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Section V.0.1 (suite)

L'ENJEU STATISTIQUE

0.1.3 - Éléments d'évaluation de la situation actuelle

La disparité actuelle : une juxtaposition de données peu compatibles

La stabilité des nomenclatures et des méthodes de mesure est indispensable au suivi de séries chronologiques. Or, bien souvent, les unes comme les autres ne sont pas clairement formalisées ; même lorsqu'elles existent, elles restent fréquemment confidentielles, ou d'application pratique ponctuelle ou aléatoire.

Par ailleurs, elles sont rarement établies avec un souci affirmé de continuité. A la suite de décisions nationales ou locales qui font l'objet d'une diffusion d'information insuffisante, des modifications importantes des dispositifs statistiques peuvent en effet aggraver les incompatibilités entre les données. En outre, ces modifications interrompent dans tous les cas les séries statistiques ; bien souvent, elles créent l'illusion d'une évolution par leur incidence en valeur absolue sur les données publiées et conduisent à des interprétations erronées.

Ainsi, la variation de la définition de la forêt fait varier la surface des forêts espagnoles du simple au double ; en lançant en 1988 un Inventaire forestier national sur de nouvelles bases ( Voir la partie VI "Monographies"), l'Italie a vu augmenter sa surface boisée de 30%, de 6 à 8 millions d'ha. De même, la mise en place de l'Inventaire forestier français au début des années 60 a révélé une sous-estimation de la superficie de la forêt française de l'ordre de 2.5 millions d'ha.

Des définitions non concordantes, à commencer par celle du terme "forêt"

Le problème se pose partout, les acceptions du terme forêt étant très différentes selon les latitudes. Au sein même de l'Union européenne, il revêt une acuité particulière en zone méditerranéenne (forêt dense ou claire, maquis, garrigue), en montagne et pour divers types de milieux naturels voisins (milieux dunaires, zones marécageuses, tourbières, formations arbustives comme les landes, garrigues, maquis ou les plantations d'alignement...). La classification en "forêt" fait en effet appel à des seuils dont la nature et l'importance varient selon les pays : couvert forestier minimum, surface minimale du peuplement, etc.

L'évaluation des déforestations se heurte à la même ambiguïté ; la récente polémique suscitée par la publication des dernières statistiques de la FAO en témoigne. La complexité des écosystèmes forestiers tropicaux accentue, il est vrai, la difficulté, comme l'illustre l'encadré de la page suivante.


LA CLASSIFICATION DE YANGAMBI DES FORMATIONS VÉGÉTALES AFRICAINES

Un exemple de classification des différentes formations végétales tropicales adaptée à l'Afrique
(d'après les accords de Yangambi de 1956).

LES FORMATIONS FORESTIÈRES FERMÉES (où les arbres et les arbustes se touchent)

LES FORMATIONS FORESTIÈRES SOUS LA DÉPENDANCE PRINCIPALE DU CLIMAT

Les forêts de basse et moyenne altitude

La forêt dense humide : peuplement fermé avec des arbres et des arbustes atteignant diverses hauteurs ; pas de graminées sur le sol, mais souvent des plantes suffrutescentes, plus rarement des plantes herbacées non graminéennes à larges feuilles. S'y distinguent la forêt dense humide sempervirente dont la majorité des arbres reste feuillée toute l'année et la forêt dense humide "semi-décidue" (ou "semi-caducifoliée") dont une forte proportion d'arbres reste défeuillée une partie de l'année.

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La forêt dense sèche : peuplement fermé avec des arbres et des arbustes atteignant diverses hauteurs (mais généralement de taille moins élevée qu'en forêt dense humide) ; la plupart des arbres des étages supérieurs perdent leurs feuilles une partie de l'année (exceptionnellement ils restent sempervirents : la forêt sèche est dite "sempervirente") ; le sous-bois est formé d'arbustes, soit sempervirents, soit décidus, et sur le sol se trouvent çà et là des touffes de graminées.

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Le fourré : peuplement fermé, formé uniquement d'arbustes et de plantes suffrutescentes, à feuillage sempervirent ou décidu, généralement difficile à pénétrer, sans tapis graminéen ou avec quelques touffes isolées. Parfois, ces fourrés sont formés presque uniquement de bambous.

