LE RÔLE INTERNATIONAL DE L'EURO
ECON 101

Partie I : L'EURO EN TANT QUE DEVISE INTERNATIONALE


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1. L'utilisation internationale des principales devises depuis 1974

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2. L'euro en tant que devise internationale


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Partie I : L'EURO EN TANT QUE DEVISE INTERNATIONALE

Une monnaie internationale est une unité monétaire qui est utilisée par les résidents de pays autres que le pays émetteur. Tout comme les monnaies nationales, les devises internationales remplissent trois fonctions : elles sont des moyens de paiement, des unités de compte et des réserves de valeur. Comme l'a indiqué Krugman (1991), ces fonctions peuvent être subdivisées en six aspects si l'on prend en compte le fait qu'elles sont mises en uvre tant par le secteur privé que par le secteur public (tableau 2).

 

Tableau 2 : les fonctions des devises internationales

FonctionsSecteur privéSecteur public
---
Moyen de paiementInstrumentInterventions
Unité de compteSupport monétaireMonnaie de référence
Réserve de valeurAllocation de portefeuilleRéserves officielles

Source : Krugman (1991)

En tant que moyen de paiement, une devise internationale est utilisée par des non-résidents en vue de flux commerciaux et de flux de capitaux. Les non-résidents privés utilisent la devise internationale en tant qu'instrument, c'est-à-dire en tant que valeur intermédiaire à l'occasion d'opérations réalisées entre deux devises moins importantes. C'est ainsi que les opérations réalisées entre le Portugal et la Thaïlande se subdivisent généralement en opérations escudo/dollar et en opérations dollar/baht. Les autorités monétaires utilisent également les devises internationales en tant que moyens de paiement lorsqu'elles procèdent à des interventions sur les marchés étrangers.

En tant qu' unité de compte privée, une devise internationale est utilisée en vue de la facturation, c'est-à-dire pour fixer le prix des biens ou des éléments d'actif, ou lors de l'émission d'obligations ou de l'octroi d'un concours bancaire. Cette fonction est différente de celle de moyen de paiement, étant donné que les prix peuvent être fixés dans une unité, alors que les paiements s'effectuent dans une autre. Les autorités nationales peuvent également utiliser, en tant qu'unité de compte, la devise internationale à laquelle elles rattachent leur propre devise.

En tant que réserve de valeur, une devise internationale permet tant au secteur public qu'au secteur privé de conserver la valeur de leur épargne. L'objectif des investisseurs privés est d'atteindre l'équilibre idéal entre rendement et diversification des risques. Quant au but poursuivi par le secteur public, il dépendra du régime de taux de change qui est adopté. Comme les investisseurs privés, les pouvoirs publics peuvent viser l'optimisation de leurs réserves, ou poursuivre au contraire une politique de gestion des taux de change.

Les fonctions publiques et privées d'une monnaie déterminée peuvent se développer de façon inégale : une devise peut être utilisée comme instrument d'échange, mais ne servir que rarement aux interventions publiques sur les marchés des changes. Une grande partie du commerce extérieur d'un pays peut être libellée dans une monnaie déterminée, alors que celle-ci ne sert pas d'unité de réserve. Enfin, les réserves de change ne seront libellées dans une devise internationale déterminée que si les autorités monétaires désirent stabiliser le taux de change par rapport à cette devise, et ce quelle que ce soit la composition des portefeuilles privés.

Il existe toutefois des synergies entre les diverses fonctions d'une devise internationale. Ces synergies s'expriment par divers canaux (figure 1) :

_ Coûts de transaction (écart entre les cours acheteur et vendeur) : lorsqu'une devise internationale a un marché qui est à la fois vaste et important, les coûts de transaction y sont réduits, ce qui incite les autorités monétaires à utiliser cette monnaie pour ses interventions, et accroît la probabilité que les investisseurs privés détiennent des éléments d'actifs libellés dans cette devise.

_ Emission de titres mobiliers : en servant à libeller la valeur, la devise détermine l'offre de titres mobiliers ; pour qu'une devise puisse accroître son rôle en tant que réserve de valeur et que moyen de paiement, il faut que des titres soient disponibles dans cette devise.

_ Mesures incitatives de politique : les autorités monétaires seront incitées à rattacher leur monnaie à une devise internationale si une grande partie des échanges et des flux de capitaux se déroulent dans cette devise (car ce rattachement tendra à protéger l'économie nationale contre des fluctuations de taux de change pernicieuses).

_ Instrument de politique : quand une devise internationale est utilisée comme ancrage monétaire, il est nécessaire de détenir des réserves officielles et d'intervenir dans cette devise afin de défendre cet alignement.

_ Risque : Si une monnaie est utilisée comme référence internationale, cette situation tendra à inciter les acteurs économiques à libeller les échanges internationaux et les flux de capitaux dans cette devise, ainsi qu'à détenir des actifs libellés dans cette devise, en tant que réserve de valeur ou qu'instrument de paiement. Ceci tient au fait que le risque de fluctuations des taux de change est réduit, ce qui rend les opérations de couverture moins onéreuses ou moins nécessaires (2).

 

Schéma 1 : les principales synergies entre les fonctions monétaires internationales

-PRIVE-PUBLIC
-INSTRUMENTCOUTS DE TRANSACTIONINTERVENTIONS
-RISQUE

LIBELLE


RISQUE

INSTRUMENT DE POLITIQUE

ANCRAGE

COUTS DE TRANSACTION-INCITATION DE POLITIQUE-
-EMISSION DE TITRES-INSTRUMENT DE POLITIQUE
-PORTEFEUILLES

RISQUE


RESERVES OFFICIELLES

Nous donnons tout d'abord un aperçu de la situation actuelle des principales devises internationales pour les principales fonctions qui ont été indiquées (Section 1). Nous examinerons ensuite les conditions nécessaires à l'internationalisation de l'euro (section 2). La fonction d'ancrage monétaire est souvent négligée dans la littérature existante, alors qu'elle est un élément crucial qui détermine le niveau de risque lié à l'utilisation de la devise internationale dans toutes ses fonctions privées. C'est pourquoi le présent rapport met tout particulièrement l'accent sur cette fonction, à l'aide d'estimations que nous avons nous-mêmes réalisées et qui sont présentées à l'annexe 1.

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1. L'utilisation internationale des principales devises depuis 1974

Depuis la fin du régime de Bretton Woods, le dollar des Etats-Unis a cessé d'être la devise institutionnelle clé du SMI. Cependant, ni le processus d'intégration européenne ni la montée du Japon en tant que grande puissance économique et financière n'ont marqué la fin de la domination du dollar en tant que devise internationale. Tant le mark que le yen continuent à ne tenir qu'une part modeste au regard de leur poids économique et politique, même s'il est vrai que leur rôle varie selon les fonctions monétaires considérées.

1.1 Réserves et interventions officielles : pas de diversification marquée aux dépens du dollar

Au cours des trente dernières années, la part du dollar dans les réserves officielles a tendu à se tasser. Alors qu'en 1973, le dollar représentait 76,1% des réserves officielles en devises détenues par les banques centrales, sa part était tombée à 58,9% à la fin de l'année 1996 (FMI, Rapport Annuel, 1997, page 159). Durant cette même période, la part des principaux pays européens est passée de moins de 15% à près de 25% (3). Cependant, en 1996, la part du dollar dans les réserves officielles continuait à représenter le double de celle des devises européennes.

Même si elle a fortement décru, tombant de 76,1% en 1973 et de 93,3% en 1976 à 55,5% en 1996 (FMI, Rapport Annuel, 1997), la part du dollar dans les réserves officielles des pays industrialisés reste supérieure à celle de toute autre devise, et à ce qu'elle était il y a dix ans (54,8% en 1986). La chute du dollar a profité à toutes les autres devises, mais principalement au mark, dont la part est passée de 7,1% à 16,4% entre 1973 et 1997. Le yen est passé de près de zéro en 1973 à 5,9% du total des réserves officielles identifiées dans les pays industrialisés, même s'il est vrai que son rôle a décru depuis 1991 (FMI, Rapport Annuel, 1997, page 159).

