Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale
La propriété intellectuelle désigne l’ensemble des droits exclusifs accordés sur les créations intellectuelles. Elle se divise en deux branches: la propriété industrielle, qui comprend les inventions (brevets), les marques, les dessins et modèles industriels et les indications géographiques, et les droits d’auteur, qui couvrent les œuvres littéraires et artistiques. Depuis l’entrée en vigueur du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (traité FUE) en 2009, l’Union est explicitement compétente en matière de droits de propriété intellectuelle (article 118).
Base juridique
Articles 114 et 118 du traité FUE.
Objectifs
Bien qu’ils soient régis par différentes législations internationales et nationales, les droits de propriété intellectuelle (DPI) relèvent également de la législation européenne. L’article 118 du traité FUE prévoit que, dans le cadre de la mise en place et du fonctionnement du marché unique, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures relatives à la création de DPI européens pour assurer une protection uniforme de ces droits dans l’Union, et à la mise en place de régimes d’autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l’Union. L’activité législative de l’Union dans ce domaine a pour objectif principal d’harmoniser certains aspects spécifiques des droits de propriété intellectuelle par la création de son propre système, comme c’est le cas pour les marques, dessins et modèles de l’Union européenne, et comme cela le sera également pour les brevets. Nombre d’instruments de l’Union tiennent compte des obligations qui incombent aux États membres à l’échelon international en vertu des conventions de Berne et de Rome ainsi que de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce et des traités internationaux de 1996 de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).
Réalisations
A. Harmonisation législative
1. Marques, dessins et modèles
Dans l’Union européenne, le cadre juridique applicable aux marques repose sur un système à quatre niveaux d’enregistrement qui coexiste avec les régimes nationaux de protection des marques, dont l’harmonisation est assurée par la directive relative aux marques (directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques). Dans l’Union, outre la voie nationale, il est possible de protéger une marque auprès de l’office du Benelux, de celui de l’Union, créé en 1994, mais aussi au niveau international. Le règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne codifie et remplace tous les règlements européens antérieurs sur la marque de l’Union européenne. Cette codification a été effectuée dans un souci de clarté, le système européen des marques ayant déjà été sensiblement modifié à plusieurs reprises. La marque de l’Union européenne a un caractère unitaire et produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union. L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) est chargé de l’administration des marques, dessins et modèles de l’Union européenne. Le règlement sur la marque de l’Union européenne fixe également les redevances dues à l’EUIPO. Celles-ci sont fixées à un niveau qui garantit que les recettes qui en découlent couvrent les dépenses de l’EUIPO et complètent les systèmes de marque nationaux.
La directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 a rapproché les dispositions nationales de protection juridique des dessins et modèles. Une proposition de refonte de la directive a été mise aux voix au Parlement européen le 14 mars 2024. Il s’agit de faire en sorte que le système de protection des dessins ou modèles soit adapté à l’ère numérique (en particulier à l’arrivée des imprimantes 3D) et qu’il devienne nettement plus accessible et plus efficace pour les concepteurs indépendants, les petites et moyennes entreprises et les industries où les dessins ou modèles jouent un rôle majeur, en réduisant les coûts, en simplifiant les procédures — les rendant plus rapides et plus prévisibles — et en renforçant la sécurité juridique. Le règlement (CE) nº 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 (tel que modifié) instaure un système communautaire de protection des dessins et modèles. Le 14 mars 2024, le Parlement européen a adopté une résolution législative sur la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) nº 6/2002 du Conseil et abrogeant le règlement (CE) nº 2246/2002 de la Commission, dans le même but de veiller à ce que le système de protection des dessins ou modèles soit adapté à l’ère numérique et d’en améliorer l’accessibilité, l’efficacité et le caractère abordable, en simplifiant les procédures et en optimisant le niveau et la structure des redevances dues. La décision 2006/954/CE du Conseil et le règlement (CE) nº 1891/2006 du Conseil, tous deux du 18 décembre 2006, lient le système d’enregistrement des dessins ou modèles de l’Union au système international d’enregistrement des dessins et modèles industriels de l’OMPI.