Les forêts de montagne

la forêt dense humide de montagne : semblable à la forêt dense humide de basse et moyenne altitude, mais les arbres et arbustes sont moins élevés, souvent tortueux, plus branchus et couverts de mousses et de lichens épiphytes ;

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la forêt dense sèche de montagne : semblable à la forêt dense sèche de basse et moyenne altitude, mais les arbres et arbustes sont moins élevés et les feuilles sont rigides (sclérophyllie) ;

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le fourré arbustif de montagne : semblable au fourré de basse et moyenne altitude, mais les arbustes ont des feuilles souvent rigides (sclérophyllie) ;

le fourré de bambous.

LES FORMATIONS FORESTIÈRES SOUS LA DÉPENDANCE PRINCIPALE DU SOL (FORMATIONS ÉDAPHIQUES)

la mangrove en bordure de la mer, constituée surtout de palétuviers,

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la forêt marécageuse sur sol gorgé d'eau en permanence, parfois constituée presque uniquement de raphias (raphiales),

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la forêt périodiquement inondée,

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la forêt ripicole en bordure des cours d'eau, au contact du courant.

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LES FORMATIONS MIXTES FORESTIÈRES ET GRAMINÉENNES ET LES FORMATIONS GRAMINÉENNES

La forêt claire : peuplement ouvert avec des arbres de petite et moyenne taille dont les cimes sont plus ou moins jointives, l'ensemble du couvert laissant largement filtrer la lumière ; au sol, les graminées sont peu abondantes et peuvent être mélangées à d'autres plantes suffrutescentes ou herbacées.

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La savane : formation herbeuse comportant un tapis de grandes herbes graminéennes mesurant, en fin de saison de végétation, au moins 80 cm de hauteur, avec des feuilles planes disposées à la base ou sur les chaumes, des herbes et plantes herbacées de moindre taille. Ces herbes sont ordinairement brûlées chaque année ; sur ce tapis graminéen, se rencontrent en général arbres et arbustes, qui dessinent une savane boisée (arbres et arbustes formant un couvert clair laissant largement passer la lumière), une savane arborée (arbres et arbustes disséminés sur le tapis graminéen), une savane arbustive (arbustes uniquement, sur le tapis graminéen), une savane herbeuse (arbres et arbustes absents, uniquement tapis graminéen).

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La steppe : formation herbeuse ouverte, comportant des touffes disséminées et espacées de graminées (et parfois quelques plantes ligneuses), généralement non parcourue par les feux ; les graminées sont vivaces et ne dépassent pas généralement 80 cm de haut en fin de saison de végétation, avec des feuilles étroites, enroulées ou pliées, principalement disposées à la base. Entre les graminées vivaces, se trouvent des plantes annuelles qui ne durent qu'une partie de l'année. La steppe peut être une steppe arborée ou arbustive (steppe avec arbres ou arbustes), une steppe arbustive épineuse (steppe avec arbustes épineux), une steppe buissonnante (steppe avec des buissons épineux de petite taille), une steppe succulente (steppe avec des plantes charnues abondantes), une steppe herbacée ou graminéenne (steppe sans arbres ou arbustes).

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La prairie : prairie aquatique (sur les eaux dormantes ou courantes), prairie marécageuse (sur un sol gorgé d'eau plus ou moins en permanence), prairie altimontaine (en montagne et généralement à haute altitude).

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Des méthodes d'inventaire et des protocoles de mesure non homogènes

Le cas de l'Union européenne est révélateur à cet égard. Une étude commandée par la Commission des Communautés européennes dans le cadre du Règlement (CEE) no1615/89 compare les inventaires forestiers des différents pays de la Communauté, ainsi que ceux d'Autriche, de Finlande et de Suède. Hormis la France et l'Espagne, dont les méthodes d'inventaire sont très voisines, aucun pays de l'Union européenne n'a adopté la même méthode.

Des données incompatibles

L'absence d'homogénéité des protocoles de mesure (critères, paramètres et unités de mesure) conduit à des distorsions importantes, rend, en toute rigueur, les données des différents pays incompatibles et incomparables et, bien entendu, interdit tout calcul statistique d'incertitude. L'importance de ces aspects peut être illustrée par l'exemple suivant : le rapprochement entre la quantité de biomasse ligneuse sur pied ou formée chaque année et le niveau des prélèvements est l'un des indicateurs les plus souvent utilisés pour décrire la situation des forêts et évaluer leur évolution. Ce rapport doit être interprété sur le fond avec précaution, car il masque de nombreuses interactions. Il est par ailleurs très sensible aux confusions méthodologiques. Une définition exacte devrait préciser :

Indépendamment des techniques d'échantillonnage ou d'enquête, un simple flou dans les définitions peut ainsi introduire des variations de 20 à 50 % environ dans les résultats et ôter toute signification aux conclusions tirées.