Le moindre rôle du dollar peut s'expliquer en partie par le fait que cette unité monétaire tend à se déprécier. Les effets de composition peuvent également jouer un rôle important. Il convient notamment d'observer que les réserves officielles des Etats-Unis représentaient 3,7% des réserves mondiales en 1994, contre 0% en 1973. De surcroît, la part des autres pays européens dans les réserves officielles de l'ensemble des pays industrialisés a augmenté du fait de la création du Système Monétaire Européen. La part des banques centrales européennes, non compris la Bundesbank, est passée brutalement de 52% à la fin de 1978 à 62% à la fin 1979. Il est dès lors possible que le déclin apparent de la part du dollar ne reflète pas une tendance lourde en faveur d'une diversification des réserves des pays industrialisés.

Dans l'ensemble, les pays en voie de développement n'ont pas diversifié leurs réserves au détriment du dollar. La part du yen a augmenté aux dépens de celle des monnaies européennes. Ce phénomène peut s'expliquer par le fait que les réserves des pays asiatiques, qui comprennent davantage de yens que les réserves des autres pays en voie de développement, ont connu dans les années quatre-vingt une croissance supérieure à celle des réserves mondiales. Cependant, le rôle accru du yen a été limité, du fait que le dollar a continué à servir de monnaie d'ancrage. Vers le milieu des années quatre-vingt-dix, certains pays asiatiques ont commencé à diversifier leurs réserves officielles. L'Indonésie a fait passer de 27% à 35% en 1994 la part du yen dans ses réserves, réduisant du même coup la part du dollar de 52% à 49%. La Chine a fait savoir qu'elle était prête à répartir ses réserves en parts égales entre le dollar, le mark et le yen, et a annoncé récemment (septembre 1997) son intention d'utiliser l'euro. Taiwan a réduit la part du dollar. Cependant, la chute des réserves asiatiques durant la crise monétaire de 1997, ainsi que l'abandon subséquent des alignements sur le dollar pourraient avoir des effets durables sur la composition des réserves détenues par les pays en voie de développement.

Le dollar reste un instrument prééminent

En 1995, sur les marchés des changes, le dollar continuait à être utilisé dans plus de 80% des transactions bilatérales, le DEM dans 37%, le franc français dans 8%, les autres monnaies du SME dans 13%, la livre sterling dans 10% et le yen dans 24% (tableau 3).

 

Tableau 3 : volume des opérations de change en avril 1995
Moyennes journalières, marché comptant, marché à terme pur et simple et opérations de prêts croisés en devises
(Total 1571,8 milliards de dollars US)

Dollar US83,6%
Yen23,6%
Deutsche mark37,1%
Franc français8,1%
Livre sterling8,9%
ECU2,3%
Autres monnaies du SME13 ,5%
Autres22,9%
Total200%

Source : BRI, Enquête auprès des Banques centrales sur l'activité des Marchés des Changes et des Marchés Dérivés, 1996, page 8.

Il est intéressant de noter que si, comme on pouvait s'y attendre, la part du dollar (90%) était supérieure en 1989, tel était également le cas des parts respectives du yen (27%) et de la livre sterling. Le DEM avait gagné 10% (27% en 1989) et le franc français 6% (2% en 1989).

Le recours prépondérant au dollar US sur les marchés des changes prouve que cette devise sert non seulement aux transactions entre résidents américains et personnes étrangères à ce pays, mais est également utilisée comme devise intermédiaire dans le cadre des transactions avec les pays tiers. Ceci correspond à la définition stricte de la fonction d'instrument de paiement sur le marché des changes.

Il n'en reste pas moins que le mark est utilisé comme instrument de paiement, même si ce rôle se limite au plan régional. C'est ainsi qu'une opération couronnes danoises/francs français se déroule généralement par l'intermédiaire du deutsche mark (Danmarks Nationalbank, 1992, citée par Hartmann, 1997b).

Vers une lente diversification des libellés

Le dollar a vu décliner son rôle de monnaie de facturation, qui est passé de 56% du total du commerce mondial à 48% en 1992 (tableau 4). Ce déclin est en partie dû à des effets de composition (c'est ainsi que la part des pays de l'OPEP dans les exportations mondiales est tombée de 16% en 1980 à 5% en 1992). Une part croissante des exportations mondiales est facturée dans la devise du pays importateur. Le Japon est seul à facturer une part croissante de ses exportations dans sa propre devise (40% en 1992 contre 29% en 1980), cette tendance pouvant s'interpréter comme une normalisation de son comportement. Le dollar reste toutefois le seule devise à être utilisée comme instrument international, à savoir comme devise de facturation employée dans le cadre d'échanges entre pays autres que le pays émetteur. Même dans le cadre du commerce intracommunautaire, le DEM n'est que très peu utilisé en tant qu'instrument international (Ecu Institute, 1995).

 

Tableau 4 : unité dans laquelle sont libellés les échanges internationaux
Part respective des grandes devises dans lesquelles sont libellés les échanges internationaux

-19801992
-Part de chaque deviseCoefficient d'internationalisation *Part de chaque deviseCoefficient d'internationalisation *
Dollar US564,5483,6
DEM141,4161,4
Yen20,350,6

* Part de la devise dans les exportations mondiales/part du pays émetteur dans les exportations mondiales
Source : Institut de l'Ecu (1995)

Pour ce qui est de l'unité monétaire dans laquelle sont libellés les obligations et effets internationaux, le dollar reste la devise dominante pour les émissions à taux variable (70,3% en 1996), alors que sa part est inférieure à 40% pour les émissions simples à taux fixe (tableau 5). Les émissions en yens et en marks représentent chacune 7-8% pour les titres à taux variable et 14-18% pour les titres à taux fixe. Alors que la part du dollar était plus faible pour les émissions réalisées en 1995, les opérations annoncées semblent monter une stabilisation en 1997.

 

Tableau 5 : émissions nettes d'obligations et titres internationaux en 1996, par type de titre et par devise

Par deviseMilliards de dollars USPourcentages
Montant total des émissions498,9100%
Dollars US24849,7%
Yen japonais76,815,7%
Deutsche Mark54,110,8%

Taux variable

Montant total des émissions164,7100%
Dollars US115.70,3%
Yen japonais13,17,9%
Deutsche Mark127,3%

Taux fixe pur et simple

Montant total des émissions319,1100%
Dollars US12137,9%
Yen japonais56,717,9%
Deutsche Mark43,713,8%

Source : BRI (1997)

A l'extérieur de l'Europe, le dollar reste de facto la monnaie d'ancrage

Les pays en voie de développement et de transition définissent fréquemment leur monnaie par rapport à une devise internationale. Dans ces pays, l'indexation de la devise sur une unité étrangère permet de poursuivre une politique de désinflation malgré le fait que la réputation des autorités monétaires n'est pas solidement assise. Un tel ancrage permet également de réduire les incertitudes auxquelles sont confrontés les investisseurs étrangers. Enfin, lorsqu'une certaine souplesse est introduite grâce à un système de parité à crémaillère, cette politique contribue à maintenir un taux de change effectif stable, qui contribue à la fois à promouvoir les exportations et à attirer les investissements étrangers.

Les régimes de taux de change sont souvent classés en fonction du degré d'engagement des autorités monétaires, qui va de l'absence d'engagement (flottement libre) à un engagement total (régime du currency board). Parmi les régimes intermédiaires, il convient de citer les systèmes de parité à crémaillère (où les taux fluctuent en fonction d'un programme préétabli), les systèmes de parité avec bande de fluctuation (où les taux de change varient à l'intérieur de certaines marges prédéfinies) et les systèmes de flottement ordonné (où les taux de change sont stabilisés, sans toutefois qu'aucun engagement précis soit pris à cet égard). Il est également possible de classer les régimes de taux de change d'après la devise de référence (devise unique ou panier de monnaies).

La structure des régimes de taux de change a évolué depuis 1978 (tableau 6). Il y a aujourd'hui moins de devises qui sont indexées sur le dollar, alors qu'à l'inverse, le monde a vu une augmentation du nombre de pays connaissant un régime de parité à crémaillère, de flottement contrôlé ou de flottement indépendant. En 1978, environ un tiers des pays avaient indexé leur devise sur le dollar US, alors qu'un quart seulement avaient opté pour des régimes de flottement indépendant ou contrôle. En 1997, un dixième seulement des devises étaient indexées sur le dollar, alors que plus de la moitié d'entre elles flottaient officiellement.