2. Droit d’auteur et droits voisins
Le droit d’auteur garantit aux auteurs, aux compositeurs, aux artistes, aux cinéastes, etc. la perception d’une rémunération pour leurs œuvres et la protection de celles-ci. Les technologies numériques ont profondément transformé les modes de production, de diffusion et d’accès des contenus de la création. La législation de l’Union sur les droits d’auteur se compose de treize directives et de deux règlements qui harmonisent les principaux droits des auteurs, interprètes, producteurs et diffuseurs. La définition de normes européennes permet de réduire les disparités nationales, de garantir le niveau de protection nécessaire pour favoriser la création et l’investissement dans la création, de développer la diversité culturelle ainsi que de faciliter l’accès des consommateurs et des entreprises aux contenus et services numériques sur l’ensemble du marché unique.
a. Droit d’auteur
La directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, qui a permis d’adapter la législation en matière de droits d’auteur et de droits voisins aux évolutions technologiques, est dépassée face aux mutations extrêmement rapides qui remodèlent le monde numérique, au regard, par exemple, de la diffusion des programmes télé et radio et des modalités d’accès à ceux-ci, 49 % des internautes européens se servant d’internet pour accéder à de la musique, à des contenus audiovisuels et à des jeux (estimations d’Eurostat). La législation en matière de droits d’auteur doit dès lors être harmonisée au niveau de l’Union pour les consommateurs, les créateurs et les entreprises.
La directive de l’Union sur le droit d’auteur (directive (UE) 2019/790 du 17 avril 2019) prévoit un droit voisin pour les éditeurs de presse et une juste rétribution pour les contenus protégés par le droit d’auteur. Jusqu’à présent, les plateformes en ligne n’avaient aucune responsabilité juridique quant à l’utilisation et au téléchargement de contenu protégé par le droit d’auteur sur leurs sites. La mise en ligne d’œuvres protégées par le droit d’auteur à des fins non commerciales sur des encyclopédies en ligne telles que Wikipédia ne sera pas affectée par les nouvelles exigences. La directive (UE) 2019/789 (directive satellite et câble), adoptée le même jour, vise à accroître le nombre de programmes de radio et de télévision disponibles en ligne pour les consommateurs de l’Union. Les radiodiffuseurs multiplient les offres de services en ligne en sus des programmes diffusés par les canaux habituels, car les utilisateurs veulent bénéficier d’un accès à des contenus télé et radio partout et à toute heure. La directive introduit le principe du pays d’origine pour faciliter la concession de droits pour certains programmes proposés par les radiodiffuseurs sur leurs plateformes en ligne (services de radiodiffusion simultanée et services de rattrapage, par exemple). Pour mettre en ligne dans tous les pays de l’Union des programmes de radio, des programmes télévisés d’information et d’actualité, et des programmes de télévision qui sont produits et entièrement financés par les radiodiffuseurs eux-mêmes, ces derniers doivent obtenir les autorisations des titulaires des droits d’auteur dans leur pays d’établissement au sein de l’Union, c’est-à-dire dans leur pays d’origine. Les États membres avaient jusqu’au 7 juin 2021 pour adopter une législation conforme aux exigences de la directive.
La directive (UE) 2017/1564 du 13 septembre 2017 sur certaines utilisations autorisées de certaines œuvres et d’autres objets protégés par le droit d’auteur et les droits voisins en faveur des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés facilite l’accès aux livres et autres documents imprimés, sous des formes appropriées, et leur circulation dans le marché unique.
Le règlement (UE) 2017/1128 du 14 juin 2017 relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur a, quant à lui, pour objet de permettre aux consommateurs qui achètent des films, des émissions de sport, de la musique, des livres électroniques et des jeux ou s’y abonnent d’y accéder lorsqu’ils se rendent dans d’autres États membres de l’Union.
b. Durée de protection du droit d’auteur et des droits voisins
Ces droits sont protégés à vie et pendant 70 ans après le décès de l’auteur ou du créateur. La directive 2011/77/UE modifiant la directive 2006/116/CE relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins a prolongé la durée de protection du droit d’auteur pour les artistes interprètes ou exécutants d’enregistrements sonores de 50 à 70 ans après l’enregistrement et, pour les auteurs d’œuvres musicales tels que les compositeurs et les paroliers, à 70 ans après le décès de l’auteur. La durée de 70 ans est devenue une norme internationale pour la protection des enregistrements sonores. Soixante-quatre pays à travers le monde protègent actuellement les enregistrements sonores pour une durée de 70 ans ou plus.
