Le détachement de travailleurs

Un «travailleur détaché» est un travailleur qui est envoyé par son employeur pour fournir un service à titre temporaire dans un autre État membre de l’Union. La liberté d’établissement et la libre prestation des services sont des libertés fondamentales consacrées par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE). Le principe régissant le statut des travailleurs détachés est «une rémunération identique pour un même travail au même endroit».

Base juridique

Article 54 et articles 56 à 62 du traité FUE.

Objectifs

Un «travailleur détaché» est un salarié envoyé par son employeur pour effectuer une prestation de services à titre temporaire dans un autre État membre de l’Union. Le droit de l’Union sur les travailleurs détachés est généralement considéré comme un effort ciblé pour réguler et équilibrer les deux principes que sont:

  • la création de conditions de concurrence équitables pour la prestation transfrontière de services afin qu’elle soit aussi libre que possible;
  • et la protection des droits des travailleurs détachés grâce à un socle de droits sociaux communs garantis destiné à éviter les inégalités de traitement et la création d’une main-d’œuvre à faible coût.

Réalisations

A. Historique de la directive relative au détachement de travailleurs

La directive relative au détachement de travailleurs découle de la libre prestation de services (article 56 du traité FUE) et de l’engagement pris par l’Union d’éliminer les obstacles à la libre circulation transfrontière des services au sein du marché intérieur. Lorsque l’Union européenne s’est élargie à l’Espagne et au Portugal en 1986, la question de la prestation transfrontière de services est passée au premier plan du débat sur le marché intérieur. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (C-113/89) couplé à l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède a finalement mis un terme à une décennie de blocage législatif et débouché sur l’adoption de la directive visant à réglementer la situation des travailleurs détachés.

La première directive a été adoptée le 16 décembre 1996. Elle a défini un «noyau dur» de conditions minimales en matière d’emploi et de travail (telles que les périodes maximales de travail, la durée minimale des congés annuels payés, les salaires minimums, la santé et la sécurité au travail, etc.). Pour ce qui est des autres aspects de la relation de travail, les dispositions du droit du travail du pays d’origine continuaient de s’appliquer. En ce qui concerne la sécurité sociale, les travailleurs détachés restaient affiliés au régime de sécurité sociale de leur pays d’origine, pour autant que la durée du détachement durât — en général — moins de deux ans. Sur le plan de la fiscalité, le droit de prélever des impôts sur les revenus continuait d’appartenir au pays d’origine pendant 183 jours et n’était transféré au pays d’accueil qu’à l’échéance de ce délai.

Il s’ensuivait que les différences de coût de la main-d’œuvre entre les travailleurs locaux et les travailleurs détachés pouvaient être considérables, en fonction des niveaux de salaire, des cotisations à la sécurité sociale et de l’impôt sur le revenu à verser.

Au cours des années qui ont suivi l’adoption de la première directive, la mise en œuvre, l’interprétation juridique et la réglementation du cas particulier des travailleurs détachés ont soulevé trois problématiques spécifiques:

  • des écarts croissants au niveau des salaires et des coûts du travail, qui ont rendu le recours aux travailleurs détachés plus attrayant pour les entreprises. Le nombre des détachements a ainsi progressé de 44,4 % entre 2010 et 2014;
  • un environnement propice aux abus, tels que la rotation des travailleurs détachés ou les sociétés boîtes aux lettres, qui exploitent les failles de la directive pour contourner la législation relative à l’emploi et à la sécurité sociale et exercer des activités dans d’autres États membres;
  • un manque de clarté des normes en vigueur et des défaillances de la coopération entre les autorités, au sein des États membres comme par-delà les frontières, qui sont source de problèmes pour les organes chargés de veiller à l’application de la législation.