 

Tableau 6 : régime de taux de change

Régimes de taux de change19781983198819941997
Rattachement à une devise-----
Dollar US4334392521
Franc français1413141414
Deutsche mark00012
Autres75589
------
Indexés sur un panier de devises-----
DTS1513832
Autres paniers2127312120
------
Souplesse limitée-----
Serpent monétaire européen, mécanisme de change européen477912
Autres mécanismes d'indexation à bande étroite09444
Systèmes de parité à crémaillère et flottement contrôlé729273647
------
Flottement indépendant279176151
------
Total138146152181182

Source : FMI, Restrictions relatives aux Taux de Change et Régimes de Taux de Change, questions diverses.

Cependant, la distinction entre une formule fixe d'indexation et un flottement n'est pas aisée à établir lorsque la formule d'indexation fait l'objet d'ajustements fréquents. Il n'en reste pas moins vrai qu'un taux de change fixe peut toujours être ajusté, sauf les cas d'un currency board ou d'une union monétaire. Il est également possible d'adopter un taux pivot, qui est préalablement annoncé, avec des marges de fluctuation discrétionnaires, comme c'est le cas en France, où il existe une marge étroite discrétionnaire au sein de la marge officielle de fluctuation, qui est de +/-15%.

Cependant, les régimes de taux de change officiels ne correspondent pas toujours à la pratique de la gestion des taux de change. C'est ainsi qu'en Asie, avant les crises monétaires de 1997, la plupart des pays avaient adopté des régimes de flottement contrôlé, tandis que les devises étaient de fait liées au dollar américain (Bénassy-Quéré, 1996). De façon plus générale, le dollar reste la monnaie de référence principale au dehors de l'Europe, ce qui peut expliquer pourquoi sa part dans les réserves des pays en voie de développement n'a pas diminué.

Portefeuilles privés : déclin important du dollar

Les portefeuilles internationaux du secteur privé non bancaire comprennent des titres et des dépôts en eurodevises. Les banques détiennent également des obligations et actions en devises étrangères, ainsi que des prêts internationaux. Depuis le début des années quatre-vingt, l'ensemble des portefeuilles privés a connu une diversification importante aux dépens du dollar : les évaluations globales réalisées par l'Institut de l'Ecu montrent qu'entre 1981 et 1985, la part des devises européennes dans les portefeuilles privés mondiaux est passée de 13,2% à 36,9%, la part du yen augmentant de 2,2% à 11,5%, tandis que la part du dollar chutait de 67,3% à 39,8%. A lui seul, le mark représentait 15,6% en 1995 (tableau 7).

 

Tableau 7 : part des portefeuilles privés mondiaux

-fin 1981fin 1992fin 1995
Dollar67,346,039,8
Devises européennes13,235,236,9
dont : Deutsche Markn.d.14,715,6
Yen2,26,911,5

Source : Institut de l'Ecu (1995)

Il convient toutefois de signaler que l'ampleur du déclin du dollar varie en fonction du type d'élément actif considéré.

a. Obligations et titres internationaux

En septembre 1996, les encours de titres de dette internationaux libellés dans l'une des 14 devises des pays de l'UE ainsi qu'en ECU s'élevaient à 1.056,6 milliards de dollars (BRI). Pour les Etats-Unis et le Japon, les chiffres correspondants s'élevaient respectivement à 1.139 milliards et 520,8 milliards de dollars.

Ventilés par pays émetteurs, les encours de titres de dette internationaux s'élevaient en septembre 1996 à 349,1 milliards pour les Etats-Unis, à 1.406,1 milliards pour les pays de l'UE, et à 360,4 milliards pour le Japon. Le ratio des parts des devises divisées par les parts respectives des pays (coefficient d'internationalisation) était dès lors de 0,75 pour l'UE, contre 1,45 pour le Japon et 3,26 pour les pays de l'UE. Il ressort de ces chiffres que les devises européennes restaient sous-représentées, au regard de la très large place qu'occupent les émetteurs européens sur les marchés des obligations et titres internationaux.

Les données font toutefois apparaître un déclin important du dollar, qui est tombé de 62% de l'encours obligataire total en 1985 à 39,6% à la fin de 1996, alors que la part des obligations libellées en yens montait très fortement pour passer à 16,9% (BRI 1997, International Banking and Financial Market Developments, page 41).

b. Prêts bancaires

En mars 1997, le dollar représentait encore 50% des positions internationales transfrontalières en devises détenues par les banques, tant à l'actif qu'au passif de leur bilan, qu'il s'agisse de leurs positions globales ou uniquement de leur position vis-à-vis des acteurs non bancaires (BRI, Rapport Mensuel, août 1997, Tableau 4). Le poids du dollar est donc supérieur de dix points à celui qu'occupe cette devise sur le marché obligataire international. Il convient toutefois de noter que la part du dollar atteignait 75% en 1977 et 65% en 1985. Ces données reflètent dès lors un déclin important du rôle du dollar en tant que réserve de valeur pour les banques (europrêts) et pour les acteurs non bancaires (eurodépôts).

Ensemble, les devises du Mécanisme de Change Européen (MCE) représentent 23-28% des positions transfrontalières totales en devises étrangères, contre 29-32% des positions transfrontalières envers les acteurs non bancaires. Ceci représente plus que la part du yen (4-6%)  : le développement des actifs internationaux libellés en yens semble limité aux obligations et aux titres de dette.

L'accroissement du rôle du yen dans les prêts internationaux (d'une part quasiment nulle en 1977, la devise nippone est passée à 6,1% en mars 1997) peut s'expliquer par le déclin, observé depuis les années quatre-vingt, de la part du dollar dans les dettes des pays en voie de développement envers les banques des pays développés (Bénassy 1996). Ce mouvement a surtout favorisé le yen en Amérique Latine et dans l'ensemble de l'Asie, où la part de la devise japonaise atteignait déjà 28% à la fin de 1998. Malgré cette montée en force, il convient de souligner que la devise japonaise reste sous-représentée par rapport au poids des banques japonaises dans l'ensemble des actifs transfrontaliers. Le yen ne représente que 9,4% des éléments d'actif globaux dans l'ensemble des devises, (internationales et nationales) alors que les banques établies au Japon comptaient pour 13,2% de ce total (BRI, Rapport Mensuel, Tableaux 4A et 2A).

Synthèse

Le déclin du dollar en tant que monnaie de réserve internationale est déjà amorcé, ce qui contribue à laisser quelque latitude pour le développement de l'euro. Toutefois, ce déclin est dû en partie au Mécanisme de Change Européen, qui accroît le rôle du mark en tant que monnaie de référence et de réserve. Par ailleurs, le déclin du dollar est plus marqué en ce qui concerne sa fonction de réserve de valeur des acteurs économiques privés que pour ses fonctions de réserve de valeur dans le secteur public, d'instrument de paiement et d'unité de compte (tableau 8). Cet écart peut s'expliquer par l'effet d'inertie, qui est moins déterminant pour la fonction de réserve de valeur que pour d'autres fonctions. La constitution de l'UEM représentera un choc important, en ce sens qu'elle créera brusquement une vaste zone, dotée d'importants marchés financiers, au sein de laquelle n'existera aucun risque de change, et dont la politique monétaire sera confiée à une banque centrale indépendante. Ce bouleversement pourrait l'emporter sur l'inertie et favoriser l'émergence de l'euro comme devise internationale. Cependant, l'incertitude prévaut à court terme quant au résultat qu'auront les effets de taille et d'inertie, qui jouent en sens opposé. Les facteurs d'internationalisation sont discutés à la section 2 ci-dessous.

 

Tableau 8 : aperçu statistique du degré actuel d'internationalisation des principales devises

Part de marchéUSDYenDMAutres devises européennes *
Libellé des flux commerciaux47,64,815,318,2
Volume des transactions de change (total de 200%)83,323,637,132,8
Emissions obligataires internationales37,817,715,68,8
Portefeuille mondial39,811,515,621,3
Dette des PVD50,018,116,1
Réserves officielles56,47,113,712,1

* La composition exacte varie selon les rubriques considérées, mais comprend toujours la livre sterling, le franc français, le florin et l'écu.