c. Programmes d’ordinateur et bases de données
La directive 91/250/CEE imposait aux États membres de protéger les programmes d’ordinateur au moyen du droit d’auteur, considérés comme des œuvres littéraires au titre de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Cette protection a été codifiée par la directive 2009/24/CE. La directive 96/9/CE (la directive sur les bases de données) vise à protéger juridiquement les bases de données définies comme «un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière». La directive leur accorde à la fois une protection par le droit d’auteur, pour la création intellectuelle, et une protection sui generis, visant à assurer la protection d’un investissement (financier et en ressources humaines, efforts et énergie) dans l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu d’une base de données. Le 23 février 2022, la Commission a présenté une proposition de nouveau règlement fixant des règles harmonisées pour l’équité de l’accès aux données et de l’utilisation des données (règlement sur les données), qui vise à garantir l’équité dans la répartition de la valeur produite par les données entre les acteurs de l’économie fondée sur les données et à favoriser l’accès aux données et l’utilisation de ces dernières. Après un travail législatif intense soutenu par des recherches universitaires[1], le Parlement a adopté, lors de l’assemblée plénière du 9 novembre 2023, une position sur cette proposition en première lecture. Le 30 mai 2022, le Parlement et le Conseil ont adopté le règlement sur la gouvernance des données, qui met en place des mécanismes visant à faciliter la réutilisation de certaines catégories de données protégées du secteur public, à accroître la confiance à l’égard des services d’intermédiation de données et à encourager l’altruisme en matière de données dans toute l’Union.
d. Sociétés de gestion collective
Il est nécessaire d’obtenir une licence de droit auprès des différents titulaires des droits d’auteur et des droits voisins pour pouvoir diffuser des contenus protégés par ces droits. Les titulaires de droits peuvent confier leurs droits à une société de gestion collective qui les gère en leur nom. À moins que l’organisme de gestion collective ait des raisons justifiées pour refuser, il est tenu de gérer ces droits. La directive 2014/26/UE concernant la gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins et l’octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur fixe des exigences applicables aux organismes de gestion collective en vue de garantir le respect de normes élevées en matière de gouvernance, de gestion financière, de transparence et de communication d’informations. Elle vise à ménager aux titulaires de droits un droit de regard sur la gestion de leurs droits et se propose d’améliorer le fonctionnement des organismes de gestion collective à l’aide de normes applicables à l’ensemble de l’Union. Les États membres doivent veiller à ce que les organismes de gestion collective agissent au mieux des intérêts des titulaires de droits dont ils représentent les droits.
3. Brevets
Un brevet est un titre de propriété pouvant être délivré pour toute invention à caractère technique, à condition que celle-ci soit nouvelle, qu’elle implique une démarche inventive et qu’elle soit susceptible d’avoir une application industrielle. Un brevet donne à son titulaire le droit d’empêcher des tiers de fabriquer, d’utiliser ou de vendre son invention sans sa permission. Les brevets encouragent les entreprises à réaliser les investissements nécessaires dans l’innovation, et incitent les personnes et les entreprises à consacrer des ressources à la recherche-développement. En Europe, les inventions techniques peuvent être protégées soit par des brevets nationaux, délivrés par les autorités nationales compétentes, soit par des brevets européens, délivrés de manière centrale par l’Office européen des brevets. Ce dernier est l’organe exécutif de l’Organisation européenne des brevets, qui compte désormais 39 États contractants. L’Union elle-même n’est pas membre de cette organisation.
Après des années de négociations entre les États membres, le Parlement et le Conseil ont approuvé en 2012 les bases juridiques d’un brevet européen à effet unitaire (brevet unitaire). Un accord international entre les États membres a ainsi instauré une juridiction unique et spécialisée en matière de brevets.
Dans son arrêt du 5 mai 2015 dans les affaires C-146/13 et C-147/13, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé le train de mesures sur le brevet unitaire, ouvrant ainsi la voie à la création d’un véritable brevet européen. Le régime précédent coexiste avec le nouveau système, avec des mesures transitoires.
