Discours d'ouverture au Forum européen de la culture, Milan - Antonio Tajani, Président du Parlement européen 

 

Je souhaite remercier le commissaire Tibor Navracsics pour avoir promu ce Forum. Il nous offre une occasion d’échanges, dans un domaine où les possibilités de confronter les points de vue sont trop peu nombreuses. En tant qu’Italien, je me réjouis du choix de Milan pour l’inauguration de l’Année européenne du patrimoine culturel. Nous nous trouvons dans une ville symbole, où la culture et la créativité du passé nourrissent celles d'aujourd'hui.

(le discours prononcé fait foi)

 

Je souhaite remercier le commissaire Tibor Navracsics pour avoir promu ce Forum. Il nous offre une occasion d’échanges, dans un domaine où les possibilités de confronter les points de vue sont trop peu nombreuses.

En tant qu’Italien, je me réjouis du choix de Milan pour l’inauguration de l’Année européenne du patrimoine culturel.

Nous nous trouvons dans une ville symbole, où la culture et la créativité du passé nourrissent celles d'aujourd'hui.

L’histoire de Milan reflète celle de notre continent. Depuis trois millénaires, elle est un centre de commerce, de mélange des peuples, des idées et des cultures. Un carrefour de communications qui, en passant par les cols alpins et les grands lacs, à travers la plaine, parviennent à la Méditerranée. Une charnière entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest.

Ici, économie, innovation et créativité avancent d’un même pas. Mécènes, artistes, entrepreneurs, artisans et universitaires ont contribué à son ouverture permanente à la nouveauté, à l’avenir.

Depuis toujours, Milan attire les talents. L’un d’entre eux était Léonard de Vinci, symbole de la Renaissance, du génie et de la polyvalence. Un artiste inégalé, mais également un homme capable d’expérimenter et d’inventer, et dont les intérêts allaient de l’architecture aux sciences, en passant par l’ingénierie. Le précurseur du design industriel.

Le Dôme et sa Fabrique, toujours active au fil des siècles, que nous visiterons avec le commissaire Navracsics, constituent un autre symbole de son dynamisme constant.

C’est ainsi que Milan est devenue une des capitales de la culture, du design, de la mode et du luxe. Elle incarne un modèle de vie européen que le monde nous envie. Elle prouve que l’histoire, la créativité et l’innovation sont des éléments clés pour une Union européenne compétitive qui réussit à l’échelle internationale.

Nous ne sommes pas seulement le continent qui accueille près de la moitié des sites de l’Unesco; nous restons également les chefs de file dans de nombreux secteurs de la culture et de la création. Partout dans le monde, l’Europe est synonyme de style, de savoir-faire et de beauté.

Cette primauté, impossible à délocaliser, doit former le socle de notre relance politique et économique.

Culture et créativité, moteurs de croissance et d’emploi

La numérisation, la robotique, l’impression 3D et l’intelligence artificielle ont des effets déstabilisants sur l’emploi et le mode de vie. Nous sommes au cœur d’une révolution industrielle, où les nouveaux emplois ne compensent pas la perte de ceux que les machines et les technologies ont éliminés.

De récentes études laissent à penser que près de la moitié des activités humaines pourrait être remplacée par l’automatisation. Au cours des prochaines années, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni, 54 millions d’emplois seront menacés.

L’Union doit gérer ces changements en investissant davantage dans la formation. Mais également en misant sur des secteurs où la main-d'œuvre et la créativité conserveront un rôle essentiel. Je pense au tourisme, au design, à la numérisation des sites culturels, au luxe et à l’artisanat d’excellence.

Le patrimoine culturel et la créativité européenne peuvent constituer d’importants moteurs de la croissance et de l’emploi.

En adoptant le rapport des députés Ehler et Morgano intitulé «Une politique cohérente de l’Union pour les secteurs de la culture et de la création», le Parlement européen a plaidé avec force pour la libération du potentiel de ces secteurs.