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2. L'euro en tant que devise internationale

Dans le passé, la première étape de l'internationalisation d'une devise correspondait généralement à son utilisation comme instrument de règlement commercial, avant qu'elle ne s'impose comme réserve de valeur et finalement comme unité de compte (Bourguinat, 1992). Les historiens estiment que la première devise internationale fut l'unité monétaire créée par Alexandre le Grand, qui fut échangée dans toute l'Asie Mineure au troisième siècle avant notre ère. Depuis cette époque, la fonction d'instrument des échanges commerciaux n'a pas cessé d'être l'élément clé du processus d'internationalisation des devises. Dans l'après-guerre, le système de taux de change fixe par rapport au dollar, instauré à Bretton Woods, a modelé le système monétaire international, alors que le Plan Marshall confortait les Etats-Unis dans leur rôle de premier fournisseur de biens d'équipements sur le marché européen.

Aujourd'hui, les flux de capitaux sont quarante fois plus importants que les flux commerciaux. (4) De ce fait, l'utilisation des devises internationales en vue des flux de capitaux semble déterminante. L'émergence de l'euro sera lente, et non automatique. Elle dépendra de nombreux facteurs, parmi lesquels les politiques visant à rendre les marchés européens plus efficace, ainsi que les politiques de taux de change que les pays européens ne participant pas à l'UEM adopteront envers l'euro.

2.1 Quelle est la force de l'inertie ?

La livre sterling est restée une devise internationale un demi-siècle après que le Royaume-Uni a perdu son rôle de grande puissance économique au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Comme le montrent Bourguinat (1992) et Kenen (1993), le processus d'internationalisation est caractérisé par des phénomènes d'hystérésis. En clair, la devise qui est déjà utilisée au plan international bénéficie d'une forte préférence tenant à l'effet d'inertie. L'ensemble des agents - opérateurs sur le marché des devises, prêteurs et emprunteurs, exportateurs et importateurs, secteurs public et privé - tendront à utiliser la devise dont se servent tous les autres acteurs économiques. Ceci tient au fait que la devise internationale bénéficie d'économies d'échelle et d'effets externes de réseau.

Economies d'échelle

Les économies d'échelle se produisent essentiellement en raison du fait que les frais de transaction sont moindres lorsque les volumes traités sont plus importants.

Sur les marchés des changes, les coûts de transaction peuvent être mesurés en termes d'écart entre les cours acheteur et vendeur. (5) Ces frais sont limités pour les opérations interbancaires : pour une transaction de 10.000 dollars, le coût normalement pratiqué est de 5$, ce qui représente un coût de 0,05% (6), soit le prix d'un gros hamburger à comparer à celui d'une voiture normale. Cependant, l'écart entre les cours acheteur et vendeur reflète non seulement la liquidité de chaque marché, mais aussi la volatilité des taux de change (l'écart augmentant avec la volatilité). Etant donné que la volatilité des taux de change augmente avec le volume des échanges, l'incidence qui a un volume important sur les coûts de transaction est à priori incertaine. Hartmann (1997a) a cependant montré que seules les variations inattendues du volume des changes journaliers sont liées à la volatilité. Etant donné que les effets de taille liés à l'UEM n'auront aucun caractère inattendu, on peut anticiper que l'UEM aura pour résultat de réduire l'écart entre les cours acheteur et vendeur.

Alogoskoufis et autres (1997) se fondent sur les estimations de Hartmann pour calculer les écarts acheteur-vendeur qui correspondraient à une volatilité zéro (tableau 9). Les différences de coûts de transaction liées à des différences de liquidité sont très faibles : la différence la plus importante indiquée au tableau 9 n'est que de 55 cents pour chaque opération de 10.000 $. Malgré cela, ces frais de transaction représentent au moins 160 millions de dollars par jour pour le seul marché comptant.

 

Tableau 9 : frais de transaction sur le marché des devises aux comptant

(en $ pour une transaction de 10.000$, en supposant un volatilité égale à zéro)

$/DM4,06
DM/Yen4,37
$/Yen4,16
FF/$4,61
£/$4,27

Source : Alogoskoufis, Portes et Rey (1997)

D'après Hartmann (1997), une augmentation du volume à concurrence d'1% a pour effet de réduire les coûts de transaction de 0,03% environ, à taux de volatilité inchangé. Les données analysées à la section 1 permettent de déduire que le rééquilibrage des rôles respectifs du mark et du dollar sur les marchés des changes aurait pour effet d'augmenter de 100% le volume des opérations mark/yen et de réduire de 50% le volume des échanges yen/dollar. Sur la base de cette hypothèse, le coût de transaction pour une opération mark/yen de 10.000$ passerait de 4,37$ à 4,24$, tandis que le coût de transaction d'une opération yen/dollar de même montant augmenterait de 4,16$ à 4,22$. Dès lors, pour un investisseur japonais, le recours au mark deviendrait presque aussi bon marché que l'utilisation du dollar en tant qu'instrument sur le marché des changes, c'est-à-dire en tant que devise intermédiaire en vue de l'achat de devises de pays tiers (voir encadré 1). Il n'y a toutefois pas de raison pour laquelle le volume des opérations mark/yen devrait augmenter brutalement, alors que celui des opérations yen/dollar chuteraient en parallèle. Etant donné que les coûts de transaction sont plus faibles pour les opérations en dollars, cette situation crée un incitation forte à l'utilisation de cette devise dans de nouvelles opérations, ce qui renforce l'avantage de coût dont bénéficie le dollar. Les économies d'échelle tendent de ce fait à préserver le statut actuel des devises en tant qu'instruments du marché des changes.

Les économies d'échelle sur les coûts de transaction affectent également, dans une moindre mesure, la fonction de réserve de valeur : quand les coûts de transaction qui leur sont associés représentent la seule différence entre deux actifs, l'investisseur doit payer une prime de liquidité pour égaliser le rendement des deux investissements. La prime de liquidité est faible si les rendements sont certains, étant donné que le coût de transaction est faible si on le compare au rendement attendu. Cependant, lorsque les taux de changes connaissent de fortes fluctuations, les rendements sont affectés de fortes incertitudes. De ce fait, les redistributions de portefeuille au plan international sont fréquentes, et les coûts de transaction augmentent. Algoskoufis et autres (1997) estiment que le dollar US bénéficie d'un escompte de liquidité compris entre 25 et 50 points de base. Il en résulte que, toutes autres choses restant égales par ailleurs, les taux d'intérêt américains sont réduits de 25 à 50 points de base en raison du fait que le dollar est plus liquide (7) .

Cet escompte de liquidité est dû au fait que les coûts de transaction sont moindres sur le marché des changes mais aussi sur les marchés financiers nationaux. Ce dernier aspect est plus important en ce qui concerne la fonction de réserve de valeur : quand les investisseurs internationaux échangent des actifs financiers américains contre des dollars, ils doivent payer un coût de transaction qui peut être mesuré grâce à l'écart entre les cours acheteur et vendeur. Vu que la liquidité est plus importante, ce coût est plus faible sur le marché américain que partout ailleurs (tableau 10).

 

Tableau 10 : écart entre les cours acheteur et vendeur pour les obligations du trésor à 10 ans
(en $ pour une opération de 10.000 $)

Etats-Unis1,56
Allemagne4
Japon3 ,5
Royaume-Uni3,12
France4

Source : Alogoskoufis et autres (1997)

En résumé, les différences qui persisteront en matière de coûts de transaction auront certainement pour effet de ralentir l'internationalisation de l'euro en tant qu'instrument et en tant que réserve de valeur, et cet effet pourrait à son tour entraver à court terme l'internationalisation de l'euro pour ses autres fonctions (voir section 2.2.3).

 

Encadré 1 Frais de transaction




Considérons le cas d'un investisseur japonais qui veut acheter des actifs libellés en devises européennes (et ultérieurement des devises libellées en euros) ou en dollars. Par souci de simplification, nous appellerons ici euros l'ensemble des devises européennes antérieures à l'UEM ainsi que la future monnaie unique.