Depuis son entrée en vigueur le 1er juin 2023, le brevet unitaire de l’Union, qui est délivré par l’Office européen des brevets, offre une protection uniforme avec les mêmes effets dans tous les pays de l’Union participants. Les entreprises pourront protéger leurs inventions dans tous les États membres de l’Union à l’aide d’un véritable brevet européen. Elles pourront également contester et défendre des brevets unitaires en introduisant un seul recours devant la juridiction unifiée du brevet (JUB) nouvellement créée, ce qui permettra de rationaliser le système et d’économiser des coûts de traduction. L’accord sur la juridiction unifiée du brevet dispose que la primauté du droit de l’Union doit être respectée (article 20 de l’accord) et que les décisions de la CJUE sont contraignantes pour la JUB. Cette dernière est une juridiction actuellement commune à 17 États membres de l’Union. Elle est composée d’un tribunal de première instance, d’une cour d’appel et d’un greffe. Le tribunal de première instance a une structure décentralisée: il comprend une division centrale à Paris, avec une section à Munich, ainsi que plusieurs divisions régionales et locales réparties dans toute l’Europe. La cour d’appel a son siège à Luxembourg et statue sur les pourvois contre les décisions du tribunal de première instance et sur les demandes de réexamen de ses décisions définitives.
4. Secrets d’affaires
La pratique consistant à protéger la confidentialité des informations commerciales («savoir-faire») existe depuis des siècles. De nombreux pays possèdent des instruments juridiques destinés à protéger les secrets d’affaires, qu’ils relèvent du domaine des DPI ou non. Le niveau de la protection accordée aux informations confidentielles ne peut être comparé aux autres domaines de la propriété intellectuelle, par exemple les brevets, les droits d’auteur ou les marques, mais peut, en principe, s’appliquer indéfiniment, plutôt que pour une période limitée. La protection des secrets d’affaires varie davantage selon le pays que pour d’autres volets de la législation relative aux DPI et peut être encore plus avantageuse et moins coûteuse que la recherche d’une protection formelle par brevet. Un cadre juridique européen a été mis en place en 2016, avec l’adoption de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites,
5. Droits de propriété intellectuelle pour des obtentions végétales
La protection des obtentions végétales, ou «droit d’obtenteur», est une forme de droit de propriété intellectuelle accordé à l’obtenteur d’une nouvelle variété végétale. Le système européen de protection des obtentions végétales, qui repose sur les principes de l’acte de 1991 de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, contribue au développement de l’agriculture et de l’horticulture. Un régime de protection des obtentions végétales a été établi par la législation de l’Union. Il permet l’octroi de droits de propriété intellectuelle pour des obtentions végétales. Il est mis en œuvre et appliqué par l’Office communautaire des variétés végétales.
6. Indications géographiques (IG)
Le système de DPI agricoles de l’Union octroie aux noms de produits enregistrés en tant qu’indication géographique une protection juridique contre l’imitation et l’utilisation abusive au sein de l’Union et dans des pays tiers avec lesquels un accord de protection spécifique a été signé. Les noms de produits peuvent bénéficier d’une indication géographique s’ils entretiennent un lien spécifique avec le lieu où ceux-ci sont produits. Cette reconnaissance permet aux consommateurs de choisir en toute confiance et de distinguer des produits de qualité tout en aidant les producteurs à mieux commercialiser leurs produits. Considérées comme propriété intellectuelle, les indications géographiques jouent un rôle de plus en plus important dans les négociations commerciales entre l’Union et d’autres pays. Le règlement (CE) 2024/1143 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 relatif aux indications géographiques des vins, des boissons spiritueuses et des produits agricoles, ainsi qu’aux spécialités traditionnelles garanties et aux mentions de qualité facultatives pour les produits agricoles identifie les produits qui présentent des qualités, des caractéristiques ou une réputation en raison de facteurs naturels et humains liés à leur lieu d’origine. Les produits pour lesquels une IG est à l’examen ou qui ont obtenu la reconnaissance d’une IG sont répertoriés dans les registres des IG. Le 12 septembre 2023, le Parlement a adopté sa position sur un règlement similaire du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels et modifiant les règlements (UE) 2017/1001 et (UE) 2019/1753. Le règlement 2023/2411 du 18 octobre 2023 donne aux indications géographiques pour les produits industriels qui peuvent être associés à leur aire géographique de production (tels que les couteaux d’Albacete, le verre de Bohême ou la porcelaine de Limoges) une protection similaire à celle accordée aux denrées alimentaires ou aux boissons produites au niveau régional.