Les secteurs de la culture et de la création emploient 12 millions de travailleurs, soit 7,5 % de la main-d'œuvre de l’Union, et génère un chiffre d’affaires de 509 milliards d’euros. Les secteurs à forte intensité de propriété intellectuelle représentent un quart des emplois et un tiers de la valeur générée par l’Union.

Les auteurs, les artistes et les designers constituent la source principale de ces activités, qui se répercutent fortement sur d’autres secteurs, contribuant ainsi à l’excellence des produits européens.

Prenons le secteur du luxe: un marché de 1 000 milliards, dans lequel l’Europe occupe la première place avec 70 % de la production. 

62 % des produits de luxe sont vendus à l’étranger et ils représentent 10 % de l’ensemble des exportations de l’Union.

 

Synergies entre le tourisme et les secteurs de la culture et de la création

Les synergies entre les secteurs culturels et créatifs et le tourisme représentent un autre grand vecteur de croissance.

D’ores et déjà, le tourisme représente déjà 10 % du PIB et de l’emploi. Le nombre de voyageurs devrait passer de 1 à 2 milliards d’ici à 2030.

Grâce à son patrimoine historique, à son mode de vie et à sa créativité, l’Europe peut devenir une destination pour une nouvelle classe émergente, provenant en grande partie d’Asie. Notre objectif est de renforcer notre primauté, en faisant passer le nombre de visiteurs de 550 millions actuellement à 700 millions d’ici 2020. Au cours des 10 prochaines années, nous pouvons créer jusqu’à 5 millions de nouveaux emplois.

L’excellence manufacturière et les industries de la création attirent le tourisme, lequel à son tour favorise les exportations. Cela vaut pour l’habillement, les fromages et les vins, comme pour les voitures, les hôtels de luxe ou l’audiovisuel. Les Chinois qui achètent nos produits d’excellence ou voient des films tournés en Europe souhaitent ensuite nous rendre visite.

L’année 2018 sera également l’Année du tourisme UE‑Chine, une autre occasion à ne pas manquer. La manifestation de lancement, à laquelle je me réjouis de participer, aura lieu à Venise le 19 janvier, en présence du premier ministre chinois. Il s’agit aussi d'un bon exemple de diplomatie culturelle, qui génère de la croissance et renforce la coopération avec la Chine.

Perspectives et défis de la révolution numérique

La révolution numérique ouvre des perspectives inédites: visites tridimensionnelles des musées et cathédrales, «voyages dans le temps» ou «réalité augmentée» dans les sites archéologiques, services innovants en matière de réservation et d’achats en ligne, ou encore produits audiovisuels à la demande. D’ici 2020, 20 % des achats d’articles de marque se feront en ligne.

Il est indispensable de gérer cette révolution par des politiques. Les perspectives économiques et les nouveaux espaces de liberté pour les consommateurs et les entreprises ne doivent pas aboutir à une jungle, ni légitimer la piraterie qui permet de s’enrichir sur le dos des créateurs de contenus.

Il ne peut exister de règles différentes pour ceux qui exercent leur activité sur internet et pour les autres. Les plateformes numériques ne doivent pas être au dessus des lois. Tout comme les autres entreprises, elles doivent être responsables, payer leurs impôts, garantir la transparence et protéger les droits sociaux, l’enfance, la sécurité, les  consommateurs et la propriété intellectuelle.

Le marché de la piraterie et de la contrefaçon continue de croître, notamment grâce à internet. Celui qui se rend sur des plateformes afin de bénéficier gratuitement de contenus audiovisuels, d’actualités, d’images d’art ou d’informations sur des hôtels ou restaurants, enrichit les géants du web. Ces derniers encaissent des milliards en publicité, en services d’intermédiation et en collecte de données à caractère personnel, grâce à tous ceux qui cliquent sur leurs pages à la recherche de contenus que d’autres ont créés.

Ceux qui se sont un jour vantés d’être les champions des libertés et de l’innovation se comportent aujourd’hui comme ces féodaux du Moyen-âge qui réclamaient des droits à toute personne empruntant les voies contrôlées par leurs châteaux.

Favorisées par les disparités réglementaires, les positions dominantes de nombreuses plateformes dans les domaines du commerce, des réservations, des actualités ou de la publicité en ligne suffoquent les PME et la créativité.