Afin d'acheter les actifs libellés en euros, cet investisseur peut convertir directement ses yens en euros ou préférer procéder à un échange indirect par l'intermédiaire du dollar. Dans le premier cas, il paiera les frais de transaction sur le change du yen en euros, plus les coûts de transaction internes en euros, par exemple sur le marché boursier. Dans le deuxième cas, il paiera les coûts de transaction de change lorsqu'il convertira ses yens en dollars, les coûts de transaction de change lorsqu'il convertit ses dollars en euros, ainsi que les coûts de transaction internes en euros. Convenons de dénommer Ed le coût de transaction direct et Ei le coût de transaction indirect par l'intermédiaire du dollar. Si Ed>Ei, le dollar sera utilisé comme véhicule, comme c'est le cas ici - sauf pour les actifs en marks.

Pour acheter des actifs libellés en dollars, notre investisseur peut choisir entre le change direct et indirect. Dans le premier cas, celui d'une opération directe, il supportera les coûts de transaction relatifs au change du yen en dollars ainsi que les coûts de transaction sur le marché interne américain. (coût total : Dd). S'il effectue une opération indirecte, il paiera des coûts de transactions sur le change du yen en euros, sur le change des euros en dollars ainsi que les coûts de transaction sur le marché interne américain (coût total Di). Si Di > Dd, l'euro ne sera pas utilisé en tant qu'instrument en vue de l'achat de dollars, tandis que si Ed > Dd, le dollar sera préféré en tant que réserve de valeur. Ces deux phénomènes sont observés actuellement.

L'UEM pourrait avoir les effets suivants :
Ed<Ei : le dollar cesse de servir d'instrument pour l'acquisition d'euros
Ed= Dd : l'euro est équivalent au dollar en tant que réserve de valeur
Dd<Di : l'euro n'est pas utilisé comme instrument en vue de l'achat de dollars

Enfin, supposons que notre investisseur japonais veuille procéder à l'achat d'actifs libellés en forints. Il peut choisir le change direct, et payer les coûts de transaction yen/forint plus les coûts de transaction internes hongrois (coût total Fd). Il peut au contraire choisir de procéder à un change indirect par l'intermédiaire de l'euro (coût Fei) ou du dollar (Fdi)
Au cas où Fdi > Fei > Fdi, le dollar sera utilisé comme instrument, comme c'est maintenant fréquemment le cas.
A l'inverse l'UEM pourrait avoir pour effet que Fd > Fdi > Fei, auquel cas l'euro serait utilisé comme instrument.




 

2.1.2 Externalités de réseau

L'argent est un bien de réseau : plus il est en usage, plus les agents économiques sont incités à l'utiliser. Les effets externes de réseau sont différents des économies d'échelle en ce sens qu'ils ne se traduisent pas par des variations des niveaux de prix. Bien au contraire, les effets externes apparaissent lorsqu'un marché (et dès lors un prix) est manquant. L'exemple type de l'externalité de réseau est celui du téléphone : lorsque le nombre d'abonnés augmente, le prix de l'abonnement ne s'en trouve pas modifié, même les usagers en retirent des avantages accrus. Ceci crée une incitation à utiliser le réseau qui est déjà le plus fréquenté, même s'il n'est pas le meilleur.

Le cas de la devise internationale est similaire : lorsqu'ils utilisent une devise internationale pour ses différentes fonctions, les agents économiques ne paient pas de supplément en raison de son statut international. Il n'en reste pas moins que la devise internationale présente une utilité plus grande, étant donné qu'elle réduit l'incertitude :

_ le marché financier de la devise internationale offre un large éventail d'instruments qui apportent une meilleure réponse aux besoins de couverture (fonction de réserve de valeur)

_ le degré d'incertitude des bénéfices est moindre si la même devise sert à facturer les importations et les exportations, et la compétitivité externe revêt une plus grande stabilité si le prix sont exprimés dans la même unité que ceux des concurrents (fonction d'unité de compte pour le secteur privé)

_ la gestion de trésorerie est simplifiée en cas de recours à une seule devise. Cette raison vaut surtout pour les petites entreprises qui couvrent rarement leurs risques de change (fonction d'instrument de paiement pour le secteur privé).

2.1.3 Synergies entre les diverses fonctions

Les synergies entre les diverses fonctions de la devise internationale ont été analysées en détail dans l'introduction de cette étude. L'utilisation de la devise internationale dans un but déterminé a pour effets : (i) d'en réduire le coût (ii) de produire des effets externes positifs pour les autres fonctions.

Réduction du coût : nous avons déjà mis en lumière la synergie entre la fonction d'instrument de paiement et la fonction de réserve de valeur. Cette synergie est due au fait que les deux fonctions sont facilitées lorsque les coûts de transaction sont faibles, et que les coûts de transaction baissent lorsque les marchés deviennent plus importants. Il existe également une synergie avec la fonction d'unité de compte, et notamment avec la fonction d'ancrage, étant donné que pour défendre un rattachement à un monnaie de référence, il est nécessaire de disposer de réserves de change et de procéder à des interventions qui ont un coût de transaction. Par ailleurs, le fait qu'une devise est utilisée comme unité de compte a pour effet de réduire les coûts d'information quand elle est utilisée à la fois comme instrument de paiement et comme réserve de valeur, étant donné qu'il n'est plus nécessaire de prévoir les fluctuations de taux de change.

Externalités croisées : l'utilisation d'une devise en tant qu'unité de compte a pour effet de réduire l'incertitude associée à son utilisation en tant qu'instrument de paiement et en tant que réserve de valeur, notamment si la devise internationale est utilisée en tant que monnaie de référence. De même, les autorités monétaires tendront à lier leurs devises à une monnaie de référence internationale si leurs créances nettes sur l'étranger et leurs émissions de titres sont libellées dans cette devise, et si elle est par ailleurs largement utilisée en vue de la facturation des échanges internationaux. En outre, les réserves de change dans une devise internationale se révèlent plus utiles quand l'unité monétaire nationale est rattachée à cette devise.

Ces considérations montrent que le faible degré d'internationalisation pour une fonction peut avoir pour effet d'entraver l'internationalisation des autres fonctions. C'est sans doute ce qui s'est produit pour le mark, dont l'internationalisation peut avoir souffert de la faiblesse de cette devise comme instrument de paiement. C'est ce qui peut également se produire pour l'euro si ses effets de taille sont moins puissants pour certaines fonctions que pour d'autres.

2.2 Si elle est un avantage, la taille n'amènera pas forcément l'internationalisation

Historiquement, la taille et le statut des devises ont été liées. La livre sterling, et puis le dollar sont devenus les devises dominantes lorsque le Royaume-Uni et les Etats-Unis étaient les premières puissances économiques et commerciales du monde. De nos jours, les trois seules devises internationales qui comptent appartiennent aux trois premières puissances économiques et commerciales du monde : les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon. Toutefois, l'analyse ci-dessus montre que la taille du marché financier représentera l'élément déterminant.

 

Table 11 : Les différentes mesures de la taille

Milliards de dollarsUSAUE 15UE 7 (1)Allemagne
PIB (1996)7575850447322355
Exportations de marchandises en 1992 (2)448616n.d.430
Capitalisation boursière (fin 1995)565536271529577
Titres de dettes domestiques (septembre 1996) (3)11293756140461891
Titres de dettes internationaux

(décembre 1996) (3)

4351417754146

Autriche, Bénélux, France, Allemagne et Irlande.
(1) Les chiffres des 15 pays de l'UE ne comprennent pas le commerce intra-communautaire.
Montant des encours
Sources : Funke et Kennedy (1997) et Hartmann (1996).

Le PIB de l'UEM est comparable à celui des Etats-Unis

Le montant du PIB a servi de base aux estimations sommaires que Bergsten (1997) a effectuées pour les affectations de portefeuilles. En fonction du nombre de pays qui participeront à l'UEM, le PIB de l'Union monétaire variera entre 62% et 112% du PIB américain, alors que le PIB allemand n'équivaut qu'à 31% de celui des Etats-Unis.

Le PIB est une mesure importante, étant donné que la valeur absolue des investissements privés et des déficits publics croît en proportion de cet agrégat, entraînant un développement parallèle des marchés financiers. Par ailleurs, une zone dont le PIB est important tendra à constituer un partenaire commercial majeur pour les pays étrangers, qui seront dès lors incités à utiliser la devise de cette zone pour d'autres fonctions, et particulièrement comme unité de compte et comme réserve de valeur.

