et 10 du traité sur l’Union européenne,

–  vu l’article 325 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

–  vu les articles 11, 12, 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

–  vu sa résolution du 28 mars 2019 sur la situation en matière d’état de droit et de lutte contre la corruption dans l’Union, notamment à Malte et en Slovaquie(1),

–  vu sa résolution du 19 avril 2018 sur la protection des journalistes d’investigation en Europe: le cas de Ján Kuciak, journaliste slovaque, et de Martina Kušnírová(2),

–  vu la communication de la Commission du 5 juillet 2023 intitulée «Rapport 2023 sur l’état de droit – La situation de l’état de droit dans l’Union européenne» (COM(2023)0800),

–  vu l’article 132, paragraphe 2, de son règlement intérieur,

A.  considérant qu’au cours des dernières années, la Slovaquie a redoublé d’efforts pour lutter contre la grande corruption et la criminalité organisée, plusieurs anciens hauts fonctionnaires ayant été inculpés de délits de corruption et ayant fait l’objet de décisions de justice définitives; que le bureau du procureur spécial slovaque, qui a commencé ses activités le 1er septembre 2004, et la police slovaque ont joué un rôle déterminant dans le traitement des affaires liées à la corruption et à des formes graves de criminalité, y compris celles liées à l’utilisation abusive des fonds de l’Union;

B.  considérant que le faible nombre d’affaires instruites et l’absence d’un mécanisme efficace de lutte contre la corruption et la criminalité organisée en Slovaquie ont été les principales raisons de la création du bureau du procureur spécial en Slovaquie; qu’un organe spécialisé similaire existe dans plusieurs autres États membres, y compris le procureur européen spécialisé récemment institué au niveau de l’Union, et approuvé par la Slovaquie au sein du Conseil;

C.  considérant que le nouveau gouvernement a décidé de démanteler le bureau du procureur spécial et de réduire les sanctions pénales pour les formes graves de criminalité, y compris la corruption et la criminalité environnementale, en modifiant le code pénal au moyen d’une procédure législative accélérée au début de son mandat;

D.  considérant que la procédure accélérée fait fi de la possibilité d’un véritable débat public ou d’un processus démocratique en bonne et due forme; que plus de 20 000 citoyens sont descendus à plusieurs reprises dans la rue pour protester contre la proposition controversée; que plus de 100 000 citoyens ont cosigné deux pétitions contre les propositions du gouvernement et la procédure législative accélérée; que la présidente slovaque a exprimé de vives inquiétudes quant à la proposition et à la procédure législative accélérée, et qu’elle a fait savoir qu’elle opposerait son veto à la loi; que, dans le rapport 2023 sur l’état de droit, la Commission a recommandé à la Slovaquie de garantir une consultation publique efficace et la participation des parties prenantes au processus d’élaboration des lois;

E.  considérant que, tout au long du processus législatif accéléré, le gouvernement slovaque a refusé de tenir compte de l’analyse des experts ainsi que des avis de la société civile et de la Commission, y compris des vives inquiétudes exprimées quant à la manière dont les modifications proposées entraveraient la lutte contre la corruption;

F.  considérant que, parallèlement, le ministre de l’intérieur a procédé à d’importants changements de personnel et a annoncé d’importants changements structurels et organisationnels au sein de la police slovaque et d’autres institutions démocratiques indépendantes, notamment en ce qui concerne les enquêteurs travaillant sur des affaires de grande criminalité et de grande corruption au sein de l’Agence pénale nationale slovaque, ce qui suscite des doutes quant aux motivations qui sous-tendent ces changements; que le gouvernement slovaque a remplacé les membres du Conseil de la magistrature de la République slovaque avant la fin de leur mandat et sans justification appropriée;

G.  considérant que le gouvernement slovaque a proposé au Parlement une législation qui éliminerait, pour les policiers, la protection accordée aux lanceurs d’alerte, porterait atteinte à la liberté d’expression et limiterait les droits de tous les citoyens slovaques au titre de l’introduction d’une évaluation arbitraire et subjective, ce qui va à l’encontre des principes de la directive de l’Union sur les lanceurs d’alerte(3);