Les détenteurs de droits discographiques sont davantage rémunérés par les recettes provenant d’établissements accueillant quelques dizaines de clients que par ceux qui diffusent leur musique en ligne à des millions de personnes. Amazon a mis les petits éditeurs sur la paille. Google et Facebook utilisent des actualités et des contenus produits par des journalistes, dans un but de diffuser de la publicité, sans leur proposer une rémunération adéquate.

Les géants du web créent peu d’emplois en Europe, paient des impôts dérisoires, entraînant pour l’Union un manque à gagner annuel de près de 20 milliards d’euros. En Italie, ils versent à peine 11,7 millions d’euros.

Le marché unique numérique est le principal moteur des secteurs de la culture et de la création. Il permet la diffusion de contenus et de produits de marque et le développement de jeunes entreprises.

Il est impératif que ce marché protège le travail des concepteurs et des créateurs de chansons, de films, de séries TV, de films, d’articles et de livres. Lorsque la créativité n’est pas protégée, les investissements diminuent avec, pour corollaire, un grave préjudice pour la compétitivité européenne.

La dernière réglementation européenne portant sur le droit d’auteur remonte à 2001, alors que les géants du web n’existaient pas encore.

Les commissaires Bieńkowska et Gabriel œuvrent à l’achèvement du marché numérique. Le Parlement demande de promouvoir la créativité et des conditions de concurrence équitables pour tous.

Attirer les investissements

Les secteurs de la culture et de la création sont confrontés à une série d’obstacles qui freinent leur élan. L’accès au crédit, par exemple, demeure un problème, en particulier pour les PME.

L’Année européenne du patrimoine culturel sera également celle où l’on débattra du nouveau budget pluriannuel.

Pour relancer l’Union et apporter des réponses aux citoyens, il nous faut une politique budgétaire qui reflète leurs priorités. Il y a lieu d’augmenter les investissements dans l’éducation et la culture.

Il est possible de trouver de nouveaux fonds sans demander d’efforts supplémentaires aux citoyens, en les sollicitant auprès de ceux qui ne paient pas d’impôts. À commencer par les plateformes en ligne.

Et en faisant un meilleur usage des ressources existantes. Les fonds régionaux de l’Union, en synergie avec le programme «Horizon 2020», le Fonds européen pour les investissements stratégiques et la Banque européenne d’investissement, peuvent servir en partie de garanties pour des projets dans les domaines de la culture et de la créativité. Ils pourraient, par exemple, contribuer à la restauration, à la valorisation et à la numérisation du patrimoine culturel. Faisant ainsi croître le nombre de visiteurs et d’emplois.

Il est également essentiel d’investir davantage dans la formation et les compétences. Nous manquons de gestionnaires de musée, de cuisiniers qualifiés, de spécialistes du numérique, de médiateurs culturels, de concepteurs et de développeurs, mais aussi de compétences manuelles pour le secteur du luxe.

Conclusions

La conscience de notre identité forme la base d’une Europe forte et ouverte aux autres. La diversité ne doit pas uniquement être respectée, mais être perçue comme une richesse. Nous sommes européens car nous sommes italiens. Nous n’avons pas besoin de nouveaux murs, de nouvelles limites ou de petites patries égoïstes.

Notre profonde confiance en l’homme nous a permis de renaître des cendres de la guerre, en partant justement du caractère central de la liberté et de la dignité de la personne

Cette identité s’est forgée en ayant vocation à être ouverte à l’échange des biens, des idées et des cultures, sur les rives de la Méditerranée. Ses racines sont judéo‑chrétiennes et elle s’est développée dans les abbayes et les universités, avec l’humanisme, la Renaissance et le siècle des Lumières.

L’Année du patrimoine, fermement soutenue par le Parlement européen, offre l’occasion de redécouvrir et promouvoir cette identité et de rapprocher l’Union de ses peuples.

Plus que par l’économie, l’Europe est unie par sa culture. C’est à partir de celle-ci que nous devons relancer notre Union.

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