L'importance des exportations de l'UEM n'amènera pas forcément l'internationalisation de l'euro

Même si l'on exclut les flux intra-communautaires, les Quinze pays de l'Union Européenne continueront à former la plus grande zone exportatrice au monde (tableau 11). En vertu de la loi de Grassman (Encadré 2), ceci devrait renforcer le rôle de l'euro en tant que monnaie de facturation et que moyen de paiement.

Cette question n'est toutefois pas simple. Friberg (1977) montre que la loi de Grassman ne s'appliquait plus à la Suède en 1993, et qu'il n'était pas rare de facturer dans la devise d'un pays tiers.

 

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En fait les exportateurs peuvent soit : (i) facturer dans leur propre devise ce qui implique que les marges bénéficiaires sont certaines mais que le volume de la demande ne l'est pas (ii) facturer dans la devise de l'importateur, ce qui entraîne que le volume de la demande est certain, mais que les marges bénéficiaires ne le sont pas (iii) facturer dans la devise d'un pays tiers, auquel cas tant le volume de la demande que les marges bénéficiaires sont incertains. Le choix qui sera effectué dépendra essentiellement de la structure du marché.

_ Quand la pression concurrentielle sur les prix est forte, c'est-à-dire quand la demande réagit à de faibles variations de prix (comme c'est le cas sur les marchés de l'énergie et des matières premières), les exportateurs sont peu enclins à facturer dans leur propre devise. Sur des tels marchés, le fait de facturer dans un nombre restreint de devises aide à réduire le coût de l'information, tant pour les exportateurs que pour les importateurs. Il est dès lors usuel de facturer dans la devise d'un pays tiers. Etant donné que les coûts des opérations de change doivent être pris en charge à la fois par l'exportateur et par l'importateur, il existe dès lors un incitation forte à utiliser le dollar pour lequel les coûts de transaction sont faibles. Le potentiel d'utilisation de l'euro sur de tels marchés dépendra de ses coûts de transaction.

_ Quand les produits sont différenciés, de légères variations de prix (dans la devise de l'importateur) n'ont pas d'effet spectaculaire sur le volume de la demande. Il convient toutefois de noter que les fluctuations des taux de change ne sont généralement pas de faible amplitude.

Goldberg et Knetter ont trouvé qu'aux Etats-Unis, depuis 1970, les prix en dollar des produits étrangers n'ont pas reflété pleinement les variations des taux de change. Une estimation assez exacte permettrait de dire qu'en général la variation des prix correspond à la moitié de la fluctuation du taux de change. La faible amplitude de cette variation des prix (dans la devise de l'importateur) peut s'expliquer par une différenciation des prix dans un monde dominé par les entreprises de taille mondiale (8). La deuxième explication est que les " frais de menu " entraînent des retards d'ajustement des prix aux événements extérieurs (9). Une troisième explication qui peut être avancée est que, pour compenser le transfert des frais de couverture de change de l'exportateur à l'importateur, il faut que l'exportateur accorde une contrepartie en matière de prix, ce qui ne l'incite guère à facturer dans sa propre devise. Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi les exportations tendaient à être facturées dans la devise de l'exportateur lorsque la volatilité des taux de change était faible (avant 1973), mais cessèrent de l'être lorsqu'elle augmenta : les exportateurs ne voulaient pas souffrir de fortes variations de la demande pour s'assurer un léger avantage en terme de frais de couverture.

Cette dernière considération montre que la variabilité des taux de change est un élément important : les exportateurs appartenant à des pays dont les devises sont relativement stables par rapport à l'euro (pays du MCE II, Pays d'Europe centrale et Orientale, pays africains) seront fortement incités à utiliser l'euro, car le recours à cette devise éliminera tous frais de couverture. Friberg (1997) va plus loin, en concluant que la facturation dans la devise d'un pays tiers est préférable si, pour les consommateurs, la volatilité de cette devise est suffisamment faible lorsqu'on la compare à la volatilité de la devise de l'exportateur par rapport à la devise des consommateurs. De ce fait, l'euro sera adopté comme monnaie de facturation dans des pays tiers si, par rapport à la devise de l'importateur, il est plus stable que la devise de l'exportateur.

_ En résumé, le rôle potentiel de l'euro en matière de facturation commerciale dépendra du niveau des coûts de transaction en euro pour les produits peu différenciés (comme l'énergie ou les matières premières), alors que, pour les produits différenciés (produits manufacturés), il dépendra de la volatilité de la monnaie unique par rapport aux devises clé. Néanmoins, si l'on considère le fait que les flux de capitaux sont quarante fois plus importants que les flux commerciaux, il est évident que le facteur clé de l'internationalisation de l'euro tiendra à sa fonction de réserve de valeur et d'instrument du marché des changes. La répartition des portefeuilles et l'efficacité des marchés financiers nationaux jouent de ce fait un rôle essentiel.

2.2.3 Rien ne permet d'affirmer que les investisseurs internationaux vont se ruer sur l'euro

En 1999, les dettes intra-européennes deviendront des dettes intérieures et les actifs internationaux devront être mesurés après déduction des actifs intérieurs. S'il est vrai que le Groupe des Dix membres de l'Union européenne produisent environ un tiers du PIB mondial et occupent, après déduction du commerce intra-communautaire, une part équivalente du commerce mondial, on peut évaluer que la proportion des actifs internationaux libellée en devises européennes (après déduction des actifs intra-communautaires) ne représente qu'un huitième (Mac Cauley & White, 1997). Afin de porter la part de l'Europe dans les actifs internationaux à un niveau correspondant à la contribution de l'Union au PIB et au commerce mondiaux, il faudrait augmenter de 700 milliards de dollars la valeur du portefeuille libellé en euros, ce qui correspond à environ 12% du montant de l'encours de la dette intérieure de l'Union européenne et à 15% de son PIB. La plupart des évaluations estiment que la redistribution des portefeuilles portera sur une somme comprise en 500 et 1000 milliards de dollars (Bergsten 1997), soit deux ou trois fois le montant total des réserves de change des pays de l'Union européenne à la date du Traité de Maastricht. L'importance de ces chiffres donne un idée de l'ampleur de la redistribution potentielle des portefeuilles. Ces prévisions ne permettent toutefois pas de garantir que cette redistribution aura lieu.

On assistera à une certaine diversification au détriment de l'euro

En premier lieu, il faut s'attendre à un phénomène de diversification au détriment de l'euro, et ce pour deux raisons.

(i) A l'heure actuelle les portefeuilles institutionnels européens sont peu diversifiés. Même si la règle de congruence européenne s'appliquera à l'occasion d'une diversification par rapport à l'euro (les dettes en devises étrangères doivent être compensées à hauteur de 80% par des actifs libellés dans la même devise), cette règle ne s'appliquera pas à court terme : les investisseurs institutionnels européens seront en mesure d'atteindre les ratios de diversification du Japon ou du Royaume-Uni sans transgresser la règle de congruence (tableau 12).

 

Tableau 12 : diversification des portefeuilles d'investisseurs institutionnels

%Assurance vieFonds de pension
Etats-Unis4,03,8
Japon14,27,9
Royaume-Uni12,516,8
Canada3,35,3
Allemagne0,70,8
France2,04,0

Source : Artus (1996)

La question est de savoir si les investisseurs institutionnels ressentiront le besoin de diversifier leurs actifs au détriment de l'euro. Il est possible de soutenir qu'ils auront d'importantes possibilités de diversification en euros, dans la mesure où ils détiennent des titres privés et publics émis par les divers pays de l'UEM par rapport à la devise de l'importateur, et en raison du fait que la règle de congruence européenne ne s'appliquera jamais aux actifs en euro.

Diversification des devises : une fois que le taux de change entre devises européennes aura été fixé de façon irrévocable, les investisseurs institutionnels ne seront plus tenus de réduire le risque de change de leurs portefeuilles en détenant des actifs dans les diverses devises européennes. En fait, le modèle normal de sélection des portefeuilles montre que, sauf si l'on s'attend à ce que l'euro offre des rendements supérieurs à ceux des anciennes devises européennes, les portefeuilles privés détenus en euros devraient être inférieurs aux portefeuilles privés qui étaient détenus dans les anciennes devises européennes. En effet, la diversification des risques imposera de détenir une part plus importantes en actifs non libellés en euros. Il convient toutefois de noter que cette observation s'applique déjà aux pays du noyau dur du Mécanisme de Change Européen entre les devises duquel existe déjà un grande degré de stabilité. Le phénomène de diversification au détriment de l'euro devrait dès lors être limité (Bénassy, Italianer et Pisani-Ferry, 1994 ; Arias, 1997). Il pourrait être plus important si l'Union monétaire et l'uniformisation des marchés financiers ont pour résultat d'intensifier la corrélation entre les prix des actifs et les rendements.