Au niveau international, la décision (UE) 2019/1754 du Conseil du 7 octobre 2019 relative à l’adhésion de l’Union européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques désigne l’EUIPO comme l’autorité compétente en matière d’indications géographiques.
7. Lutte contre la contrefaçon
Selon les estimations, les importations de marchandises de contrefaçon et de marchandises pirates dans l’Union représentent environ 85 milliards d’euros, soit jusqu’à 5 % du total des importations. À l’échelle mondiale, le commerce de marchandises pirates représente jusqu’à 2,5 % des échanges, soit 338 milliards d’euros, ce qui porte un préjudice important aux titulaires de droits, aux gouvernements et aux économies.
Les disparités dans les régimes de sanction entre les États membres rendant difficile une lutte efficace contre la contrefaçon et le piratage, le Parlement européen et le Conseil ont adopté dans un premier temps la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle. L’objectif de cette directive est de renforcer la lutte contre le piratage et la contrefaçon en rapprochant les législations nationales afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché unique et de prévoir des mesures, procédures et réparations de nature civile et administrative. Le règlement (UE) nº 608/2013 concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle instaure des règles de procédure permettant aux autorités douanières de contrôler le respect des DPI en ce qui concerne les marchandises soumises à une surveillance douanière ou à un contrôle douanier.
B. Le concept de «l’épuisement» des droits
1. Définition
En vertu de ce concept ou cette doctrine juridique, qui s’applique à tous les domaines de la propriété industrielle, un droit de propriété intellectuelle est réputé épuisé dès lors qu’un produit faisant l’objet d’un droit de propriété intellectuelle (par exemple un brevet) a été vendu par le titulaire du droit en question, ou par d’autres personnes avec le consentement de ce dernier. Dans l’Union, la CJUE a toujours interprété les traités de l’UE en ce sens que les droits conférés par les DPI sont épuisés au sein du marché unique du fait de la mise sur le marché des produits concernés (par le titulaire des droits ou avec son consentement). Le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle industrielle ou commerciale protégé par la législation d’un État membre ne saurait invoquer cette législation pour s’opposer à l’importation d’un produit qui a été mis en circulation sur le marché d’un autre État membre.
2. Limites
L’«épuisement» des droits dans l’Union ne s’applique pas en cas de commercialisation d’un produit contrefait ni à l’égard des produits mis en circulation à l’extérieur de l’espace économique européen (article 6 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)). En 1999, la CJUE a décidé, dans l’arrêt Sebago et Ancienne maison Dubois et Fils/GB-Unic SA (C-173/98), que les États membres n’étaient plus autorisés à prévoir dans leur loi nationale l’épuisement des droits d’une marque concernant des produits mis en circulation dans un pays tiers.
3. Actes juridiques dans ce domaine
Les règles de l’Union en matière d’épuisement découlent essentiellement de la jurisprudence de la CJUE au regard de l’interprétation de l’article 34 du traité FUE concernant les mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives entre États membres[2]. Cette jurisprudence est prise en compte dans chacun des actes de l’Union concernant la propriété intellectuelle.
C. Jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne
En 2012, la CJUE a confirmé, dans l’affaire SAS (C-406/10) que, selon la directive 91/250/CEE, seule l’expression d’un programme d’ordinateur est protégée par le droit d’auteur; les idées et les principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne sont pas protégés en vertu de cette directive (point 32 de l’arrêt). La Cour a souligné que ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituaient une forme d’expression de ce programme au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250/CEE (paragraphe 39).
Dans son arrêt concernant l’affaire C-160/15 (GS Media BV/Sanoma Media Netherlands BV et autres), la CJUE a déclaré que le placement, sur un site internet, d’un lien hypertexte vers des œuvres protégées par le droit d’auteur et publiées sur un autre site internet sans l’autorisation de l’auteur ne constituait pas une «communication au public» lorsque la personne qui place ce lien ne poursuit pas un but lucratif et agit sans savoir que ces œuvres ont été publiées illégalement.