Des données trop synthétiques qui masquent les dynamiques

Les difficultés précitées conduisent souvent à ne suivre pour l'Europe, et a fortiori dans des cas de figure plus complexes, que des paramètres très synthétiques à la fois sur le plan spatial et qualitatif : surface boisée, surface de forêts... Le degré de résolution de ces données est très faible si bien que les évolutions sont souvent masquées.

Or la forêt est un milieu dynamique, en interaction avec l'espace rural et l'espace urbain. Les changements qualitatifs et quantitatifs qu'elle connaît se traduisent par des flux de nature opposée. Les paramètres de suivi doivent être suffisamment fins et sensibles pour transcrire ces évolutions brutes, que masquent parfois les données globales.

L'encadré suivant présente un exemple illustrant ce problème, à partir d'une enquête détaillée sur l'usage des sols, réalisée en France depuis 1970, qui montre que dans le domaine statistique également, "l'arbre peut cacher la forêt". Cette enquête TERUTI traduit la difficulté de tirer des conclusions à partir de l'examen des seules catégories "sols boisés" et "sols agricoles". Si les surfaces boisées ne régressent pas dans l'Union européenne, il est certain que des changements importants se produisent entre les divers usages de sols, à l'image de l'exemple français, et que des dynamiques d'évolution différentes caractérisent les régions de l'Union européenne.


EXEMPLE DE L'ENQUÊTE "TERUTI" EN FRANCE

Des statistiques globales qui masquent des transferts d'usage non négligeables

Cet encadré a été rédigé d'après l'article de Cavailhes (J.) et Normandin (D.) intitulé "Déprise agricole et boisement : état des lieux, enjeux et perspectives dans le cadre de la réforme de la PAC", publié dans la Revue forestière française XLV - 4 - Nancy, 1993.

Une analyse détaillée de l'usage des sols

La comparaison sur une longue période des rapports entre l'agriculture et la forêt reste délicate du fait de :

Une bonne analyse ne peut s'effectuer qu'en prenant en compte l'ensemble des usages du sol et en détaillant les différents flux de transferts entre ces usages. A titre d'exemple, la France procède, depuis 1970, à une enquête sur l'utilisation des terres. Cette enquête repose sur un maillage régulier de 553 250 points (1point/100ha) sur lesquels est observé annuellement l'état du territoire. La nomenclature utilisée est détaillée avec 82 postes pour la nomenclature physique et 27 pour la nomenclature fonctionnelle.

Près de 6% du territoire français a changé d'usage en 8 ans

Le graphique de la page suivante traduit les changements d'usage entre quatre grandes catégories.

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Les sols "sans usage" ont un solde net négatif et ont diminué de 14 000 ha/an. Cela résulte d'une légère augmentation des friches (+ 5 000 ha/an) et d'une forte diminution des landes (- 18 000 ha/an), les autres sols sans usage restant stables. La tendance à la réduction des sols "sans usage" et notamment des landes et des friches est ainsi confirmée : leur superficie était de 5.5 millions d'hectares en 1950, 3 millions d'hectares en 1970 et 2.5 millions d'hectares en 1990. La présomption d'usage ne peut toutefois pas toujours se déduire de l'aspect physique : l'essentiel de la réduction des landes s'est fait au profit des sols boisés et il est possible d'être en présence de "friches boisées", appartenant statistiquement à la catégorie des sols boisés, mais correspondant économiquement plutôt à un "non-usage".

Les sols agricoles ont subi une forte diminution de 57 000 ha/an, essentiellement due à l'artificialisation (43 000 ha/an, soit 75 % de la déprise totale). La déprise au profit d'autres catégories "rurales" (friches, landes, sols boisés) est relativement faible (14 000 ha/an) et résulte d'un recul de 19 000 ha/an au profit des landes et friches et d'un gain de 5 000 ha/an au détriment des sols boisés. Ce bilan net cache néanmoins des flux bruts antagonistes beaucoup plus importants : l'emprise agricole nouvelle s'est élevée ainsi à 118 000 ha/an et la déprise à 175 000 ha/an. L'artificialisation constitue une perte importante, mais c'est surtout les échanges avec les sols "sans usage" qui constituent de gros flux (près de 50% de la déprise ou de l'emprise). Des flux inverses importants existent aussi pour les sols boisés avec 34 000 ha/an de boisement de terres agricoles et 39 000 ha/an de défrichement.