Compte tenu des dispositions de politique sociale introduites dans les traités européens depuis la révision de 2007 du traité de Lisbonne, on pouvait se demander si la directive de 1996 relative au détachement de travailleurs constituait un instrument juridique adéquat en vue de garantir des conditions de concurrence équitables pour la prestation transfrontière de services et, dans le même temps, un fondement adéquat pour les droits sociaux des travailleurs. Dans les cas où la directive laissait aux États membres le soin d’assurer la mise en œuvre et de contrôler le respect des normes minimales en matière d’emploi, il convenait de s’appuyer sur les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne pour interpréter la terminologie employée dans cette directive. Cependant, les arrêts rendus par la Cour à la suite de l’adoption de la directive n’ont pas apporté la clarté juridique nécessaire. Ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, l’absence d’une norme claire a créé de l’incertitude au sujet des règles et des difficultés pratiques pour les organismes chargés du contrôle du respect des règles dans l’État membre d’accueil, pour le prestataire du service au moment de déterminer le salaire dû à un travailleur détaché, et pour les travailleurs détachés eux-mêmes pour ce qui est de connaître leurs droits. En outre, dans ses quatre arrêts de 2007/2008 dans les affaires Viking (C-438/05), Laval (C-341/05), Rüffert (C-346/06) et Commission contre Luxembourg (C-319/06), la Cour a modifié les normes en matière d’emploi, conçues à l’origine comme des normes minimales dans la directive relative au détachement de travailleurs, pour en faire un «plafond maximal» de conditions de travail et d’emploi. Depuis, la Cour a cependant rendu deux arrêts contribuant davantage à la protection des travailleurs détachés. Dans l’affaire Sähköalojen ammattiliittory (C-396/13), elle a jugé que le classement des travailleurs en différents groupes de salaires qui revêtent un caractère généralement contraignant et transparent dans une convention collective doit également s’appliquer aux travailleurs détachés. Plus récemment, elle a jugé dans l’affaire Regio-Post (C-115/14) que les États membres peuvent exiger des soumissionnaires de marchés publics et de leurs sous-traitants qu’ils versent un salaire minimal déterminé à leur personnel.

B. Des réformes destinées à améliorer les performances

À la lumière de ces lacunes, la Commission a poursuivi ses réformes dans l’optique d’actualiser la directive initiale sur le détachement de travailleurs et de renforcer le contrôle de l’application de la législation. Ces réformes ont tenu compte des mises à jour des traités européens et de la forte tendance à la hausse du détachement.

Les deux principales propositions législatives sont présentées ci-dessous:

1. La directive d’exécution 2014/67/UE

La directive d’exécution 2014/67/UE établit un cadre juridique commun pour déterminer les véritables détachements et uniformiser la mise en œuvre, l’application et le contrôle du respect des normes communes. Elle précise la définition du détachement et définit les responsabilités des États membres au regard du contrôle du respect de la directive, notamment dans les secteurs les plus exposés aux risques d’abus tels que la construction ou le transport routier. Elle vise à améliorer la coopération entre les autorités nationales compétentes en matière de détachement en rendant obligatoire de répondre aux demandes d’assistance et en fixant des délais de réponse aux demandes d’information. Enfin, des sanctions et des amendes administratives peuvent désormais être imposées à des prestataires de services par un État membre et être exécutées ou recouvrées dans un autre État membre.

2. Directive révisée concernant le détachement de travailleurs

En mars 2016, la Commission a proposé de réviser la directive initiale sur le détachement de travailleurs (96/71/CE) afin de garantir l’application du droit du travail en vigueur dans l’État membre d’accueil dans le cadre de détachements de longue durée et d’apporter une réponse aux questions telles que l’égalité de rémunération, l’applicabilité des conventions collectives et le traitement des travailleurs intérimaires.

Après la publication de cette proposition, onze chambres parlementaires des États membres ont émis un avis motivé, déclenchant ainsi le contrôle de la subsidiarité, la procédure dite du carton jaune. La plupart de ces avis déploraient le fait que la proposition entraînerait un désavantage concurrentiel pour leurs travailleurs et que les États membres perdraient leur droit de décider des conditions fondamentales de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires détachés conformément à la directive de 2008 relative au travail intérimaire.

À l’issue d’intenses négociations entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen, le Conseil a adopté la directive révisée le 21 juin 2018. Effective depuis le 30 juillet 2020, la directive révisée sur le détachement de travailleurs (Directive UE 2018/957) concerne les domaines suivants:

  • Le détachement de longue durée: le détachement peut durer jusqu’à 12 mois et peut être prolongé de six mois (la Commission avait initialement proposé 24 mois). Après cette période, les dispositions du droit du travail de l’État membre d’accueil s’appliquent.
  • La rémunération: toutes les règles du pays d’accueil applicables aux travailleurs locaux s’appliqueront également aux travailleurs détachés dès le premier jour du détachement; autrement dit, le principe de l’égalité de rémunération pour un même travail réalisé au même endroit s’appliquera. Par ailleurs, la révision introduit des règles plus claires concernant les indemnités et ne permet pas que les frais de voyage et d’hébergement soient déduits du salaire des travailleurs. La directive d’exécution dispose que les éléments obligatoires qui constituent la rémunération dans un État membre doivent être recensés sur un site web national unique.
  • Les conditions de travail: les États membres peuvent appliquer des conventions collectives régionales ou sectorielles représentatives de grande envergure, ce qui n’était auparavant possible que pour les conventions collectives d’application générale dans le secteur de la construction. Pour ce qui est des conditions d’hébergement dans le pays d’accueil, les règles nationales en vigueur pour les travailleurs locaux hors de leur lieu de résidence doivent être appliquées.
  • Les travailleurs intérimaires détachés: la directive révisée garantit l’égalité de traitement des travailleurs intérimaires détachés. Les conditions applicables aux agences d’intérim nationales s’appliqueront également aux entreprises transfrontières de travail intérimaire mettant des travailleurs à disposition.
  • Le secteur du transport: la directive (UE) 2020/1057 établit des règles spécifiques pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. Dans l’arrêt Dobersberger (C-16/18) du 19 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a exclu les travailleurs fournissant des services à bord de trains internationaux du champ d’application de la directive sur le détachement de travailleurs.