Le comportement de la Banque centrale européenne sera crucial à court terme

L'importance de la redistribution dépendra de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, ainsi que de la confiance que sa politique future inspirera aux investisseurs. L'indépendance de la Banque centrale européenne devrait être de nature à faire naître la confiance. Mais les incertitudes qui entourent les membres futurs de l'Union ou la coopération en matière budgétaire devraient atténuer cette confiance. Par ailleurs, l'absence de références passées en matière d'inflation devrait amener les investisseurs à faire du taux de change nominal de l'euro un indicateur de politique économique. Les importantes fluctuations du taux de change euro/dollar devraient créer un sentiment de méfiance vis-à-vis de l'euro. A l'heure actuelle, telle ne semble pas être l'opinion des marchés : une enquête analysée par Artus (10)1 a montré que 490 investisseurs asiatiques sur 500 entendaient diversifier leurs portefeuilles en faveur de l'euro et au détriment du dollar. L'opinion des marchés est toutefois capricieuse, et l'on ne peut exclure la possibilité que la demande pour l'euro soit faible.

Les coûts de transaction ne seront pas automatiquement réduits

Un brusque glissement de la composition des portefeuilles n'entraînera pas nécessairement un accroissement parallèle du volume, qui dépendra surtout des coûts de transactions, qui sont à leur tour influencés par la taille du marché (voir la section 2.1.1).

Enfin, les opérateurs sur les marchés des changes, les emprunteurs et les prêteurs ne changeront pas leurs comportements si les marchés européens ne sont pas au moins aussi efficients que leurs homologues américains. Ce point essentiel est étudié ci-dessous.

L'efficience du marché financier sera un élément crucial dans l'émergence de l'euro

Rien ne garantit que l'UEM pourra tirer pleinement parti du potentiel qu'elle présente pour les marchés financiers, et une réussite éventuelle ne pourra être assurée que dans la durée. L'introduction de l'euro offre une opportunité de démanteler les barrières entre les marchés financiers européens segmentés (dépôts bancaires et marché des prêts, effets mobiliers, services financiers). L'euro peut avoir pour effet de renforcer l'impact des directives européennes, d'améliorer la transparence des notations financières, d'accélérer l'intégration du marché financier européen et d'accroître la clientèle d'investisseurs institutionnels européens.

L'introduction de l'euro, qui intervient après une longue série de mesures, est l'étape la plus significative du processus d'intégration monétaire. Dans le domaine de l'union économique et monétaire, la Deuxième Directive Bancaire de l'Union européenne, les directives sur l'adéquation du capital, sur les services d'investissement et les autres directives financières ont été mises en uvre. Malgré ces mesures, les marchés financiers européens restent segmentés. La mise en uvre complète de la directive sur les services d'investissement, qui crée un régime de passeport unique pour les maisons de titres, pour les gestionnaires de portefeuilles et les conseils en investissement aura pour effet de renforcer l'impact de ces réformes de structure.

a. La concurrence bancaire et la titrisation des financements ne sont pas encore parvenues à leur terme

Si la restructuration du paysage bancaire européen par voie de consolidation s'est largement effectuée au niveau de banques de gros, l'Europe reste surbancarisée au niveau des activités de détail. La concurrence transfrontalière s'en trouvera renforcée. L'efficacité opérationnelle en bénéficiera. Ce mouvement renforcera les tendances à la consolidation. Par ailleurs, il existe toujours des barrières nationales et les systèmes bancaires inefficaces peuvent faire appel à l'aide des pouvoirs publics afin de retarder les ajustements.

Traditionnellement, les entreprises européennes financent essentiellement leurs activités par voie de financement indirect, les prêts bancaires représentant 54% de l'ensemble des actifs financiers en circulation en Europe à la fin de l'année 1995. Par contre, aux Etats-Unis, les prêts bancaires ne représentent que 22% des actifs financiers en circulation, les entreprises américaines faisant plus largement appel à l'intermédiation directe, et au financement par obligations et par actions. Cette différence tend à devenir plus perceptible lorsque la qualité des crédits diminue : les petites et moyennes entreprises n'émettent presque jamais d'obligations ou d'actions spéculatives à haut risque. S'il est vrai que la taille du marché européen des obligations émises par les entreprises est égale au trois quarts de celle de son pendant américain, la plupart des titres qui y sont traités sont émis par des institutions financières européennes. Les obligations ne représentent qu'une faible part du total du passif des entreprises non financières (moins de 1% en Allemagne (11). Ici encore, les sociétés européennes font un recours intensif au banques pour leur financement à court terme. Au contraire, les entreprises américaines se financent à court terme car elles peuvent utiliser un marché très liquide des billets de trésorerie qui représentent plus de la moitié des billets de trésorerie en circulation dans le monde entier. L'Europe a déjà commencé à prendre des mesures - notamment grâce à la loi bancaire française de 1984 - mais les marchés européens des titres de sociétés sont restés relativement sous-développés.

Poussés par la déréglementation et par la désintermédiation financières, les marchés européens des titres sont devenues plus liquides et plus intégrés. D'importantes émissions de titre à risque souverain ont créé des marchés obligataires secondaires plus efficaces. De façon concomitante, la stabilité économique et la convergence des politiques macro-économiques ont favorisé une mobilité accrue des capitaux. Les liens entre les marchés nationaux des effets mobiliers deviennent plus étroits et les spreads entre les marchés obligataires tendent à rétrécir.

L'introduction de l'euro entraînera probablement un renforcement de la titrisation de la finance européenne. Une plus grande uniformité des pratiques de marché, une transparence accrue des méthodes de fixation des prix pousseront à l'intégration des marchés. L'élimination du risque de change, la convergence des marges sur crédits devraient accroître la profondeur et la liquidité des marchés européens des valeurs mobilières. La conception et la mise en uvre des procédures opératoires de la politique monétaire revêtiront une importance toute particulière, étant donné que les politiques monétaires ou financières de l'UEM pourront encourager ou défavoriser le développement de marchés des eurovaleurs à la fois importants et liquides, et couvrant l'ensemble de l'UEM. Les propositions du Rapport Giovanini (DG II, 1997) visent à favoriser la liquidité financière grâce à diverses techniques d'harmonisation.

Le progrès technologique renforcera l'impact de l'introduction de l'euro, du fait que l'endroit où se déroulent les échanges, la compensation et le règlement perdra graduellement de son importance. Au cas où le progrès technologique pousserait à une centralisation des activités en un ou deux endroits ou amènerait au contraire le développement de nouveaux centres marchés nationaux), les marchés des valeurs mobilières et des produits dérivés seront rapidement intégrés.

De petits différentiels de taux de crédit pourront subsister au sein de l'UEM

L'intégration du marché des valeurs mobilières privées en euros pourrait se dérouler rapidement, à tout le moins pour les grandes entreprises. Quelques analystes estiment que les investisseurs institutionnels pourraient passer d'une approche par pays à une approche sectorielle, en donnant la préférence aux plus grandes firmes européennes au détriment des plus petites, quel que soit le pays concerné (12). Par contre, on avance souvent l'idée que le marché des obligations d'Etat en euros pourrait rester fragmenté. Il ne restera plus d'émetteur souverain sur le territoire de l'UEM, étant donné que les Etats membres ne contrôleront plus la création de monnaie et que le Traité interdit à la banque centrale d'intervenir en leur faveur. Les notations des Etats dont le ratio dette/PIB est le plus élevé seront revues à la baisse, alors que les états les moins endettés bénéficieront de l'évolution inverse. Le manque de rigueur financière pourra être sanctionné par les marchés financiers, qui imposeront des marges de crédit importantes et durables.

