Résolution du Parlement européen du 25 avril 2024 sur les tentatives de réintroduction d’une loi sur les agents de l’étranger en Géorgie et ses restrictions à l’égard de la société civile (2024/2703(RSP))
Le Parlement européen,
– vu ses résolutions précédentes sur la Géorgie,
– vu la déclaration du 17 avril 2024 du haut représentant et du commissaire chargé du voisinage et de l’élargissement sur l’adoption de la loi relative à la transparence des interférences étrangères,
– vu la déclaration du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) du 4 avril 2024 sur le projet de loi relative à la transparence des interférences étrangères,
– vu les conclusions du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023,
– vu la communication de la Commission du 8 novembre 2023 intitulée «Communication de 2023 sur la politique d’élargissement de l’UE» (COM(2023)0690),
– vu l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la Géorgie, d’autre part(1),
– vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
– vu la convention européenne des droits de l’homme,
– vu la déclaration commune du 18 avril 2024 du président de la commission des affaires étrangères, de la présidente de la délégation pour les relations avec le Caucase du Sud et le rapporteur permanent du Parlement européen sur la Géorgie sur la réintroduction du projet de loi relative à la transparence des interférences étrangères en Géorgie,
– vu l’article 132, paragraphes 2 et 4, de son règlement intérieur,
A. considérant que l’exercice de la liberté d’opinion, d’expression, d’association et de réunion pacifique est un droit fondamental consacré par la Constitution géorgienne;
B. considérant que la Géorgie, en tant que partie à la déclaration universelle des droits de l’homme et à la convention européenne des droits de l’homme, et en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, s’est engagée à respecter les principes de la démocratie et de l’état de droit ainsi que les libertés fondamentales et les droits de l’homme;
C. considérant que l’Union européenne attend de la Géorgie, pays candidat à l’adhésion à l’Union, qu’elle honore pleinement l’accord d’association et les autres engagements internationaux qu’elle a pris et, en particulier, qu’elle remplisse les conditions et prenne les mesures énoncées dans la recommandation de la Commission du 8 novembre 2023; que le Conseil européen a accordé à la Géorgie le statut de pays candidat à la condition expresse que ces mesures soient mises en œuvre; que ladite recommandation invitait la Géorgie à garantir la liberté d’action de la société civile (mesure 9) et à lutter contre la désinformation contre l’Union et ses valeurs (mesure 1), et que le projet de loi va à l’encontre de ces deux objectifs;
D. considérant que, le 17 avril 2024, le Parlement géorgien a adopté en première lecture, par 83 voix pour et 0 contre, la loi relative à la «transparence des interférences étrangères», en dépit des manifestations massives de citoyens géorgiens, des critiques de la présidente géorgienne, qui assimile le projet de loi à un «sabotage de la voie européenne du pays», des condamnations nationales et internationales, et des appels réitérés des partenaires européens de la Géorgie à retirer ce projet de loi; que cette loi imposerait aux organisations dont plus de 20 % du financement provient de l’étranger de s’enregistrer dans les deux mois en tant qu’«organisations défendant les intérêts d’une puissance étrangère» et de se présenter comme telle; que les organisations seraient soumises à une surveillance accrue, à des obligations de déclaration et peut-être à des sanctions, notamment à des sanctions administratives pouvant aller jusqu’à 25 000 GEL; que la loi restreindrait considérablement la capacité des médias et des organisations de la société civile à travailler librement;
E. considérant que l’objectif légitime de garantir la transparence des organisations non gouvernementales recevant des fonds étrangers ne peut en aucune façon justifier des mesures qui restreignent leurs activités, en particulier dans le domaine de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme;