Les sols artificialisés ont fortement augmenté (de 61 000 ha/an), notamment aux dépens des sols agricoles et beaucoup plus faiblement aux dépens des sols boisés (7 000 ha/an) ou "sans usage" (11 000 ha/an). Une grande part de cet accroissement est due aux surfaces annexées au résidentiel et au tertiaire (pelouses, jardins...).

Les sols boisés ont augmenté de 10 000 ha/an et leur évolution détaillée est analysée ci-après.

L'augmentation de 10 000 ha/an des surfaces boisées masque d'importantes disparités

Des évolutions différentes selon les types de formations boisées

Les bois et forêts augmentent de 26 000 ha/an (+ 1,5 % en 8 ans), alors que les bosquets et arbres épars diminuent de 16 000 ha/an (- 12 % en 8 ans). La déprise brute de ces petites surfaces boisées a été de 43 000 ha/an, essentiellement vers les sols agricoles (18 000 ha/an) et les bois et forêts (16 000 ha/an). Les déboisements correspondent probablement à des défrichements liés aux opérations de remembrement. Parallèlement, l'emprise nouvelle de bosquets et arbres épars s'est élevée à 27 000 ha/an, dont 10 000 ha/an à partir des bois et forêts et 10 000 ha/an à partir des sols agricoles. On constate donc un solde négatif (déboisement) de 8 000 ha/an des échanges entre bosquets et terres agricoles, alors qu'entre terres agricoles et bois et forêts le bilan se traduit par un solde positif de 3 000 ha/an de boisement.

L'extension forestière se ralentit

L'extension nette des bois et forêts et des peupleraies a été de 20 000 ha/an au cours de la période 1982-1990. Cette évolution confirme les tendances antérieures, mais le rythme se ralentit (entre 1950 et 1970, l'extension est évaluée à 75 000 ha/an). Ceci résulte probablement :

Cette extension globale masque de grandes disparités régionales, avec une augmentation forte des surfaces dans le sud- est, le centre et l'ouest, avec par contre une diminution dans le nord-est et l'extrême sud-ouest.

La forêt progresse surtout sur les sols sans usage

Les surfaces forestières (forêts, bois et peupleraies) ont progressé de 20 000 ha/an sur les sols sans usage et notamment les landes (16 000 ha/an). Elles ont également progressé de 3 000 ha/an sur les sols agricoles, mais ont été amputées de 3 000 ha/an au profit des sols artificialisés.

D'important flux de boisement-déboisement

Cette extension nette de 20 000 ha/an est néanmoins le résultat de deux flux opposés :

Les déboisements ont surtout eu lieu :

L'emprise nouvelle s'est principalement réalisée :

Ces mouvements inverses d'emprise et de déprise sont souvent constatés localement et traduisent des redistributions de l'occupation de l'espace liées à l'évolution de l'agriculture. Dans les départements du sud de la France, l'emprise forestière nouvelle s'effectue majoritairement à partir des landes, le boisement des friches étant en général faible. Inversement dans le nord du pays, l'emprise nouvelle est limitée et se réalise à partir de sols agricoles. Il existe donc une forte corrélation entre l'emprise forestière et les zones où l'espace agricole régresse fortement avec de vastes surfaces de landes disponibles.

Le boisement de terres agricoles porte sur les prairies et les pâturages extensifs

Les 24 000 ha/an d'extension des bois, forêts et peupleraies sur les terres agricoles se sont essentiellement réalisés sur
les prairies et les parcours. Le boisement des terres labourables est faible (3 000 ha/an, soit 16 %) et inexistant sur les
cultures permanentes.

Les accrus constituent la principale modalité d'extension de la forêt

Le passage d'un sol à l'état boisé peut résulter d'un boisement artificiel ou d'un envahissement naturel progressif. Des croisements avec le rythme des boisements aidés par des fonds publics, avec les résultats de l'Inventaire forestier national, indiquent clairement que la progression de la forêt s'effectue principalement par extension naturelle, la majorité des nouveaux espaces boisés correspondrait donc à des friches arborées.

Une forte variabilité géographique des évolutions

Sous une apparente stabilité, l'espace rural fait l'objet d'une importante redistribution des modes d'usage de sols, qui reflète plus des réajustements locaux qu'une relocalisation géographique globale des activités. Néanmoins, différentes dynamiques de transformation de l'espace peuvent être distinguées :


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Parlement européen
Révisé le 1er septembre 1996
URL: http://www.europarl.ep.ec/dg7/forest/fr/s5-0-1-a.htm