Dans son arrêt du 15 septembre 2016 concernant l’affaire C-484/14, la CJUE a estimé que la mise à disposition du public d’un réseau wifi gratuit afin d’attirer l’attention de clients potentiels sur les biens et services proposés par un magasin constituait un «service de la société de l’information» en vertu de la directive 2000/31/CE et elle a confirmé que, dans certaines conditions, la responsabilité d’un prestataire de services qui fournit un accès à un réseau de communication pouvait ne pas être engagée. Par conséquent, les titulaires du droit d’auteur ne peuvent réclamer aucune indemnisation au motif que le réseau a été utilisé par des tiers pour violer leurs droits. La sécurisation de la connexion internet au moyen d’un mot de passe permet de réaliser un équilibre entre, d’une part, les DPI des titulaires des droits et, de l’autre, la liberté d’entreprise des fournisseurs d’accès et la liberté d’information des utilisateurs du réseau.
Rôle du Parlement européen
La propriété intellectuelle apporte une valeur ajoutée aux entreprises et à l’économie de l’Union. Une protection et un respect uniformes des droits de propriété intellectuelle contribuent à promouvoir l’innovation et la croissance économique. Le Parlement s’efforce donc d’harmoniser les droits de propriété intellectuelle par la création d’un système unique européen parallèle aux systèmes nationaux, comme c’est le cas pour les marques, dessins et modèles de l’Union européenne ainsi que pour le brevet unitaire européen.
Dans diverses résolutions sur les droits de propriété intellectuelle, en particulier sur la protection juridique des bases de données, des inventions biotechnologiques et des droits d’auteur, le Parlement a soutenu l’harmonisation progressive de ces droits. Il s’est par ailleurs opposé à ce que des éléments du corps humain fassent l’objet de brevet. Le 27 février 2014, le Parlement a adopté une résolution d’initiative sur la mise en place d’une redevance pour copie privée (droit d’effectuer des copies privées de contenus acquis légalement), la copie privée numérique ayant acquis une grande importance économique en raison des progrès techniques. Le Parlement a également contribué activement à la rédaction du traité de l’OMPI sur les exceptions au droit d’auteur pour les déficients visuels (traité de Marrakech).
En vue de préparer la réforme des règles de l’Union relatives au droit d’auteur (cf. A.2.a), le Parlement a adopté, en septembre 2018, un rapport comportant une série de grandes recommandations relatives à toutes les questions en jeu. Tout au long de la procédure législative, le débat public, très animé, s’est concentré sur les articles 11 et 13 du projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Le point d’orgue de ce débat a été le vote du Parlement appuyant les efforts visant à créer un nouveau droit, pour les éditeurs de médias, de monétiser le contenu sur certaines grandes plateformes d’information ainsi qu’un nouveau droit facilitant le suivi des atteintes aux droits d’auteur sur internet. L’industrie créative s’en est félicitée, tandis que les représentants des sociétés de technologie ont vivement critiqué ces propositions. En fin de compte, le vote du Parlement a, une fois de plus, ouvert la voie à l’adoption de la directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur.
Des recherches préparées pour la commission des affaires juridiques du Parlement à la demande de son département thématique des droits des citoyens et des affaires constitutionnelles indiquent que l’intelligence artificielle (IA) remet en cause les frontières de la protection du droit d’auteur, en particulier en ce qui concerne l’entraînement non divulgué de l’IA avec du matériel soumis à droit d’auteur ou des données protégées et la génération ultérieure de contenus par cette IA[3]. En outre, un certain nombre d’arrangements contractuels facilitent la suppression des droits de propriété intellectuelle des données ou autorisent la reprise des droits de propriété intellectuelle à leur titulaire au motif que la publication a eu lieu sur une plateforme donnée ou que la création/invention a eu lieu dans le cadre d’un contrat de service. Ces arrangements comprennent:
- les constructions juridiques qui privent les créateurs de droits de propriété intellectuelle ou les obligent à céder des licences sans rémunération sur des contenus placés sur les services et serveurs de plateformes numériques, et/ou qui transfèrent ces droits aux plateformes;
- les contrats d’achat forfaitaire de droits par l’intermédiaire desquels les plateformes reprennent les droits de propriété intellectuelle de créateurs;
- les constructions juridiques qui privent les employés, les inventeurs ou les créateurs de droits de propriété intellectuelle sur des contenus créés dans le cadre de leur emploi ou de leur service et/ou qui transfèrent ces droits à l’employeur («œuvre réalisée contre rémunération»)[4].
ALEXANDRU-GEORGE MOȘ / Mariusz Maciejewski / Udo Bux