Par ailleurs, on fait souvent valoir que la règle interdisant aux banques centrales de venir au secours des Etats membres manque de crédibilité, car il serait difficile de laisser un membre de l'UEM faire faillite. Cette vision alternative est confortée à la fois par la façon dont la récente crise asiatique a été gérée, ainsi que par la convergence des taux d'intérêt européens à long terme (qui anticipent déjà sur le régime de l'UEM), à tout le moins pour la part de la dette souveraine de l'Espagne et de la Belgique qui est libellée en marks (McCauley et White, 1997). Par ailleurs, le risque de crédit sera réduit en Europe grâce au Pacte de Croissance et de Stabilité.

A court terme, le marché monétaire international tendra à favoriser les bons du trésor américain

Les considérations de liquidité tendront à faire préférer les bons du trésor américain, au moins à court terme. Le marché américain est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, opère de façon anonyme, et permet de traiter toute opération, quelle que soit la quantité visée. Le marché est important et liquide. A l'heure actuelle, les bons du trésor américain sont très près de représenter une forme d'argent liquide portant intérêt. Le marché qui s'en rapproche le plus est celui des bons du trésor britanniques libellés en livres sterling. Le marché parisien des bons du trésor est exigu, alors que l'Allemagne n'utilise quasiment pas de bons du trésor. Une fois l'UEM mis en place, l'ensemble des bons du trésor des états membres seront libellés en euros, mais resteront des titres de dette nationaux. Ils auront le même risque de change, et le risque dû aux variations de taux d'intérêt sera très proche en raison de la politique monétaire unifiée. Cependant, les différents Bons du Trésor ne seront pas parfaitement interchangeables, en raison des différences entre les politiques budgétaires et parce que peu de pays seront en mesure d'offrir une large gamme de produits financiers (en termes d'échéances, d'indexation, etc.).

En revanche, il existe une intense concurrence entre les administrations du Trésor des différents Etats membres afin de mettre sur le marché des bons du trésor sophistiqués. Cette concurrence commence d'ores et déjà à se faire jour. Elle pourrait amener un élargissement très rapide des marchés financiers européens. Par ailleurs, si le risque de variation des taux d'intérêt est perçu comme identique dans tous les pays européens, les détenteurs d'actifs seront en mesure d'utiliser des bons du trésor de n'importe quel pays comme instrument de couverture d'un risque déterminé.

En résumé, l'efficience du marché financier européen sera accrue en raison (i) d'une concurrence accrue entre intermédiaires financiers (ii) de rôle croissant des investisseurs institutionnels (iii) de l'uniformisation des devises dans lesquelles sont émises les valeurs mobilières européennes (iv) de la concurrence entre émetteurs d'actifs en euros. Cependant, l'UEM ne créera pas à elle seule un marché des bons du trésor qui sera aussi liquide que son équivalent américain.

L'euro sera attrayant en tant que monnaie de réserve

La composante publique de la fonction d'unité de compte est souvent négligée lorsque l'on examine la compétition entre devises voulant obtenir le statut de devise de réserve. Cette composante a toutefois une incidence importante sur l'utilisation de la devise internationale pour d'autres fonctions, et ce pour les raisons suivantes :

La défense du rattachement à une devise internationale présuppose l'existence de devises (stock) et d'interventions officielles (flux) sur le marché des changes concerné. La fonction d'ancrage monétaire a pour effet de stimuler les fonctions de réserve de valeur pour le secteur public et d'instrument de paiement. En raison de l'augmentation du volume, les coûts de transaction baissent, ce qui accroît pour l'ensemble des agents économiques les incitations à utiliser la même devise pour ces deux fonctions.

(i)le risque et le coût associés à l'utilisation d'une devise étrangère déterminée pour ces diverses fonctions sont réduits quand elle est utilisée en tant qu'unité de référence monétaire, c'est à dire quand la devise nationale est rattachée à cette devise étrangère. Ceci est dû au fait que des taux de change stable rendent les opérations de couverture inutiles ou moins coûteuses, et que la fixation des prix dans cette devise internationale (plutôt que dans une autre) accroît la stabilité de la demande et des marges bénéficiaires.

Toutefois, les pays d'Asie et d'Amérique latine seront peu enclins à rattacher leur devise au seul euro, à tout le moins au tout début de l'UEM. Cette attitude s'expliquera par le fait que l'Union européenne n'est pas leur principal partenaire, et parce que ces pays ont été habitués par le passé à rattacher leur devise au dollar américain.

Les Pays d'Europe Centrale et Orientale (PECOS) semblent offrir à l'euro un champ d'expansion naturel. Cependant, dans le passé, ces pays n'ont généralement pas rattaché leurs devises à celles du noyau dur européen.

Le choix d'une devise internationale de référence est généralement expliqué par la théorie des zones optimales de devises (Mundell, 1961 ; McKinnon, 1963). D'après cette théorie, deux pays A et B ont intérêt à fixer leurs taux de change bilatéral s'il sont essentiellement exposés à des chocs symétriques (à savoir des chocs de même nature survenant en même temps et dans la même direction), si leur commerce bilatéral est important et si les extrants sont mobiles entre les deux pays. Cette théorie peut être utilisée pour déterminer si les stratégies d'indexation des divers pays sont optimales. Sur la base d'estimations croisées réalisées pour 36 pays, nous montrons ici que, sur la période 1992 à 1995, les PECOS auraient dû attribuer au mark une pondération plus importante dans le panier de devises implicite auquel est rattaché leur devise (Annexe 1).

La théorie des zones optimales de devises est fondée sur l'hypothèse que les autorités monétaires tendent à stabiliser le taux de croissance de la production. Cependant, les stratégies de développement des pays émergents sont basées sur les exportations et sur les entrées d'investissements directs. Leur objectif final en termes de croissance de la production est dominé par des objectifs intermédiaires en termes de compétitivité des prix et de capacité d'endettement. Cette situation est de nature à modifier le résultat que produit l'application de la théorie des zones optimales de devises. C'est ainsi que le rattachement implicite de la plupart des pays asiatiques au dollar avant la crise de 1997 ne peut pas s'expliquer par la théorie des zones optimales de devises. Cette stratégie était pour ces pays une attitude typique de non coopération, vu la distribution de leur commerce extérieur (environ 25 pour cent avec les Etats-Unis et 25 autres pour cent avec leurs partenaires asiatiques autres que le Japon) (13). Toutefois, la prise en compte des contraintes extérieures ne modifie toutefois pas la situation pour les PECOS, étant donné que leur commerce extérieur est principalement dirigé vers les pays de l'Union européenne.

On peut dès lors en conclure que les PECOS seront fortement incités à utiliser l'euro en tant que devise de référence.

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NOTES


2. Hartmann (1997a) montre que les coûts de transaction sont plus faibles quand la volatilité des taux de change est moindre. Le rôle du risque des variations de taux de change est accru par le fait que ce risque ne peut être entièrement couvert. C'est ainsi qu'un exportateur ne peut couvrir le risque existant avant la signature du contrat. C'est ainsi également qu'il n'existe pas de couverture pour les investissements directs.

3. Si les ECUs émis contre des dollars ne sont pas supposés être des dollars.

4.En 1992, au moment du Traité de Maastricht, les exportations mondiales s'élevaient à 10 milliards de dollars par jour, tandis que les opérations journalières sur les marchés au comptant s'élevaient à 394 milliards de dollars.

5. L'écart entre le cours acheteur et le cours vendeur correspond à la différence entre le prix d'achat et le prix de vente.

6. Hartmann P. (1997) Les coûts de transaction effectifs sont inférieurs aux écarts annoncés entre le cours acheteur et cours vendeur. Leur montant normal est de 3 $ pour une opération de 10.000 $ .

7. 10 points de base représentent 0,1 pour cent.

8. La différentiation des prix signifie que le même produit est vendu à des prix différents dans différents pays.

9. Les " frais de menu " sont les frais encourus à l'occasion de la modification du prix des produits. Ces frais comprennent le temps nécessaire pour calculer le nouveau prix et le faire connaître (impression de documents commerciaux, etc...). S'ils sont réduits, ces coûts peuvent cependant expliquer pourquoi les prix ne sont pas ajustés de façon optimale en temps réel (Akerlof et Yeelen, 1989).

10. Discussion de groupe, XIVèmes journées Internationales d'Economie Monétaire et Bancaire, Orléans, juin 1997.

11. Prati et Schinasi (1997)

12. Voir le Financial Times du 2 janvier 1998.

13. Voir Bénassy-Quéré (1997)


© Parlement européen: Janvier 1998