H.  considérant que le Parquet européen a déclaré, le 18 décembre 2023, que certaines modifications législatives proposées par le gouvernement slovaque en ce qui concerne les principaux cadres juridiques et judiciaires pourraient présenter des risques pour la protection efficace des intérêts financiers de l’Union européenne, ainsi que pour son cadre de lutte contre la corruption, et ne garantiraient plus que les infractions portant atteinte au budget de l’Union sont passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives en Slovaquie; que le démantèlement du bureau du procureur spécial pourrait compromettre la collaboration et la coordination avec le Parquet européen, l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale et l’Office européen de lutte antifraude;

I.  considérant que le Premier ministre slovaque recourt souvent à un discours clivant afin de polariser la société slovaque; qu’un échange de vues respectueux entre les dirigeants politiques et tous les citoyens, y compris les étudiants, est essentiel au bon fonctionnement de la démocratie;

J.  considérant que, par le passé, les attaques publiques perpétrées par des responsables politiques en Slovaquie à l’encontre de journalistes, de la société civile et de groupes vulnérables ont fait le lit des discours de haine, de graves crimes violents ayant ainsi été commis, y compris les assassinats de Ján Kuciak et de Martina Kušnírová; que Ján Kuciak s’est spécialisé dans les investigations sur les phénomènes d’évasion fiscale, de fraude fiscale, de corruption et de blanchiment de capitaux à grande échelle, et qu’il a mené des enquêtes sur plusieurs hommes d’affaires ayant des liens avec des responsables politiques de haut niveau; que l’assassinat de Ján Kuciak et de Martina Kušnírová est l’une des affaires les plus complexes faisant l’objet d’une enquête sous la supervision du bureau du procureur spécial; que le dossier risque d’être transféré à un nouveau procureur si le bureau du procureur spécial est démantelé;

1.  se déclare profondément préoccupé par le recours injustifié, par le gouvernement slovaque, au processus législatif accéléré, en particulier en ce qui concerne les propositions de modification du code pénal et la dissolution du bureau du procureur spécial, qui menacent l’intégrité des procédures judiciaires, sapent la lutte de l’Union européenne contre la fraude et mettent en péril la protection des intérêts financiers de l’Union et de l’environnement naturel en Slovaquie; invite le gouvernement slovaque à réexaminer ces modifications à la lumière de leurs conséquences potentielles sur l’état de droit, les intérêts financiers de l’Union et le cadre européen de lutte contre la corruption; invite le gouvernement slovaque à respecter les principes contraignants de la directive européenne sur les lanceurs d’alerte et à réexaminer les modifications proposées à la protection des lanceurs d’alerte en Slovaquie; se déclare particulièrement préoccupé par le fait que les lanceurs d’alerte se voient privés rétroactivement de leur protection, ce qui se traduit par un manque de sécurité juridique; note que l’Office slovaque de protection des lanceurs d’alerte (ÚOO) a signalé ces problèmes à la Commission;

2.  rappelle que toute réforme pénale doit comporter des garanties suffisantes et adéquates pour garantir la poursuite et l’efficacité des affaires pénales nouvelles et en cours, en particulier en ce qui concerne la grande corruption, ainsi que pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’autonomie du ministère public, conformément aux recommandations formulées par la Commission dans ses rapports successifs sur l’état de droit; se déclare préoccupé par le fait que la réattribution des affaires du procureur spécial pourrait entraîner des retards considérables et que certaines affaires pourraient être abandonnées en raison du délai de prescription; prie instamment le gouvernement de répondre à l’appel lancé, de longue date, en faveur d’une réforme du paragraphe 363 de la loi slovaque sur la procédure pénale, et d’introduire la possibilité de contester une décision du procureur général de ne pas engager de poursuites ainsi que d’autres mesures ou sauvegardes visant à empêcher le recours abusif à cette disposition;