F. considérant que ce projet de loi intervient alors que les attaques contre la société civile et les médias indépendants en Géorgie et contre le soutien à la démocratie apporté par des donateurs internationaux se multiplient, dans une tentative apparente de restreindre l’espace dévolu à la société civile et de faire taire les voix critiques dans l’opinion publique, notamment en limitant l’accès aux financements étrangers; que ce projet de loi n’est que le dernier d’une série d’initiatives législatives et autres prises par le gouvernement géorgien à l’approche des élections, y compris l’annonce de modifications constitutionnelles visant à lutter contre la «propagande LGBT» et l’annulation d’une disposition prévoyant des quotas hommes-femmes au parlement, qui mettent en péril les réformes démocratiques et contribuent à la diffusion de la désinformation sur l’Union, ses valeurs et ses politiques; que le Parlement européen a déjà demandé, dans de précédentes résolutions, que des mesures soient prises pour réduire le rôle destructeur joué par les intérêts de l’oligarchie dans la politique et l’économie de la Géorgie, y compris les persécutions politiques à l’encontre de journalistes et d’opposants politiques tels que l’ancien président Mikheïl Saakachvili, dont le Parlement a demandé la libération pour des raisons humanitaires afin qu’il puisse recevoir un traitement médical à l’étranger;
1. condamne fermement la réintroduction du projet controversé de loi relative à la transparence des interférences étrangères, qui imposerait des restrictions à la société civile et aux médias indépendants et limiterait ainsi leur capacité à opérer librement, et qui a donné lieu à des protestations massives tant de l’opinion publique géorgienne, des organisations de la société civile, des médias indépendants, de personnalités publiques éminentes que des partenaires européens et internationaux du pays;
2. souligne que ce projet de loi est incompatible avec les valeurs et les principes démocratiques de l’Union, qu’il est contraire aux ambitions de la Géorgie en matière d’adhésion à l’Union, qu’il nuit à la réputation internationale de la Géorgie et qu’il met en péril l’intégration euro-atlantique du pays;
3. souligne que les négociations d’adhésion à l’Union ne devraient pas être ouvertes tant que cette loi fait partie de l’ordre juridique de la Géorgie;
4. exhorte par conséquent le Parlement géorgien à mettre un terme au processus parlementaire d’adoption de cette loi et demande instamment au gouvernement géorgien d’honorer les engagements qu’il a pris en mars 2023 lorsqu’il a annoncé qu’il retirerait sans condition son projet de loi visant à imposer des restrictions à la société civile et aux médias indépendants et qu’il s’abstiendrait de proposer à nouveau une telle loi; invite également le gouvernement géorgien à se garder de présenter d’autres propositions législatives allant à l’encontre des principes de la démocratie, de l’état de droit, des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qui seraient donc contraires aux critères dits de Copenhague pour l’adhésion à l’Union européenne;
5. insiste sur le fait que le projet de loi trahit les aspirations de la grande majorité du peuple géorgien à vivre dans une société démocratique, à poursuivre les réformes démocratiques et de l’état de droit, à entretenir une coopération étroite avec les partenaires euro-atlantiques et à s’engager sur la voie de l’adhésion à l’Union;
6. souligne que les droits à la liberté d’expression, de réunion et de manifestation pacifique sont des libertés fondamentales qui doivent être respectés en toutes circonstances, en particulier dans un pays aspirant à adhérer à l’Union;
7. prie instamment le gouvernement géorgien de respecter les droits constitutionnels des citoyens géorgiens et s’inquiète des informations selon lesquelles la police anti-émeute a fait usage disproportionné de la force pour disperser les participants aux manifestations contre le projet de loi controversé; invite les autorités géorgiennes à enquêter et à demander des comptes aux responsables de l’usage illégal et disproportionné de la force;
8. insiste sur le fait que le rôle d’observateur critique public joué par la société civile et les médias indépendants est essentiel à une société démocratique et crucial si l’on veut que les réformes liées à l’adhésion à l’Union progressent; invite dès lors les autorités géorgiennes à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour garantir un environnement propice à l’épanouissement de la société civile et des médias indépendants;
9. dénonce le fait que le gouvernement géorgien s’inspire d’une loi russe similaire très controversée dite «loi sur les agents de l’étranger», qui stigmatise et discrimine délibérément les organisations et les militants de la société civile et qui est utilisée pour étouffer l’opposition à la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et réduire au silence toute voix dissidente subsistant dans le pays;