C. Autres initiatives

En 2019, la Commission a créé l’Autorité européenne du travail (AET) afin de garantir la bonne application des règles relatives à la mobilité de la main-d’œuvre et à la sécurité sociale. En 2023, l’AET, en collaboration avec la Commission, a lancé le «Posting 360 Programme» (programme de détachement 360), un cadre de coopération entre les parties prenantes concernées en vue d’améliorer l’échange d’informations, de renforcer la coopération administrative et de mieux faire connaître les règles européennes et nationales en matière de détachement de travailleurs.

Rôle du Parlement européen

Le Parlement européen a été un moteur de l’élaboration de la législation sur la libre circulation des personnes et des services.

Depuis 2014, le Parlement a rappelé la nécessité d’améliorer la directive sur le détachement de travailleurs dans plusieurs résolutions. Pendant les négociations sur la révision de la directive sur le détachement de travailleurs, le Parlement a spécifiquement plaidé en faveur du «salaire égal à travail égal» ainsi que de la possibilité, pour les États membres, d’appliquer les conventions collectives régionales ou sectorielles ou les accords de branche. Il s’est en outre engagé pour que les États membres puissent, à la faveur d’une clause de réexamen, imposer à des entreprises étrangères les mêmes obligations nationales en cas de sous-traitance.

En mars 2021, le Parlement s’est inquiété de l’absence actuelle d’interprétation harmonisée de la directive sur le détachement de travailleurs récemment révisée, et a invité la Commission à assister directement les États membres durant l’intégralité de la procédure de transposition afin d’assurer une interprétation uniforme du droit européen. Dans une résolution du 20 mai 2021 sur l’incidence de la réglementation de l’Union sur la libre circulation des travailleurs et des services: la mobilité de la main-d’œuvre au sein de l’Union, un instrument pour faire coïncider besoins du marché du travail et compétences, le Parlement a attiré l’attention sur la situation particulièrement vulnérable, pendant la pandémie de COVID-19, des travailleurs mobiles et notamment des travailleurs détachés, et a demandé qu’il soit remédié aux lacunes structurelles des cadres réglementaires européens et nationaux. À cette fin, le Parlement a appelé à une amélioration de la mise en œuvre, du respect et du suivi de la directive révisée sur le détachement de travailleurs ainsi qu’à la création d’un guichet unique permettant aux travailleurs et aux employeurs d’accéder aux services numériques concernant la mobilité de la main-d’œuvre et le détachement de travailleurs.

En 2016, la Commission a proposé un règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) nº 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) nº 987/2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) nº 883/2004. L’un des objectifs de la proposition était de préciser les règles permettant de déterminer la législation applicable et de clarifier la relation entre le règlement sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et la directive concernant le détachement de travailleurs. En décembre 2021, le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire sur le dossier. Toutefois, cet accord n’a pas été confirmé et le dossier est à présent en suspens.

Dans une résolution du 25 novembre 2021 sur l’introduction d’un passeport européen de sécurité sociale pour améliorer la mise en application numérique des droits de sécurité sociale et d’une mobilité équitable, le Parlement a souligné la nécessité de disposer d’un instrument numérique à l’échelle de l’Union pour tous les travailleurs mobiles, y compris les travailleurs détachés. Un tel instrument assurerait une identification, une traçabilité, une accumulation et une portabilité efficaces des droits en matière de sécurité sociale et améliorerait l’application des règles de l’Union sur la mobilité des travailleurs et la coordination des systèmes de la sécurité sociale sur le marché du travail de manière équitable et efficace. Le 6 septembre 2023, la Commission a présenté une communication sur la numérisation dans le domaine de la coordination de la sécurité sociale. La communication présente les différents projets en cours de développement dans le domaine de la numérisation, y compris le projet de passeport européen de sécurité sociale (ESSPASS). Le projet ESSPASS est axé sur la numérisation du processus de demande et de réception des documents d’ouverture de droit, ainsi que sur la vérification en temps réel afin de permettre aux organismes de sécurité sociale, aux inspections du travail, aux prestataires de soins de santé et à d’autres entités concernées de vérifier immédiatement ces documents dans toute l’Europe.

Pour plus d’informations, consulter le site web de la commission de l’emploi et des affaires sociales.

 

Aoife Kennedy