3.  souligne la nécessité d’un vaste processus public qui tienne compte des avis des experts et des institutions compétentes, telles que la Commission de Venise, et qui comprenne des consultations adéquates des parties prenantes et du public au niveau national et de l’Union sur toute modification apportée au code pénal actuel et aux structures chargées d’enquêter sur les formes graves de criminalité et de les poursuivre, y compris les affaires de corruption en Slovaquie;

4.  demande davantage de ressources humaines et financières pour les affaires de corruption et une meilleure coordination entre les enquêteurs et les procureurs chargés des affaires de corruption, conformément à la recommandation du Parquet européen, afin que les enquêtes sur les infractions liées à la corruption soient plus efficaces;

5.  invite la Commission à suivre de près ces évolutions et à communiquer à ce sujet, en prenant les mesures nécessaires pour préserver l’état de droit et l’indépendance de la justice, en particulier en ce qui concerne les affaires de grande corruption, et pour protéger les intérêts financiers de l’Union;

6.  reconnaît et soutient le rôle et l’engagement importants des citoyens et des organisations non gouvernementales (ONG) à l’égard de la protection ainsi que de la promotion de la démocratie et de l’état de droit; demande que les parties prenantes soient associées au processus d’élaboration des lois, notamment en ce qui concerne le recours aux procédures accélérées;

7.   rend hommage à Ján Kuciak, six ans après son assassinat, et à son travail essentiel de journaliste d’investigation; invite les autorités slovaques à veiller à ce que justice soit faite;

8.   prie instamment tous les dirigeants politiques de dialoguer de manière constructive et respectueuse avec les citoyens en défendant les principes du débat démocratique et en respectant les institutions publiques, l’état de droit et la liberté académique; invite dès lors les responsables gouvernementaux à s’abstenir d’attaques verbales contre des individus, des journalistes et des organisations de la société civile; souligne le devoir des responsables et pouvoirs publics de servir tous les citoyens, en particulier dans un pays qui a un passé de crimes de haine et où un journaliste a été assassiné;

9.  condamne les propos inappropriés et irrespectueux formulés par le Premier ministre, notamment à l’encontre d’un étudiant qui a participé à une initiative visant à favoriser un échange universitaire sur l’état de droit en Slovaquie; invite les responsables gouvernementaux à s’abstenir de remettre en cause la légitimité des décisions de justice; est vivement préoccupé par les projets annoncés d’adoption d’une législation qui porterait atteinte à l’espace dévolu à la société civile, notamment en restreignant le travail des ONG et en stigmatisant les organisations qui reçoivent des financements étrangers;

10.  met en garde contre toute ingérence politique dans l’indépendance éditoriale et l’intégrité journalistique; prend acte avec inquiétude du projet de restructuration de la radio et de la télévision slovaques (RTVS), principal organisme public de radiodiffusion du pays; souligne l’importance du maintien de médias libres et indépendants en tant que pierre angulaire d’une société démocratique;

11.  déplore la décision du Premier ministre ainsi que de plusieurs responsables gouvernementaux de ne plus communiquer avec les principaux médias, reconnaissant qu’il s’agit là d’une entrave importante au droit du public de recevoir des informations pertinentes du gouvernement; souligne que de tels agissements restreignent la liberté et la transparence des médias et contribuent à la propagation de la désinformation manipulatrice dans l’espace public;

12.  invite le gouvernement slovaque à respecter le principe de coopération loyale avec les institutions de l’Union;

13.  charge sa Présidente de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, à l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et au Parquet européen.

(1) JO C 108 du 26.3.2021, p. 107.
(2) JO C 390 du 18.11.2019, p. 111.
(3) Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union (JO L 305 du 26.11.2019, p. 17).

Dernière mise à jour: 20 juin 2024Avis juridique - Politique de confidentialité