10. rappelle que le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 a octroyé le statut de pays candidat à la Géorgie à la condition que les mesures énoncées dans la recommandation de la Commission du 8 novembre 2023 soient prises; souligne que ladite recommandation invitait la Géorgie à garantir la liberté d’action de la société civile (mesure 9) et à lutter contre la désinformation contre l’Union et ses valeurs (mesure 1), et que le projet de loi va à l’encontre de ces deux objectifs;
11. rappelle au gouvernement géorgien les engagements qu’il a pris et les valeurs et principes auxquels il a souscrit lorsqu’il a demandé à adhérer à l’Union européenne et invite le vice-président de la Commission européenne et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, le commissaire chargé du voisinage et de l’élargissement et la présidente de la Commission à faire de même;
12. invite la Commission à présenter une évaluation intermédiaire des progrès accomplis par la Géorgie dans la mise en œuvre des neuf étapes énoncées dans la recommandation de la Commission du 8 novembre 2023;
13. invite la Commission à évaluer rapidement l’incidence du projet de loi géorgienne sur les «agents étrangers» sur le plan de la satisfaction par la Géorgie des critères de libéralisation du régime des visas, en particulier le critère des droits fondamentaux, élément essentiel de la politique de libéralisation du régime des visas de l’Union;
14. demande à la Commission et aux États membres d’évaluer l’impact que ce projet de loi devrait avoir sur le rôle de l’Union en tant que donateur en Géorgie et à communiquer clairement au gouvernement et au parlement géorgiens quel pourrait être cet impact et ce qu’il pourrait signifier pour le financement de l’Union en général;
15. prie instamment le gouvernement géorgien de revenir sur sa trajectoire européenne, d’honorer l’engagement qu’il a pris de respecter, de renforcer et de promouvoir la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et les libertés fondamentales, et de s’engager véritablement dans la mise en œuvre intégrale des mesures requises pour satisfaire aux conditions d’obtention du statut de candidat et d’adhésion à l’Union, avec détermination et dans un esprit de coopération avec la société civile et l’opposition politique géorgienne;
16. déplore le rôle que joue personnellement l’unique oligarque géorgien, Bidzina Ivanishvili, qui a fait son retour sur la scène politique le 30 décembre 2023 en tant que «président honoraire» du parti Rêve géorgien, dans la crise politique actuelle et dans une nouvelle tentative pour saper l’aspiration du pays à se tourner vers l’Ouest et le faire basculer vers la Russie; demande une nouvelle fois au Conseil et aux partenaires démocratiques de l’Union d’envisager d’imposer des sanctions personnelles à Bidzina Ivanishvili pour son rôle dans la détérioration du processus politique en Géorgie et pour ses manœuvres contraires aux intérêts de son peuple;
17. réaffirme son soutien sans faille aux aspirations européennes légitimes du peuple géorgien et à son désir de vivre dans un pays prospère, exempt de corruption, qui respecte pleinement les libertés fondamentales, protège les droits de l’homme et garantit une société ouverte et des médias indépendants; souligne que la décision d’accorder à la Géorgie le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne a été motivée par le souhait de reconnaître les réalisations et les efforts démocratiques de la société civile géorgienne ainsi que le soutien massif des citoyens géorgiens à l’adhésion à l’Union;
18. demande instamment au parti Rêve géorgien, majoritaire au parlement, de retirer ses propositions de dispositions constitutionnelles qui restreignent les droits des personnes LGBTIQ, ce qui constitue une attaque non seulement contre la communauté LGBTIQ, mais aussi contre la liberté d’expression et une société civile libre;
19. demande une nouvelle fois aux autorités géorgiennes de libérer l’ancien président Mikheïl Saakachvili pour des raisons humanitaires afin de lui permettre de recevoir un traitement médical adapté à l’étranger; souligne que son cas met par ailleurs en avant l’importance de mettre en œuvre une véritable réforme du système judiciaire;
20. demande que le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe organise une mission internationale d’observation électorale impartiale et indépendante à long terme pour suivre les prochaines élections législatives géorgiennes en octobre 2024;
21. charge sa Présidente de transmettre la présente résolution au vice-président de la Commission et haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au Conseil, à la Commission, aux gouvernements et aux parlements des États membres, au Conseil de l’Europe et à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ainsi qu’à la présidente géorgienne et au gouvernement et au Parlement géorgiens.